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Idées

Faut-il réformer la collecte et la gestion de la taxe d’apprentissage ?

Idées | Débat | publié le : 05.06.2013 |

Dans un rapport remis fin avril à la commission des Affaires sociales du Sénat, François Patriat (Côte-d’Or) préconise une réforme profonde du système de récolte et de redistribution de la taxe d’apprentissage acquittée par les entreprises.

François Patriat Sénateur de la Côte d’Or.

Le président de la République a annoncé la préparation d’un projet de loi sur la formation professionnelle et sur l’apprentissage. Les fonds consacrés à la formation professionnelle représentent 31,5 milliards d’euros, dont environ 8 milliards pour l’apprentissage. Tout l’enjeu est de mieux orienter ces moyens et de mieux définir les priorités de politique publique. La commission des Finances m’a confié l’année dernière une mission de contrôle sur la collecte et la répartition de la taxe d’apprentissage. Ce prélèvement sur les entreprises est de l’ordre de 2 milliards d’euros par an. Il s’agit d’un enjeu majeur à l’heure où la priorité est donnée à la meilleure utilisation des recettes fiscales. Quelle n’a pas été ma surprise de constater, malgré l’empilement des réformes engagées depuis dix ans, l’opacité des méthodes de collecte et l’absence de gouvernance dans la répartition des fonds. Ces constats sévères appellent une réforme urgente et profonde du dispositif. Un trop grand nombre d’organismes de collecte de la taxe d’apprentissage coexistent (141, dont 63 établissements consulaires, 55 Octa nationaux et 23 Octa régionaux) alors que les dix plus « gros » concentrent 51 % de la collecte totale. Cette situation conduit à une concurrence entre les organismes, engendre des pratiques anormales de démarchage et entraîne une très grande hétérogénéité des performances de gestion des organismes de collecte. Les coûts de gestion d’un dossier peuvent varier de 1 à 140. Le contrôle est déficient car l’administration fiscale ne dispose plus de l’information relative au paiement de la taxe par les entreprises : celles-ci autoliquident leur versement. Enfin, il n’existe pas de politique de répartition des fonds. Si les régions perçoivent 22 % de la taxe, le reste est réparti sans stratégie globale autre que celle suivie par chaque entreprise ou organisme collecteur.

Comment favoriser le financement des établissements de formation qui en auraient le plus besoin ? Mes propositions tiennent en trois points : simplification, décentralisation et paritarisme. Il faut réduire à 40 le nombre d’organismes collecteurs nationaux et interconsulaires, renforcer le rôle des régions dans la répartition des fonds libres et intégrer les partenaires sociaux au sein d’une nouvelle gouvernance réunissant l’État et les acteurs de la formation professionnelle autour de la région comme pilote.

Bernard Capron Président d’Agefa PME.

Le véritable enjeu est d’abord de comprendre que l’enseignement professionnel est une voie d’excellence qui prépare nos jeunes aux métiers de demain. Trop souvent nos gouvernements ont privilégié le court terme en réservant l’apprentissage à des décrocheurs scolaires, avec l’espoir d’inverser la courbe du chômage. Ce choix est inefficace. Bien au contraire, l’enseignement professionnel prépare l’avenir. Il donne des compétences aux jeunes pour leur permettre d’évoluer tout au long de leur carrière dans l’économie de demain ; et notamment dans les secteurs en mutation. Ainsi positionné, il est un outil supplémentaire au service de la reprise et de la compétitivité de nos entreprises. L’enseignement professionnel forme des ingénieurs et des futurs cadres. Un apprenti sur trois est inscrit à l’université. Les entreprises plébiscitent ces hauts diplômés déjà prêts à intégrer le marché du travail.

Mais nous sommes tous d’accord, le dispositif de collecte et de gestion de la taxe d’apprentissage est complexe et doit être réformé. Il y a aujourd’hui 141 organismes (Octa) qui collectent la taxe d’apprentissage et distribuent les fonds. C’est trop. C’est pourquoi nous proposons de réduire leur nombre à une vingtaine, en fixant un seuil de collecte à 50 millions d’euros. En outre, le montant du financement varie actuellement d’un établissement formateur à l’autre. Nous proposons de rendre le système plus lisible et plus efficace en fixant des barèmes de dotations par apprenti. Chaque établissement recevrait de la part de l’État (via les régions) et des entreprises (via les Octa) une dotation définie en fonction du niveau de formation et des besoins du territoire. Il y trouvera une stabilité et une pérennité de ses financements. Pour les entreprises, le montant de la taxe n’augmenterait pas.

Ces réformes, indispensables, nous les portons depuis plusieurs années. Mais nous sommes convaincus qu’elles doivent préserver ce qui fait la richesse du dispositif actuel : à savoir la place centrale des entreprises. En effet, via les Octa, les entreprises financent les formations qui répondent à leurs besoins, en associant tous les acteurs à la décision (enseignement, collectivités). Elles doivent rester décisionnaires dans l’attribution des fonds, de préférence aux régions. C’est une garantie en faveur de notre compétitivité.

André Marcon Président de CCI France.

Quasi centenaire, la taxe d’apprentissage est une nouvelle fois dans le viseur, critiquée dans le rapport Patriat pour son opacité et son inefficacité. Certes, des dysfonctionnements dans sa collecte existent. Ils ne peuvent en aucun cas être imputés au réseau des CCI, ni, comme le rapport le fait, au principe de libre affectation des fonds par les entreprises. Quant aux solutions proposées, elles appellent plusieurs remarques. Tout d’abord, nous sommes d’accord avec le projet de rationaliser et de réduire le nombre de collecteurs. En tant que chefs d’entreprise, nous savons combien la simplification est gage d’efficacité. Précisons que les frais de gestion de la taxe d’apprentissage par les CCI représentent moins de 1,5 % du montant de la collecte. Ensuite, il paraît utile et pertinent de maintenir les collecteurs consulaires, au niveau régional. Ils ont fait la preuve de leur efficacité. La création d’un organisme de collecte interconsulaire pourra être examinée le moment venu. Mais il y aurait un mélange des genres si les Opca collectaient la taxe, car leur mission est de gérer les fonds de la formation continue. Des accords de branche imposant aux entreprises un organisme collecteur ne manqueraient pas de créer un système vertical préjudiciable aux politiques régionales de formation. Enfin, à l’idée de privilégier l’apprentissage au travers d’une taxe dédiée, au détriment des autres voies de formation, nous disons non.

Malgré son nom, la taxe d’apprentissage a été instaurée pour financer l’ensemble des formations professionnelles initiales. Toutes, et avec une considération égale pour chacune. Le barème servant au financement des écoles n’est pas un « intrus » qui viendrait dérober de la taxe au profit de quelques grandes écoles dont nous tirons tant de fierté. Remettre en cause ce dispositif obligerait ces écoles à augmenter leurs droits d’inscription, excluant de fait certains jeunes ! Parce qu’elle doit profiter à tous les jeunes, la taxe doit alimenter tous les établissements. Des efforts importants ont été faits ces dernières années pour améliorer le financement de l’apprentissage. Il faut en mesurer les effets avant toute décision. Il y a au moins autant d’importance à poursuivre le dialogue que d’urgence à réformer. Aussi sommes-nous ouverts à une concertation nationale et régionale qui permette d’optimiser les dispositifs de formation, dans l’intérêt de nos jeunes, de nos entreprises et de nos territoires.