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Décodages

Où sont les réformes d’Angela Merkel ?

Décodages | Politique | publié le : 01.09.2013 | Thomas Schnee

Gestionnaire prudent de mesures initiées par les sociaux-démocrates, le gouvernement Merkel II se préoccupe des pénuries de main-d’œuvre à venir. Mais renâcle à agir sur l’essor de la précarité, revers de la réussite économique allemande.

À l’approche des élections législatives du 22 septembre, la bonne tenue de l’économie allemande et un recul du chômage à faire pâlir d’envie les voisins européens suffisent-ils à faire un bon bilan ? Beaucoup – et pas seulement les adversaires d’Angela Merkel – ne sont pas de cet avis. Si Michael Hüther, directeur de l’Institut de l’économie allemande (IW), financé par la métal­lurgie, juge que le travail du gouvernement Merkel II offre plus de lumière que d’ombre, il est catégorique : « Son gouvernement précédent avec les sociaux-démocrates a fait mieux. » Quant au quotidien libéral Der Tagesspiegel, il explique ironiquement que Merkel a peut-être sauvé l’euro, mais que, pour le reste, elle a surtout prouvé que « l’Allemagne pouvait très bien s’en sortir sans gouvernement ». Le second mandat de la chancelière, au côté du Parti libéral, s’est reposé sur les acquis. Les bons résultats de l’économie sont à mettre au crédit de la puissance à l’export des entreprises, du dialogue constructif entre partenaires sociaux et des réformes passées. Mais contre l’explosion inquiétante des emplois précaires et de la pauvreté, Angela Merkel n’a rien entrepris de notoire.

L’héritage de Schröder. « Je voudrais personnellement remercier le chancelier Schröder d’avoir, avec l’Agenda 2010, ouvert la porte aux réformes d’une manière courageuse et décidée », avait déclaré Angela Merkel dès novembre 2005. Aujourd’hui, elle s’est approprié les fruits des réformes de son prédécesseur, bien qu’en réalité le gouvernement merkel iI ne soit pour rien dans le recul du chômage. Faisant suite à une ­injonction du Tribunal fédéral constitutionnel énoncée début 2010, le gouvernement s’est contenté de rendre plus transparent le mode d’évaluation de l’allocation Hartz IV (à la fois indemnité chômage de longue durée et aide sociale). Sous la pression des partenaires sociaux, il a aussi en 2010 élargi massivement le chômage partiel. Cela a permis le maintien de centaines de milliers d’emplois dans les entreprises qui ont ainsi pu, une fois la reprise venue, redémarrer plus rapidement. Le taux de chômage allemand ne cesse donc de baisser, au point que l’OCDE évoque un possible retour au plein-emploi.

Dans le détail, le bilan est plus contrasté. Entre 2002 et 2012, le volume du travail a peu augmenté, passant sur la période de 56,5 milliards à 58,1 milliards d’heures travaillées par an. En fait, la plupart des emplois créés sont des minijobs et des temps partiels. « Grâce » aux réformes de Schröder, les salariés moins qualifiés se sont tout simplement mieux partagé le travail, avec la précarité en contrepartie. En dix ans, le nombre des emplois à plein temps a ainsi lé­gèrement reculé (de 25 à 24,2 millions) pendant que les temps partiels passaient de 10,2 à 12,7 millions. Essentiellement dans les services mais pas seulement. Le pays compte 7 à 8 millions d’emplois à bas salaires.

Anti salaire minimum. Le serveur d’une pizzeria de la côte baltique payé 1,32 euro l’heure et obligé de demander l’allocation Hartz IV pour pouvoir vivre ; un intérimaire roumain travaillant dans des abattoirs bavarois, via une société de placement étrangère, pour un ­salaire mensuel de 173 euros : du nord au sud du pays, les tribunaux du travail ont fort à faire face à ces cas extrêmes. Mais l’économie « classique » et l’industrie ne sont pas en reste et emploient de plus en plus fréquemment des intérimaires et des travailleurs « loués » par d’autres entreprises, via des contrats de service et pour des salaires moindres.

