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Décodages

Des salariés américains suivis à la trace

Décodages | Ressources humaines | publié le : 01.09.2013 | Caroline Crosdale

Des entreprises américaines utilisent des capteurs pour mesurer l’impact des interactions entre salariés sur la vie au bureau, la productivité et la culture d’entreprise. Et se défendent de jouer les Big Brother.

Souriez, vous êtes observé. Pour mieux travailler ensemble, comprendre les relations entre les employés et leurs chefs, faire grimper la productivité, rien de mieux que les capteurs sociométriques, des badges enrichis capables de mesurer les interactions entre les uns et les autres en enregistrant voix, expressions faciales, mouvements. C’est en tout cas ce qu’assure le Dr Ben Waber, cofondateur avec une équipe du MIT de la start-up Sociometric Solutions, il y a sept ans.

Il s’agit de demander à un petit groupe test de porter, dès le matin au bureau, les fameux badges pendant quatre semaines. Histoire d’enregistrer où sont les employés, avec qui ils parlent, comment ils parlent, quels lieux ils fréquentent… Attention, Ben Waber ne joue pas au Big Brother. Ses capteurs n’espionnent pas le contenu des conversations. « C’est comme regarder un film étranger en enlevant les sous-titres », explique-t-il. Les scientifiques de Sociometric solutions s’intéressent aux intonations, à la manière de parler, aux personnels rencontrés dans une journée, aux lieux fréquentés, cafétéria, machine à café… « Nous repérons les modes de comportement, les différentes façons de collaborer et nous les mesurons », dit Ben Waber. Fini, les coachs aux intuitions fulgurantes qui promettent de tout révolutionner au petit bonheur la chance. Ben Waber, lui, croit aux vertus des statistiques, il quantifie. Ses études procurent aux entreprises ce qu’elles réclamaient depuis longtemps : des données chiffrées, concrètes et rassurantes sur des tranches de vie au bureau.

Et Ben Waber de citer son travail dans un centre d’appels de Bank of America. Les capteurs ont enregistré combien de fois les employés se lèvent dans la journée, ont mesuré leurs interactions avec les collègues, les temps de pause… Et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les scientifiques se sont aperçus que les employés les plus productifs étaient ceux qui échangeaient le plus avec leurs voisins de ­bureau, pas les stakhanovistes solitaires rivés à leur téléphone. « Ces emplois sont pénibles, vous avez souvent affaire à des clients difficiles, note Ben Waber. Le soutien apporté par l’équipe soulage l’employé et il travaille mieux. » Forte de ces conclusions, la direction de la banque a alors aménagé des pauses groupées et des espaces plus agréables pour prendre un café. La productivité a crû de 10 %. Le turnover, autrefois de 40 % l’an, a été réduit à 12 %.

Pas d’oreilles indiscrètes. Bien sûr, la tentation d’abuser de ces nouveaux outils de contrôle est irrésistible. Le chef aimerait aller plus loin. Il veut savoir ce que pensent vraiment les salariés, comment un responsable de service se comporte, quelle est la vie privée des troupes… Mais Ben Waber refuse de jouer les oreilles indiscrètes. La direction de l’entreprise s’engage à ne pas voir les données individuelles, aucun nom n’est marqué sur le badge. L’expérience se fait sur la base du volontariat. Seuls les intéressés, s’ils le désirent, auront accès à leur propre dossier. « Ils auront une copie de leurs interactions », explique Dave Lathrop, directeur des espaces de travail futurs du groupe steelcase. La société, spécialiste du mobilier de bureau, vient de réaliser un test de quelques semaines avec 70 employés à la fin 2012. Et ces derniers se sont vu offrir un discret feed-back sur la qualité de leur travail avec les autres. « Ils sauront ainsi s’ils dominent la conversation ou s’ils ont un style plus participatif », indique Dave Lathrop. Grâce à ces capteurs et au suivi du trafic des e-mails, le directeur de Steelcase est persuadé d’avoir mis la main sur des outils bien plus riches que les enquêtes internes. « Le sondage dépend de la façon dont la personne interrogée se souvient d’un fait, c’est une perception subjective, poursuit-il. Le capteur enregistre chaque seconde, il permet d’analyser un geste, l’expression du visage, les signes non verbaux. » Dave Lathrop se dit déjà surpris par les premières conclusions. « Intuitivement, note-t-il, on croit que les gens éloignés communiquent plus par courrier électronique. En fait, ils font l’effort de se voir plus fréquemment. » le responsable des espaces de travail a de même été surpris par les lieux préférés de rencontre des uns et des autres. Il pariait sur la cafétéria, mais « les salariés préfèrent se retrouver autour d’une personne clé ».

Des espaces à revoir. La Dre tracy Brower, responsable de la performance environnement chez Herman Miller, le designer de bureaux, dit, elle aussi, avoir été étonnée par les études réalisées chez ses clients Microsoft, Kimberly-Clark, le fabricant de soupes Campbell… Tracy Brower place depuis bientôt trois ans ses capteurs sur les meubles des clients curieux. Elle réalise des tests avant et après les réaménagements dans les espaces de travail repensés pour voir si les objectifs désirés ont été atteints. « Certains veulent renforcer leur culture, d’autres réclament plus de travail d’équipe, un mode de décision plus rapide… » Et de prendre l’exemple de l’optimisation des espaces de travail. « Les open spaces sont occupés à 35 %, les bureaux privés à 20 %, explique-t-elle. Cela veut dire que les gens ne restent pas dans leur bureau. Nous avons besoin de revoir le design en créant des espaces individuels plus petits, du travail à distance et des lieux de rencontre différents. »

Les experts d’Herman Miller ont ainsi constaté chez Microsoft que les salles de réunion prévues pour 20 personnes étaient le plus souvent utilisées par deux ou trois employés. Mieux vaut donc réduire la surface de ces salles. Et si l’entrepreneur désire cultiver un esprit collaboratif, Tracy brower propose de petits lieux informels de rencontre dans les couloirs, avec une table haute et deux ou trois tabourets, un certain nombre d’écrans et de tableaux pour faciliter le remue-méninges. Ces nouveautés seront bien sûr testées dans de petits groupes. Car « les clients demandent de plus en plus de données quantitatives pour prendre leurs décisions », avoue Tracy Brower. Une évidence qui se confirme chez Google. La culture d’ingénieurs de la firme fait que Pops (people operations), son département ressources humaines, est devenu le roi des mesures. De quoi encourager les files d’attente de trois à quatre minutes à la cafétéria afin de ne pas perdre trop de temps et d’en avoir suffisamment pour rencontrer les nouveaux venus. Un savant dosage entre temps perdu et temps gagné.

REPÈRE

50

C’est le nombre d’entreprises américaines qui, au printemps 2013, avaient déjà eu recours au système des capteurs.

Source : Sociometric Solutions.

Auteur

  • Caroline Crosdale