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Vie des entreprises

Les “plans de sauvegarde de l’emploi” successifs

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 04.05.2013 | Jean-Emmanuel Ray

Sauvegarder des emplois ne se limite évidemment pas à nos procédures de « plans de sauvegarde de l’emploi ». C’est le plus en amont possible qu’il faut agir, comme le proposait l’ANI de janvier 2013 légalisé par la loi Sapin, qui veut voir se succéder dialogue social rénové, gestion prévisionnelle négociée des mobilités, accord de maintien dans l’emploi et enfin PSE.

Le PSE est-il une solution vraiment ultime ? De jurisprudence en loi puis de loi en jurisprudence, le PSE à chaud avait fini par devenir dans les grandes entreprises la chapelle Sixtine de toute la gestion de l’emploi à froid. Qu’il s’agisse de GPEC, de mobilité interne ou de projet de suppression de postes, la question centrale était devenue : dans le futur PSE ou plan de départs volontaires que vous allez devoir monter, combien de mois de salaire mettrez-vous en plus des indemnités légales et conventionnelles ? Or, comme un PSE/PDV doit être nécessairement attractif et qu’il évite occupations de site et autres débordements médiatiques, sans parler du contentieux à retardement sur la cause réelle et sérieuse (prud’ hommes, cour d’appel…), direction et syndicats y trouvaient in extremis un terrain d’entente, tacite ou exprès. C’est ce cercle vertueux en termes de paix sociale, mais vicieux en termes d’inscriptions à Pôle emploi que l’ANI du 11 janvier 2013 puis la loi Sapin ont voulu briser.

SORTIR DU TOUT PSE JUDICIARISÉ

Dans la droite ligne de l’ANI, cette loi vise à favoriser la flexibilité interne, à anticiper à froid tout en dissuadant d’avoir recours aux licenciements économiques, et surtout aux PSE. Mais elle veut aussi aller beaucoup plus loin.

– À long terme, elle espère une amélioration de notre compétitivité grâce au dépassement de notre rugueux et donc peu réactif dialogue social à la française, qui tombe plus facilement dans la confrontation et l’idéologie d’une société de défiance réciproque que dans une pragmatique concertation. Vaste programme : passer à un « nouveau modèle économique et social » (titre de l’ANI) en mettant tout sur la table, sous le signe de la loyauté et de la transparence ! Participation gaullienne des salariés à la gestion des entreprises du Préambule de 1946 avec la présence de salariés au conseil d’administration, mais aussi information du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques, création de la base de données unique (la BDU, dont on n’a pas fini de parler en temps de guerre économique). Acte de foi ou d’espérance ?

– Avec la GPEC Borloo de 2005 devenue GPNEC Sapin en 2013 (gestion prévisionnelle négociée de l’emploi et des compétences), il s’agit d’intervenir le plus en amont possible des restructurations, avec négociation sur la mobilité géographique et professionnelle ou le plan de formation. Mais le salarié refuznik ne pourra plus attendre un licenciement économique largement indemnisé dans le cadre d’un PSE puisqu’il n’y aura plus de PSE à monter : en cas d’accord collectif de mobilité, son éventuel licenciement sera certes économique, mais individuel, même si plus de 10 salariés sont concernés.

– À chaud, les véritables plans de sauvegarde de l’emploi existants que sont les « accords de maintien de l’emploi » en cas de graves difficultés conjoncturelles sont nécessairement signés à la majorité absolue, pour au maximum deux ans. Ici aussi, les refuzniks éventuels seront licenciés hors PSE.

Solution sévère ? Limiter les charmes vénéneux et donc l’attractivité des PSE/PDV était la condition sine qua non du succès des mécanismes de flexibilité interne créés par la loi pour « sauvegarder des emplois ». Mais, au bout du chemin, qu’advient-il lorsqu’un PSE s’impose ?

LE PLAN DE SAUVEGARDE DE L’EMPLOI APRÈS LA LOI SAPIN

PSE négocié ou unilatéral ? La question se posera rarement ainsi dès le départ car il est peu probable que des syndicalistes soient partants pour en cogérer les conséquences. Mais, contrairement à la lettre du texte (« à défaut d’accord… »), la loi nouvelle ne crée pas une nouvelle obligation de négocier, ni même, semble-t-il, une priorité obligée qui mettrait les syndicats dans la délicate position de devoir refuser toute participation à la « sauvegarde de l’emploi ». L’employeur commencera donc, à l’ancienne, par monter un plan unilatéral, la procédure d’information du comité d’entreprise (avec un éventuel accord de méthode élargi) pouvant de facto déboucher sur une négociation avec les syndicats représentatifs au niveau considéré.

LE RÔLE CENTRAL DU DIRECCTE

L’omniprésence du juge judiciaire, qui ne peut répondre que par oui ou non, avec une décision qui tombe souvent bien tard mais aussi aux effets rétroactifs ingérables, a montré ses limites. C’est donc l’administration du travail (au niveau de la Direccte, et non de l’Inspection du travail) qui s’y substitue pour suivre et enrichir en temps réel le PSE, en amont des licenciements : avec sa connaissance de l’entreprise, mais aussi des diverses aides ou subventions dont pourrait bénéficier la société en cause. Tout est conçu pour éviter le recours au juge judiciaire.

– De facto par un accord, signé à la majorité absolue, donc moins susceptible de contestation.

– De jure car le Direccte est également chargé du contrôle de la procédure. Fini, pour l’essentiel, les référés devant les TGI. Il n’est pas certain que ces derniers se plaignent de la disparition de ce très médiatique contentieux politico-syndical ultrasensible localement… Certes, les moyens des Direccte ne vont pas brusquement augmenter. Mais elles étaient déjà censées suivre de près les PSE, pouvant émettre un « avis négatif » en cas de violation des procédures, et un « constat de carence » si le contenu du PSE était jugé insuffisant. Les délais sont-ils ridiculement courts, le Direccte ayant seulement quinze jours à trois semaines pour se prononcer ? Rappelons que ces délais courent après la notification du PSE par l’employeur. Or l’administration sera saisie bien en amont (plusieurs mois si plus de deux cent cinquante salariés sont en cause)…

Le contrôle judiciaire des PSE disparaît donc, en raison d’une « validation » de l’accord collectif ou de l’« homologation » d’un PSE unilatéral. Décisions qui font grief, donc susceptibles de recours, mais pas hiérarchique, devant le ministre, et directement devant le tribunal administratif dans le cadre d’un nouveau bloc de compétences, ce qui se révélera peu attractif. Surtout lorsqu’on sait que ce dernier, puis la cour administrative d’appel et le Conseil d’État ne statueront évidemment pas sur le PSE lui-même, mais sur la seule décision administrative.

Mais les Direccte sont désormais en première ligne, et il n’est pas exclu qu’il faille y installer quelques solides sas d’entrée. Car c’est là que se passera désormais l’essentiel d’une négociation tripartite.

UN TAUX D’HOMOLOGATION À 90 % ? TANT MIEUX !

D’ici à un an, nous aurons les premiers chiffres relatifs aux validations des PSE négociés et aux homologations : 95 % dans le premier cas, 85 % dans le second ? Et les opposants à l’ANI de condamner l’ad ? ministration du travail « se contentant d’accompagner ces restructurations destructrices d’emplois, sans parler des homologations tacites, véritable scandale ! ». Sur ce dernier point, ils auraient raison : il paraît impensable que lorsque plus de 10 licenciements économiques sont en jeu, la Direccte ne s’en occupe pas. Mais c’est justement car une telle acceptation tacite est socialement inacceptable qu’elle sera marginale, les PSE étant prioritaires. Ces taux soviétiques d’acceptation ? Sont-ils le signe d’une grande paresse, d’un lâche laisser-aller de l’administration, ou au contraire d’une intervention efficace en amont du dépôt officiel du plan finalisé ?

Il faut avoir un QI faible pour penser que l’employeur va construire son PSE dans son coin, passer à la phase information-consultation du CHSCT puis du comité d’entreprise, recueillir leur avis, aller déposer ces deux documents au Direccte puis attendre sa réponse, à coups de Lexomil.

Il va de soi qu’au contraire, et au-delà de la première notification officielle intervenant le lendemain de la première réunion du comité, le chef d’entreprise s’en rapprochera dès le début du montage du PSE : pour évoquer par exemple un éventuel recours au chômage partiel (pardon, à « l’activité partielle »), ou ses projets en matière de revitalisation. S’ensuivront de nombreux échanges, plus ou moins formels, les syndicats et le comité d’entreprise ne restant pas eux-mêmes inactifs sur ce terrain. Remarques du Direccte, par exemple, sur un taux surprenant de seniors, un plan de reclassement interne limité à la région ? Propositions de l’administration (auxquelles l’employeur doit « adresser une réponse motivée » : L. 1233-57-6) après un PSE éthique malgré l’excellente santé du groupe ? L’employeur ne restera évidemment pas les bras croisés et, avant le dépôt officiel, se remettra rapidement à l’ouvrage… Car, finalement, un refus d’homologation ferait vraiment désordre, l’obligeant à reproposer quelques semaines plus tard, après moult quolibets des syndicats victorieux et de la presse locale, un plan acceptable et donc accepté. S’il passe outre un refus ? Les licenciements seront nuls, avec réintégration à la clé (L. 1333-39).

QUEL NIVEAU DE CONTRÔLE POUR LE DIRECCTE ?

S’agissant d’un PSE négocié ayant donné lieu à un accord positivement majoritaire, on peut prévoir un contrôle très prudent. Mais que les entreprises n’y voient pas un blanc-seing automatique côté administration. Exemple : un accord unanime car prévoyant un plan de départs volontaires exceptionnellement attractif, que les syndicats soumis à une très forte pression de leur base ont ratifié volens nolens. Si, curieusement, il apparaît que les seniors y seront fort nombreux et/ou que les « aides à la création d’entreprise » cachent de gros chèques départ avec inscription peu différée à Pôle emploi, le Direccte pourra légitimement refuser que la collectivité nationale prenne en charge ces futurs chômeurs de longue durée. Mais on conseille alors à cet empêcheur de licencier en rond d’éviter les abords de l’usine pendant quelques mois.

FLASH
Quid des PDV ?

Ceux qui s’étonnent – à tort – de l’absence des PDV dans la loi Sapin devraient être doublement rassurés.

D’une part car une intervention du législateur en ce domaine très controversé n’aurait pas été dans le sens du « choc de simplification » souhaité par le gouvernement : en règle générale, la loi Sapin, traduction d’un ANI compliqué, n’en prend d’ailleurs pas du tout le chemin. Ainsi de la simple numérotation s’agissant du seul licenciement économique : L. 1233-90-1…

Car, d’autre part, un PDV peut, comme auparavant, être inclus dans la seconde partie du PSE, aux conditions habituelles. Avantage collatéral : si ce dernier est homologué, l’entreprise sera à l’abri d’une contestation judiciaire relative à ce dernier : la jurisprudence de plus en plus stricte de la chambre sociale sur les PDV s’arrêtera là… sauf si – mauvaise idée – elle y voit un jour un licenciement économique déguisé.

Car quelle est la différence essentielle entre l’autorisation administrative 1975-1986 et ce nouveau contrôle administratif ? Celle de la cause réelle et sérieuse, énoncée dans chaque lettre de licenciement et qui relève du juge judiciaire, avant comme après la loi Sapin.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray