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Politique sociale

Michel Sapin, ministre des accords

Politique sociale | publié le : 02.02.2013 | Emmanuelle Souffi

Sa mission ? Inverser la courbe du chômage. Son arme ? Le dialogue social. Discret et posé, le ministre du Travail a su gagner la confiance des partenaires sociaux. Portrait.

Une fois n’est pas coutume, il arrive en retard. En ce début décembre, la neige a recouvert les routes du Cher. Ils sont quatre jeunes à attendre l’arrivée du ministre, sous les dorures de la salle du conseil régional du Centre. Michel Sapin a choisi de clôturer dans son fief sa tournée sur les emplois d’avenir – d’ailleurs, ne dites pas « contrats d’avenir », sinon il vous en coûtera 2 euros ! Il l’avait démarrée avec François Hollande, à Château-Chinon. Tout un symbole pour ce rocardien. La Nièvre du ministre du Travail, c’est l’Indre. Ses terres, Argenton-sur-Creuse, dont il a été maire pendant dix-sept ans, et où il rentre tous les week-ends bricoler des lampes et compléter sa collection de pièces de monnaie. Chemise rose et cravate violette, l’ex-élu socialiste détend l’atmosphère. « J’ai demandé au président s’il voulait bien me signer un emploi d’avenir. Il m’a rétorqué : “Trois ans, c’est trop long !” »

Neuf mois après sa nomination Rue de Grenelle, celui que tout le monde attendait à Bercy met en musique sans fausse note la partition qu’il avait lui-même écrite quand il était chargé du programme électoral de François Hollande, son ami de trente ans, copain de chambrée et codisciple de l’ENA. Les questions sociales, cet énarque un temps juge administratif n’y connaissait pourtant pas grand-chose. « Mais dès la grande conférence de juillet, il était imprégné des enjeux essentiels », relève Bernard Van Crayenest, président de la CFE-CGC. Ce fan de Philippe Roth cultive la « zen attitude ». « Il y a deux ministres sereins : Marisol Touraine et lui », juge Jean-Patrick Gille, député PS d’Indre-et-Loire.

Pour élaborer la feuille de route de la négociation sur le marché du travail, Michel Sapin a reçu en tête à tête les partenaires sociaux. « C’était du mot à mot pour éviter tout casus belli. Autant Nicolas Sarkozy était clivant, autant lui est un facilitateur », estime Bernard Van Crayenest. Sur sa table basse trône alors Où va la démocratie sociale ?, d’Henri Rouilleault, administrateur à l’Insee, également rocardien. Pas anodin pour celui qui, à 29 ans, a voté les lois Auroux alors qu’il était le benjamin de l’Assemblée nationale. « Les pays qui ont un dialogue social de qualité sont les plus compétitifs. Notre faible anticipation, c’est des points de croissance en moins et du chômage en plus », confie-t-il.

En rondeur et en fermeté. Tel l’empereur Alexandre – il raffole de ses pièces d’or –, Michel Sapin est un fin stratège. Lors du marathon sur l’emploi, patronat et syndicats étaient en liberté surveillée. La CGPME a bataillé pour évacuer la taxation des contrats précaires. « Mais le ministre nous a gentiment fait comprendre qu’il ne tiendrait pas sa majorité sur le crédit d’impôt compétitivité et emploi. Et qu’il vaut mieux négocier nous-mêmes plutôt que de se voir imposer un texte », note un négociateur patronal. Tout en rondeur. Et en fermeté… Michel Sapin ne s’en laisse pas compter. « Il possède une colère froide qui vous fait vite comprendre qu’il faut retravailler le dossier », lance un ancien collaborateur. Mais, à la différence de son héros antique, il est plutôt pacifiste. « Homme de consensus, il n’arrive pas avec des projets ficelés », observe Jean-? Patrick Gille, rapporteur du texte sur les emplois d’avenir. La preuve, sur les contrats de génération, les partenaires sociaux en ont fait à leur guise, ajoutant ainsi l’obligation de négocier dans les entreprises de 50 à 300 salariés. « Il refuse les usines à gaz. C’est le bon sens terrien », plaisante un représentant patronal. Le ministre connaît bien les difficultés des entreprises de sa région. « Il a le souci des PME, il sait qu’elles sont le vivier économique », poursuit ce négociateur.

Pour le moment, le locataire de Grenelle n’a pas dérapé, se contentant d’éteindre les pétards mouillés allumés par d’autres

Le Berrichon est un habitué des compromis difficiles. Comme avec les Verts, lors de la campagne présidentielle. Déjà, en 1992-1993, alors ministre de l’Économie, il bataille des nuits entières avec les Allemands pour défendre le franc et sauver l’euro. En 1998, pour s’emparer de la région Centre, bastion de la droite, il réunit toute la gauche. Avec le soutien de la rue, le candidat contraint à la démission le président UDF, Bernard Harang, élu grâce aux voix du FN. « Sa finesse a permis de faire rentrer dans le rang une partie de la classe politique », se souvient Nicolas Sansu, député-maire (PC) de Vierzon. Durant ses cinq années de mandat, le socialiste imprime sa marque, un peu à la manière d’une Ségolène Royal qu’il a soutenue en 2007. « Ses détracteurs lui reprochent d’avoir utilisé la région comme tremplin, note Hervé Novelli, maire UMP de Richelieu, qui l’a côtoyé en 2004. Mais il a été un président efficace et pugnace. »

Gratuité des manuels scolaires dans les lycées, essor des transports, conditionnement des aides publiques à des obli gations d’embauche et remboursement en cas de non-respect… Mais aussi hausse des impôts et assainissement des finances locales. « Son approche politique est fondée sur le donnant-donnant, résume son vieil ami François Dumon, vice-président communiste du conseil régional. C’est un social-démocrate qui s’assume. » Entre eux, surtout au moment des attaques des communistes contre le projet de loi de finances, les échanges ont parfois été vifs. Mais toujours courtois. Comme avec l’opposition locale. « Je ne l’ai jamais vu s’énerver en séance publique », se rappelle Philippe Guibert, son ancien directeur de cabinet. Enfant, ce fils unique s’est forgé une conscience politique au son des joutes verbales de sa mère, mitterrandienne, et de son père, démocrate-chrétien.

Dans ce concert de louanges, difficile de lui trouver des ennemis. « Il a cette capacité à susciter la confiance quel que soit le bord politique », s’étonne Éric Lombard, son ancien conseiller, aujourd’hui P-DG de BNP Paribas Cardif. Une modération qui en fait un adversaire respecté. « À l’écart des outrances que commettent certains acteurs politiques, nous avons besoin d’hommes de dialogue, privilégiant le fond. Et Michel Sapin en fait partie », reconnaît le centriste Jean Arthuis, qui a coécrit avec lui La France peut s’en sortir ! (éd. L’Archipel, 2012).

Pour le moment, le locataire de Grenelle n’a pas dérapé, se contentant d’éteindre les pétards mouillés allumés par d’autres, comme Jean-Marc Ayrault sur les 35 heures. Pour lui, un ministre se doit d’être « obéissant ». Gérard Larcher, son prédécesseur et chantre du dialogue social, ne disait pas autre chose… Il n’a pas pipé mot quand Arnaud Montebourg a brandi la menace d’une nationalisation pour sauver Florange. Il n’en pensait pas moins. Celui qui se rêvait archéologue sait rester loyal. Quitte à ce que certains lui fassent de l’ombre. « Il n’a pas une grande appétence médiatique. Le monde audiovisuel favorise les formules à l’emporte-pièce alors que lui préfère convaincre plutôt qu’impressionner », confie un collaborateur.

Indécrottable optimiste. Quant à sa faible présence sur le front des plans sociaux, il a une réplique toute trouvée : « Tant que le ministère de l’Industrie s’exprime, tout n’est pas encore fini. Si c’est moi, c’est qu’il est déjà trop tard. » Michel Sapin reste Monsieur Chômage. Cet indécrottable optimiste veut croire à « un rebond aussi brutal » que la crise, à la fin de l’année, grâce aux effets conjugués des emplois d’avenir, des contrats de génération, du renforcement des moyens de Pôle emploi, du crédit d’impôt compétitivité et emploi… À l’aise avec les journalistes – il a épousé une reportrice des Échos en secondes noces – il aime traîner après une conférence de presse, un verre de Perrier à la main, pour préciser le financement du contrat de génération ou la revalorisation du smic.

Présenté à la fin du mois, le texte sur la réforme du marché du travail constituera son véritable baptême du feu parlementaire. Trop flexible, il déclenchera les foudres de l’aile gauche de la majorité. Trop protecteur, celles des sociaux-démocrates et des agences de notation. Le soldat Sapin devra faire preuve de ses talents d’équilibriste. Dans son bureau, sa collection d’éléphants vient lui rappeler que sagesse et résistance restent les meilleures des vertus dans la jungle politique.

Michel Sapin, ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social

“Inaugurer une social-démocratie à la française”

Neuf mois après votre arrivée Rue de Grenelle, regrettez-vous de ne pas avoir été nommé à Bercy ?

Les ministères les plus passionnants sont ceux qui permettent de laisser une trace. Un peu comme l’écume des jours… La raison pour laquelle François Hollande a voulu que je sois ici, c’est pour restaurer le dialogue social. Durant la campagne présidentielle, il a été le seul à souhaiter le constitutionnaliser, ce qui n’est pas simple compte tenu de la culture française. Le dialogue social incarne une forme d’expression de l’intérêt général. Et c’est une belle trace que d’inaugurer une social-démocratie à la française.

Y a-t-il une méthode Sapin ?

Plus qu’une méthode, il s’agit d’une volonté politique, celle de laisser les partenaires sociaux être parties prenantes dans la société. Une loi issue d’un accord, majoritaire et équilibré, comme sur les contrats de génération et l’emploi, est plus stable dans la durée.

Quand vous êtes dans l’unilatéral, dès qu’il y a un changement de majorité, on détricote. Et ça n’est pas bon pour les employeurs. À la différence de l’ère précédente, nous n’opposons pas les uns et les autres. Nicolas Sarkozy convoquait patronat et syndicats et leur laissait quelques semaines pour négocier sur la compétitivité.

On nous reproche de ne pas prendre de décisions, de déléguer aux partenaires sociaux des mesures que nous n’aurions pas le courage de prendre, alors qu’il y a urgence. C’est faux ! Il n’y a aucune stratégie ! Nous agissons, mais dans le respect de ceux qui connaissent le monde de l’entreprise, tout en donnant des ordres de direction.

Comment exister face à l’omniprésence d’Arnaud Montebourg ?

Je n’ai pas de problème de notoriété. Mes domaines d’action ne font pas forcément le 20 Heures, ce qui n’atténue pas leur importance pour les Français. Je préfère exister de façon solide et pérenne… Je suis certes le ministre des 3 millions de chômeurs, mais aussi des 25 millions de Français qui travaillent et des 5 qui sont en mal-emploi. L’urgence, c’est le chômage. Mais il ne faut pas oublier ceux qui souffrent de conditions de travail dégradées. Nous avons un marché du travail d’une flexibilité sauvage inédite ! Et les jeunes en sont les premières victimes.

Propos recueillis par Emmanuelle Souffi et Jean-Paul Coulange

Auteur

  • Emmanuelle Souffi