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Politique sociale

Le monde agricole ne fait pas rêver les salariés

Politique sociale | publié le : 02.02.2013 | Stéphane Béchaux

Fini, la ferme familiale. Pour rester compétitives, les exploitations s’agrandissent. Et recherchent des salariés permanents. Un défi pour les agriculteurs, qui peinent à recruter et à fidéliser leurs troupes.

Non, le monde rural n’est pas qu’une destination bucolique pour urbains stressés. Il offre aussi de vrais débouchés en termes d’emploi. Ce que la plupart des Français ignorent. À la question « pensez-vous que le secteur de l’agriculture recrute actuellement ? », seuls 14 % d’entre eux répondaient l’an dernier par l’affirmative, selon un sondage de l’institut OpinionWay. Un chiffre ridicule, très éloigné de la réalité, qui a incité la FNSEA à lancer, cet automne, une grande campagne de pub. Son slogan ? « Les métiers de l’agriculture. Ils font tourner la terre ». Un message fort pour rappeler que le secteur recrute des dizaines de milliers de CDI chaque année.

Tractoriste, conducteur de machines agricoles, agent de polyculture, vacher, porcher, ouvrier viticole… La liste des métiers en tension est longue. « On a une centaine d’offres d’emploi à pourvoir. Dont 30 à 40 uniquement dans les élevages porcins. Ceux qui se spécialisent dans cette activité ont du boulot assuré, les employeurs se les arrachent », illustre Gilles Burel, coordinateur de l’Association pour l’emploi et la formation (AEF) Finistère. « On manque cruellement d’ouvriers viticoles tractoristes. Les conditions climatiques sont parfois difficiles mais la rémunération est attractive. Avec une dizaine d’années d’expérience, on peut gagner de 1 800 à 2 000 euros net par mois », complète sa collègue de l’Apefa Var. Deux structures départementales membres de l’Agence nationale pour l’emploi et la formation en agriculture. Une sorte de mini-Pôle emploi spécialisée, créée en 1992 pour développer le salariat dans le monde agricole. « Il y a vingt ans, on a commencé à se rendre compte que la main-d’œuvre familiale et locale ne suffisait plus. Et ça s’est accéléré. Aujourd’hui, les chefs d’exploitation confient de plus en plus de tâches à leurs salariés pour se consacrer au développement de leurs marchés, comme dans n’importe quelle entreprise », explique Gilles Ducret, producteur laitier dans le Jura et actuel président de l’Anefa.

Vieux clichés. Un changement radical de culture. Car, dans le secteur agricole, l’emploi salarié est longtemps resté en marge, l’essentiel de la main-d’œuvre provenant de la sphère familiale. Il y a vingt-cinq ans, en 1988, les 143 000 salariés permanents non familiaux ne comptaient ainsi que pour 7 % des actifs dans les exploitations agricoles de métropole. En 2010, tout a changé. À peine plus nombreux, les 155 000 salariés permanents pèsent désormais 16 % de la force de travail, les chefs d’exploitation et les aides familiaux ayant vu, dans le même temps, leurs effectifs divisés par deux et quatre. « Le fait que les épouses travaillent en dehors et que les jeunes agriculteurs aspirent à davantage de temps libre contribue à l’essor du salariat. Mais le premier facteur, c’est la concentration des exploitations », précise Roger Perret, directeur de l’Institut CGT de recherche et d’études des salariés agricoles. Un phénomène toujours en cours. « Les exploitations de demain auront des surfaces agricoles encore plus grandes. Et, dans l’élevage et la polyculture, on assiste aussi à une forme d’industrialisation », complète Éric Swartvagher, secrétaire général adjoint de la Fédération générale agroalimentaire CFDT.

Contraints de recruter hors de leur cercle de connaissances, les agriculteurs se heurtent à la mauvaise image de leurs métiers. « On traîne encore de vieux clichés. Celui du commis de ferme, qui fait un travail très manuel, sale, par tous les temps. Alors que les techniques ont évolué, le matériel aussi », note Gilles Ducret. « Les pousse-brouettes, c’est fini ! Sur un tracteur ou dans une salle de traite, il y a aujourd’hui plus d’informatique que sur le bureau d’un fonctionnaire », confirme Jean-Pierre Mabillon, de la Fédération FO de l’agriculture. Dignes de l’émission de télé « La Ferme Célébrités », ces représentations ont la vie dure. L’an dernier, 32 % des Français interrogés par OpinionWay se disaient « tout à fait d’accord » avec l’affirmation selon laquelle les métiers agricoles offrent l’avantage de « travailler au grand air ». Mais seulement 15 % y voyaient l’opportunité d’« utiliser du matériel de haute technologie ». Plus gênant, dans le milieu agricole, on se plaint aussi des idées reçues toujours véhiculées par le corps enseignant ou le service public de l’emploi.

Les partenaires sociaux s’emploient donc à combler le déficit d’image du secteur. Depuis trois ans, le Fonds d’assurance formation des salariés des exploitations et entreprises agricoles (Fafsea) cofinance, avec le concours de l’Union européenne, un dispositif original visant à faire découvrir les métiers agricoles aux inscrits à Pôle emploi. Baptisé Adema, celui-ci offre vingt-deux jours de formation indemnisée, dont quinze en immersion dans une exploitation. Avec succès, malgré un démarrage laborieux. Six mois après leur stage, la moitié des « ademistes » – on en comptait environ 7 000 à la fin 2012 – étaient en emploi (30 %) ou en formation (20 %), très majoritairement dans les métiers agricoles. « On ne veut faire ni une usine à gaz ni du traitement social du chômage. Notre ambition, c’est d’accueillir chaque année 3 000 demandeurs d’emploi pour être sûrs de pouvoir leur offrir, ensuite, une solution », insiste Yves Honoré, directeur général du Fafsea.

Sur le terrain, les initiatives se multiplient. Plusieurs territoires proposent aux chômeurs de s’inscrire dans des démarches de formation aux métiers agricoles via le dispositif de la préparation opérationnelle à l’emploi (POE) collective. Le Médoc (Gironde) et le Var recrutent par ce biais de futurs ouvriers viticoles, l’Ille-et-Vilaine des agents d’élevage, le Finistère des agents maraîchers de plein champ. « On propose au public qui gravite autour de l’activité agricole de s’y investir à plein temps. Les vendanges occultent le fait que, dans les vignes et les chais, il y a du travail toute l’année », témoigne Bruno Meunier, directeur de l’Adefa Gironde. « Dans le secteur de Morlaix, il manque entre 100 et 150 personnes chaque année pour les récoltes sous serre et de plein champ. Et il faut bien cinq saisons pour devenir un agent qualifié », explique Marie-Aline Mignon, de l’AEF Finistère. Ces expériences connaissent globalement des démarrages difficiles. Pas tant par manque de candidats ou d’employeurs que pour des raisons administratives. De l’avis général, le montage des dispositifs de POE s’avère d’une complexité folle.

Parmi les salariés en CDI en 2007, seuls 48 % sont encore chez le même patron trois ans plus tard.

