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Enquête

La santé cassée

Enquête | publié le : 02.11.2012 | Anne-Cécile Geoffroy

TMS et risques psychosociaux pullulent. Des enseignes commencent à prendre conscience du fléau sous la pression de l’Assurance maladie et des procès.

Opéré des deux bras ! Boucher au Leclerc de Vandœuvre-lès-Nancy, Francis* sort tout juste d’une opération très lourde. Vingt-cinq ans à découper de la viande et le voilà contraint d’arrêter de travailler à deux ans de la retraite. « Dans son malheur, il a presque de la chance. D’autres collègues sont rattrapés plus vite par la maladie. On voit tous les ans deux hôtesses de caisse en moyenne se faire opérer du canal carpien », constate Yannick Poirot. Ce délégué syndical central FO a constaté une envolée des accidents du travail ces trois dernières années dans son magasin. Plus 188 % ! « Au niveau régional, on est passés devant le BTP ! »

Record de TMS. La grande distribution enregistre le plus grand nombre de troubles musculo-squelettiques (TMS) en volume, tous secteurs d’activité confondus. « Le phénomène est en augmentation de 10 % par an depuis dix ans », explique François Fougerouze, ingénieur-conseil à la Cnam. Même constat concernant les accidents du travail. Le secteur arrive juste après le BTP, mais devant l’industrie. « En 2011, le ministère du Travail a calculé que les arrêts pour accident de travail représentaient l’équivalent de 26 hypermarchés et 237 supermarchés fermés pendant un an », explique Yvan Barel, maître de conférences à l’IUT de Nantes. « La sinistralité est élevée car les équipements et les postes de travail des grandes surfaces sont avant tout conçus pour le service des consommateurs, pas pour le confort des salariés », note François Fougerouze.

En 2011, les arrêts pour accident de travail représentaient l’équivalent de 26 hypermarchés et 237 supermarchés fermés durant un an

L’explosion des TMS est aussi liée à l’augmentation du stress et du mal-être. Les gestes de salariés désespérés se multiplient. Comme à Chambourcy, dans les Yvelines, où la tentative d’immolation par le feu d’un salarié de Carrefour en février dernier a marqué les esprits. Un stress lié à l’intensification du travail, à l’automatisation des tâches, mais aussi aux méthodes de management musclées de la grande distribution. Sophie*, hôtesse de caisse à Système U, raconte les conditions de travail tendues, les horaires imposés, le non-remplacement des départs. « Pour pousser les gens à partir, on les accuse de vol, on chronomètre leurs pauses, on leur crie dessus », énumère la jeune femme. En 2009, Carrefour a été reconnu coupable de faute inexcusable dans une affaire de harcèlement moral dans son magasin de Sallanches.

Sous surveillance de la Cnam depuis 2009, certaines enseignes comme Auchan ou Casino ont signé des chartes de partenariat avec l’Assurance maladie pour endiguer l’épidémie de TMS et mis en place des plans de prévention qui prennent aussi en compte les RPS. D’autres, comme Leclerc, n’ont pas entamé la moindre démarche. Mais les avancées sont là. Les caissières n’ont plus le droit, par exemple, de manipuler des objets de plus de 8 kilos en caisse. « Le message est passé. La prise de conscience est réelle. Dans les supers, les prochaines statistiques devraient montrer une évolution positive, espère François Fougerouze. Il faut généraliser les solutions et travailler sur la mise en rayon et les entrepôts. Mais ce qui nous inquiète, ce sont les nouveaux métiers des drives où toute la chaîne de manutention est faite par le salarié. » Et rien n’a été anticipé.

* Les prénoms ont été changés.

60 pour 1 000 salariés

C’est l’indice de fréquence des accidents du travail dans la grande distribution.

37 pour 1 000 salariés

C’est l’indice de fréquence des accidents du travail tous secteurs confondus.

Source : Assurance maladie.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy