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La justicière de l’amiante dérange

Actu | Eux | publié le : 02.03.2013 | Emmanuelle Souffi

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La justicière de l’amiante dérange

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Partira ? Partira pas ? À l’heure où nous écrivons, les pronostics allaient encore bon train sur un départ de la « Erin Brockovich » du palais de justice de Paris. La « juge Bertella », comme la surnomment les victimes, pourrait quitter le pôle de santé publique dont elle a pris la tête en 2003. Oui mais voilà, les dix ans de laborieuse instruction sur le scandale de l’amiante et sur les plus grandes affaires sanitaires (sang contaminé, hormones de croissance, hépatite B…) ne font pas le poids face à la tuyauterie juridique. En vertu de la loi organique sur la mobilité des magistrats qui limite à une décennie l’activité des spécialistes, la sexagénaire devrait quitter ses fonctions le 3 mars. Elle argumente qu’à l’époque sa nomination en tant que première vice-présidente chargée de l’instruction n’était qu’un changement de titre, sans modification d’affectation, ni de statut ni de salaire… Donc qu’elle n’a pas à laisser en plan ses dossiers, surtout à un an et demi de la retraite. Certains sont passés à travers les mailles du filet, comme le fameux juge Van Ruymbeke. Intouchable, Bertella ? Le 6 novembre, elle mettait en examen Martine Aubry, ancienne directrice des relations du travail, pour homicides involontaires dans l’affaire de l’usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau (Calvados) où plus de 1 200 salariés ont succombé aux poussières d’amiante. De là à voir un complot politique pour l’empêcher d’aller au bout d’un procès redouté, il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir. Une pétition signée par plus de 1 500 personnes circule pour exiger son maintien en poste.

Il faut dire qu’en dix ans d’instruction cette juriste s’est étranglée plusieurs fois avec son Code pénal. Dernier camouflet, le non-lieu prononcé le 8 février par la chambre de l’instruction dans l’affaire Amisol. Sa présidente, Martine Bernard, fait l’objet d’une requête en récusation déposée par l’Association nationale des victimes de l’amiante (Andeva) qui dénonce ses multiples obstructions. Le 16 janvier, c’est elle qui suspendait la procédure contre Ferodo-Valeo. Déjà, en décembre 2011, la même avait annulé les mises en examen de dirigeants d’Eternit et dessaisi Marie-Odile Bertella-Geffroy. Rétablie dans ses fonctions en 2012 par la Cour de cassation, cette dernière n’a jamais récupéré les épais dossiers, égarés on ne sait où… « Il y a une part d’arbitraire et d’acharnement, pointe l’avocat Jean-Paul Teissonnière, qui défend plusieurs milliers de victimes. Le parquet soutient l’impunité. »

Alors que l’Italie a condamné deux ex-patrons d’Eternit à seize ans de prison et 100 millions d’euros d’indemnités après cinq ans d’instruction, la France peine à faire son mea-culpa judiciaire. Cette Italienne par mariage en rêve pourtant… Déterminée, voire butée, elle n’a cessé de dénoncer les maigres moyens dont elle disposait pour mener à bien sa mission. Un seul officier de police judiciaire pour l’épauler – et encore, à temps partiel –, un juge en cosaisine, désormais accaparé par l’affaire du Mediator… Isolée, facilement irritable, elle s’entend mal avec les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, qui lui reprochent son côté « tatillon ». « L’amiante met en cause les pouvoirs politique, économique, industriel, sanitaire, dénonce François Desriaux, vice-président de l’Andeva. Beaucoup estiment inutile d’obtenir des condamnations s’il y a déjà eu indemnisation. Mais ce scandale fait 3 000 morts par an ! » On a souvent reproché à la juge sa lenteur. Mais seize ans après la première plainte à Jussieu, il ne lui restait plus qu’un an avant de renvoyer plusieurs affaires au tribunal correctionnel. Christiane Taubira, la garde des Sceaux, s’est engagée auprès de l’Andeva à réexaminer le dossier de mutation de la juge. Elle devait rendre sa décision fin février.

MARIE-ODILE BERTELLA-GEFFROY

64 ans.

Juge d’instruction au pôle de santé publique.

1976

Juge d’instruction à Chartres.

1996

Dépôt de la première plainte de victimes de l’amiante.

2003

Création du pôle de santé publique au TGI de Paris.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi