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Enquête

PSE au rabais pour les Azéo

Enquête | publié le : 03.12.2012 | Anne Fairise

Après deux mois de redressement judiciaire, les 71 salariés de la fabrique d’aérosols Azéo ont vécu un licenciement éclair assorti d’un PSE plancher. Ils tentent de refaire surface avec le soutien des dispositifs publics.

Quand Jean-Luc Mélenchon a fait sa tournée électorale des usines aux portes de Rouen, ce 6 janvier 2012, il n’a pas poussé jusqu’à Azéo. Le leader du Front de gauche s’est arrêté à quelques centaines de mètres, après le rond-point à la sortie du bourg d’Alizay (1 369 habitants), devant les hautes cheminées de la papeterie M-Real, dont il est le premier à avoir fait une tribune nationale. Pour exiger, écharpe rouge au cou, une loi interdisant toute fermeture d’usine s’il existe un repreneur. Un non-sujet alors chez Azéo, depuis deux mois en redressement judiciaire : son concurrent, Colep, venu visiter la fabrique d’aérosols, n’a pas formulé d’offre, jugeant l’installation obsolète.

Quand le candidat François Hollande s’est arrêté, à son tour, le 15 février, devant M-Real, un mois après la représentante EELV Eva Joly, il ne servait plus à rien de pousser jusqu’à Azéo. Fini, l’occupation jour et nuit de l’entrée du site : les 71 salariés de la fabrique, qui conditionnaient à façon parfums et détergents depuis plus de quarante ans, avaient mis un terme à leur courte grève et vidé les lieux, après un licenciement expéditif – comme souvent dans les liquidations judiciaires – signalé d’entrefilets dans la presse locale, malgré les indemnités et le PSE planchers.

Les Azéo sont partis avec les indemnités légales (3/10 de salaire par année de présence selon leur convention collective) et jusqu’à 2 000 euros d’aide à la formation (pour les plus de 50 ans) dans le cadre du PSE arraché, par la grève, auprès de l’administrateur judiciaire. « Autant dire rien. La plupart des salariés étaient au smic », s’indigne Simone El Hocine, ex-secrétaire du CE, 59 ans. L’enveloppe, pour une ouvrière ayant trente ans d’ancienneté, s’est élevée – hors solde de tout compte – à quelque 13 000 euros. Rien de comparable avec les 90 000 euros perçus, en moyenne, par chacun des 330 salariés de M-Real au printemps 2012, grâce au PSE de 62 millions d’euros négocié des mois durant par l’intersyndicale CGT-CFE-CGC, qui finance une antenne emploi, des formations, en sus des indemnités légales et supralégales.

« C’est le fruit d’une lutte exemplaire menée pendant deux ans par les salariés », martèle Gaëtan Levitre, maire communiste d’Alizay depuis 1977. Qui finit bien. Les M-Real, qui ont obtenu de leur actionnaire finlandais que le site puisse être réindustrialisé, même par un autre papetier, doivent annoncer mi-décembre le nom du repreneur avec, espèrent-ils, 260 emplois à la clé. Les Azéo n’en conçoivent pas d’amertume, selon Eva Joviac, extrésorière du CE. Quoi de comparable entre la « troisième machine à papier d’Europe » (200 millions de bénéfices en 2011) et la fabrique d’aérosols, désert syndical et déficitaire ? « On n’a pas été traités comme les M-Real. Mais fermer une boîte qui fonctionne bien, c’est pire encore », soupire l’ex-agent d’accueil à la logistique, 60 ans, qui a connu les belles heures d’« une usine tournant à toute allure jusqu’aux années 90 », avec près de 500 salariés l’été.

Engrenage. Sa liquidation, le 20 janvier, n’en reste pas moins un traumatisme dans la vallée de l’Andelle, qui concentre depuis 2010 un tiers des destructions d’emplois de l’Eure. « Quelques mois auparavant, le directeur présentait aux habitants, en débat public, les travaux d’aménagement du site, classé Seveso seuil haut », rappelle le maire d’Alizay, encore surpris. Comme Frédéric Leclerc, le directeur adjoint de la Direccte, chargé du dossier « mutations économiques », qui parle d’« occasion manquée » : « La direction d’Azéo n’a pas prévenu l’État qu’elle allait saisir le tribunal de commerce. Dans le temps court de la procédure collective, nous n’avons pas pu l’aider à retrouver un repreneur avec un cabinet spécialisé ou l’appui de l’agence de développement économique. Pourtant Azéo avait un marché, un carnet de commandes rempli, peu de concurrence locale », égrène-t-il. Chez les ex-Azéo, c’est le sentiment d’avoir vécu « une mort à petit feu », jusqu’à l’humiliation, qui prévaut. « On a été virés comme des chiens. Je comprends la colère des anciens qui se sont mis en quatre pour que ça tourne », tonne Laurent Lambany, 41 ans, récent embauché. Tous les signaux, pourtant, étaient passés au rouge depuis le rachat en 2008 par le groupe Kapa Reynolds. Comme autant de témoins d’une ges tion défaillante : succession de bilans déficitaires, approvisionnements ir réguliers, enfouis sement des cuves de gaz sans cesse différé malgré les mises en demeure de la direction ré gionale de l’environnement, de l’amé nagement et du logement (Dreal). Jusqu’à l’absence de chauffage dans l’atelier, constatée en 2010 par l’Inspection du travail. « On se rendait compte que quelque chose ne tournait pas rond : le fonds de roulement était si faible. Mais la direction nous assurait que le groupe allait rétablir la situation », rappelle Eva Joviac. Jusqu’à la convocation extraordinaire du CE, un jeudi, pour apprendre que la cessation de paiements serait signifiée au tribunal… dès le lundi suivant. « Ça a été l’engrenage », soupire Simone El Hocine. Malgré l’in tervention de la sous-préfecture, qui a obtenu un rééchelonnement des travaux exigés par la Dreal.