Travail pénible. Pour les agriculteurs, passer maître dans l’art du recrutement ne suffira pas à combler leur déficit de main-d’œuvre. Ils doivent aussi s’attaquer à un second défi RH : la fidélisation. Les partenaires sociaux s’y emploient depuis plusieurs années avec la mise en place d’une complémentaire santé, d’un régime de prévoyance ou d’œuvres sociales au niveau de la branche. Des efforts néanmoins insuffisants. D’après une étude de l’Insee datant de la mi-2011, le tiers des personnels permanents quittent chaque année leur poste. Et le taux de rotation atteint même 42 % dans les groupements d’employeurs, les entreprises de travaux agricoles et les coopératives d’utilisation de matériel. Parmi les salariés en CDI en 2007, seuls 48 % sont encore chez le même patron trois ans plus tard. Et 41 % ont quitté le secteur. « Il suffit par exemple qu’un chantier autoroutier ou TGV traverse un département pour qu’une partie des conducteurs d’engins rejoigne le BTP. En agriculture, beaucoup de gens viennent, puis partent. La vraie question, c’est de savoir si on peut y rester dans des conditions décentes », insiste Philippe Peuchot, de la Fédération CGT agroalimentaire et forestière. « Les activités agricoles constituent un réservoir d’emplois énorme. Mais à condition qu’on regarde en face les problèmes de conditions de travail », abonde le cédétiste Éric Swartvagher.

Port de charges lourdes, postures inconfortables, horaires atypiques, conditions climatiques difficiles, exposition aux ultra-violets… Les sources de pénibilité sont légion. En 2005-2006, les services de santé au travail et la Mutualité sociale agricole ont ainsi mené une enquête sur le vieillissement en agriculture. Il en ressort de « fortes expositions aux risques professionnels des hommes et des femmes, salariés agricoles de 50 ans et plus, au cours de leur carrière, souvent longue et considérée comme pénible ». Des conditions difficiles que le niveau des rémunérations ne compense pas. En 2009, d’après l’Insee, le salaire médian ne dépassait le smic horaire que de 22 %, les viticulteurs s’avérant les plus généreux et les éleveurs de bovins, souvent à faibles revenus, les plus pingres.

Le secteur a beau afficher des taux de fréquence et de gravité en baisse depuis plusieurs années, il n’en demeure pas moins le plus accidentogène derrière le BTP. Et les maladies professionnelles y explosent, poussées par une épidémie d’affections périarticulaires touchant notamment les travailleurs de la vigne et des cultures spécialisées. Et ceci sans tenir compte de l’utilisation massive des pesticides, dont les effets sur la santé font l’objet de nombreuses recherches. Dans leur développement de la culture RH, les métiers agricoles ne sont pas au bout de leur peine.

29 %

des femmes en CDI dans le secteur agricole sont à temps partiel contre

10 %

des hommes. Source : Insee, 2011.

Les pêches aiment les saisonniers, pas les cochons

Au cours de l’année 2009, le nombre moyen de contrats de travail dans le secteur agricole s’établissait à 303 600, selon l’Insee. Une bonne moitié était composée de CDI et un gros tiers de CDD saisonniers. Une moyenne qui reflète très imparfaitement l’activité à un instant donné. Car le nombre de contrats saisonniers varie de un à sept : ils ne concernent que 39 500 personnes en janvier mais 283 700 en septembre, au moment des vendanges. La viticulture a beau recourir largement à l’emploi saisonnier, elle ne figure pas en tête des secteurs les plus consommateurs.

C’est la culture de fruits qui remporte la palme, avec 70 % de CDD saisonniers, utilisés essentiellement en été pour les récoltes de pêches, abricots et cerises et, en automne, pour les pommes, les poires et les prunes. À l’autre extrémité se trouvent les élevages de porcs, avec 9 % de travailleurs saisonniers.

Entre 2002 et 2009, le poids de ces contrats, largement exonérés de charges patronales, s’est accru dans l’emploi salarié total : en nombre d’heures travaillées, ils ont crû de 9 % quand les CDI baissaient de 10 %. « La concentration des exploitations se fait sur la base de leur spécialisation. Ce qui augmente le besoin de main-d’œuvre saisonnière. Il faudrait, au contraire, encourager des démarches équilibrées, avec des exploitations à taille humaine permettant la présence de salariés toute l’année », plaide Roger Perret, directeur de l’Institut de recherche et d’études des salariés agricoles. Au vu des tendances, on n’en prend pas le chemin.

Auteur

  • Stéphane Béchaux