Face à cette fermeture express, le directeur adjoint de la Direccte a tenu lui-même à expliquer aux opératrices, ma nuten tion nai res et caristes d’Azéo, sur le piquet de grève, l’accompagnement dont ils pourraient bénéficier. Le contrat de sécurisation professionnelle (CSP), bien sûr, proposé par Pôle emploi à tout licencié économique d’entreprise de moins de 1 000 salariés, qui donne droit à un suivi renforcé et facilite l’accès à la formation, sans perte de revenus pendant un an. Sans compter les services de la cellule territoriale interentreprise. « Un sas indispensable pour passer du collectif de travail à la recherche individuelle d’emploi, précise Frédéric Leclerc. On ne peut pas occulter le choc psychologique ni le sentiment d’abandon chez les salariés, surtout lorsque le licenciement est rapide. »

Pour faciliter la venue des Azéo, les réunions se sont tenues au plus près de la fabrique, à Alizay. Le menu ? Selon les besoins des salariés : atelier sur les techniques de recherche d’emploi, les aides à la mobilité, ou formations en groupe. « Nous sommes complémentaires de Pôle emploi. L’essentiel est le maintien du suivi personnalisé, avec des actions individuelles et collectives ciblées ; pas de mettre en place des actions chronophages », explique Manuela das Neves, de la Sodie, qui dirige la cellule forte de deux consultants.

C’est ici que Christine Levavasseur, 48 ans dont vingt-neuf chez Azéo, a décidé de passer son permis de conduire. Indispensable lorsqu’on envisage des temps partiels dans la restauration-brasserie : « Je devrai beaucoup me déplacer, pour le service du midi, du soir, les extras du week-end », souffle l’ex-opératrice d’emballage, en formation en alternance d’une année. Ici aussi que Sophie Binet, 41 ans, a opté pour un CAP en comptabilité. « Je ne savais pas quoi faire. Il n’y avait pas de validation des acquis correspondant à “technicienne de planification sur chaîne”. » « Entre Pôle emploi, qui travaille avec Altedia, et la Sodie, on est bien suivis ! » reconnaît Laurent Lambany, 41 ans, qui prépare un CAP d’installateur sanitaire en neuf mois pour monter son entreprise. Plus question pour l’opérateur chargé de la destruction des aérosols chez Azéo de reprendre le col lier de l’intérim. Il l’a fait vingt ans : « Au moins, les métiers du bâtiment ne se perdent pas. Il y aura toujours des robinets à changer. » Idem pour William Mercier, 54 ans, entré à 16 ans chez Azéo comme cariste magasinier, qui a préféré neuf mois de formation d’agent d’entretien dans le bâtiment « à la perspective de courir le contrat ».

30 % de salaire en moins. C’est le casse-tête du chargé des relations entreprises à la Sodie : l’essentiel de l’offre d’emploi dans la vallée passe par l’intérim dans l’industrie et des contrats d’une semaine, surtout pour les faibles qualifications. « À moins de renoncer au CSP, la plupart des ex-salariés d’Azéo ne s’engagent pas sur des contrats de moins de quinze jours », déplore Jean-Chrétien Delforge. Même pour les régleurs, aux compétences prisées, le retour au marché local n’est pas aisé. Si Thierry Chiarrot, 47 ans dont vingt-six chez Azéo, a accepté l’intérim la semaine suivant la liquidation, c’est au prix d’un salaire amputé de 30 %, d’horaires en 5 x 8 et d’un poste de conducteur de machine. « Je repars en bas de l’échelle », reconnaît le technicien, pressenti pour un CDI fin novembre. Seul Dominique Pertuzon, 55 ans, « en CDD dans l’entreprise qui a racheté aux enchères la machine sur laquelle [il] travail lai[t] chez Azéo », a augmenté son salaire, « hors frais de déplacement plus élevés ».

C’est simple, parmi les 57 ex-Azéo suivis par la cellule interentreprise, 50 ans en moyenne, 12 % avaient retrouvé un poste fin octobre, 39 % étaient en formation longue ou courte et… 28 % en recherche d’emploi. Mais la plupart ont adhéré au collectif de 47 salariés défendu par Rachid Brihi, du cabinet Grumbach, qui poursuit Kapa Reynolds pour licenciement abusif et demande 2,7 millions d’euros de dommages et intérêts. Jugement le 14 avril.

Auteur

  • Anne Fairise