L’exemple de l’aéronautique, en bonne santé et utilisant une main-d’œuvre qualifiée, est symptomatique. Un sondage réalisé par le syndicat IG Metall auprès des CE de 42 entreprises (donneurs d’ordres et sous-traitants) employant 60 500 salariés montre que malgré des carnets de commandes bien remplis, des rythmes de ­travail intenses et des comptes épargne-temps qui explosent, les entreprises du secteur forment peu et s’appuient sur l’intérim et les contrats de services. Le taux d’intérimaires s’établit aujourd’hui à 14,1 % des effectifs du secteur, contre 13 % un an auparavant. Quant aux contrats de services, aucune statistique ne les recense mais leur poids est évalué à 5 % des effectifs.

Face à cette situation, Merkel est restée passive. La définition des salaires étant, a priori, du ressort des partenaires sociaux, rien ne l’oblige à s’impliquer. Les syndicats et l’opposition ont beau réclamer depuis des années une loi contre le dumping salarial et pour un salaire minimum universel de 8,50 euros l’heure, rien n’y fait. La chancelière conservatrice et son partenaire le Parti libéral bloquent toujours, hormis pour quelques secteurs et sous certaines conditions. Seuls 3,8 millions de salariés, sur les 41,8 millions d’actifs que compte l’Allemagne, touchent un salaire minimum dans 13 secteurs économi­ques, surtout dans les services.

Outre-Rhin, le problème des naissances reste un casse-tête non résolu qui, à terme, pose un problème tant pour le financement des retraites que pour le renouvellement de la main-d’œuvre qualifiée. Les experts du marché de l’emploi et les démographes prévoient ainsi qu’en 2030 la population allemande (80,2 millions en 2011) aura diminué de 3 à 5 millions d’individus et qu’il manquera près de 6,5 millions de personnes sur le marché du travail. Les médecins, le personnel soignant, mais aussi les ingénieurs et les informaticiens commencent à manquer. Pour pallier ce manque, le gouvernement a présenté, en mai 2011, un grand plan d’activation des forces vives du pays. Celui-ci a débouché sur la création d’un Jobmonitor, qui doit évaluer précisément les besoins de l’économie allemande.

À moyen terme, 1,2 million de femmes pourraient ainsi entrer en activité (mesures fiscales, création de 750 000 places de crèche), dont 500 000 déjà formées et mobilisables à court terme. Grâce au passage à la retraite à 67 ans, 1 million de salariés de plus devraient rester sur le marché du travail. À cela s’ajoute un potentiel de 1 million de personnes non actives mais formées. La lutte contre l’échec scolaire et l’interruption des études ou de l’apprentissage doit enfin permettre de compter 600 000 travailleurs qualifiés de plus. En tout, le potentiel est évalué à 3,8 millions de personnes. Le reste doit donc venir de l’étranger. « Nous avons mauvaise réputation. L’Allemagne doit devenir un pays où l’accueil des travailleurs qualifiés va de soi », expliquait Angela Merkel en mai devant un parterre de chefs d’entreprise et d’experts venus plancher à Berlin sur la question de l’immigration économique.

Étrangers qualifiés bienvenus. Dans ce domaine, le gouvernement Merkel II a été plutôt actif. Après avoir transposé la directive européenne sur la blue card, un permis de travail et de séjour pour les ressortissants de pays tiers hautement qualifiés, il en a largement assoupli les conditions d’obtention. À l’avenir, les travail­leurs qualifiés originaires de pays tiers devront justifier d’un salaire annuel de 44 800 euros, voire 35 000 pour les professions déjà confrontées à une forte pénurie (ingénieurs, médecins), au lieu de 66 000 euros. S’ajoutent la simplification de la reconnaissance des qualifications professionnelles obtenues hors de l’UE et l’octroi d’un permis de séjour illimité pour les détenteurs d’une carte bleue après une période de trois ans – voire deux pour ceux maniant bien la « langue de Goethe ». Les agences pour l’emploi devront enfin répondre aux demandes de permis de travail et de séjour sous deux semaines.

L’Allemagne a aussi commencé à passer des accords bilatéraux, avec l’Espagne par exemple, pour former de jeunes étrangers. Fin décembre, un pacte pour l’apprentissage a été signé avec six pays européens ?(Italie, espagne, portugal, Grèce, Lettonie et Slovaquie). L’Allemagne s’engage à leur apporter un soutien technique pour le développement de l’apprentissage et à mobiliser les entreprises allemandes à l’étranger pour les « aider ». La question de la main-d’œuvre est au centre des préoccupations d’une Allemagne vieillissante qui craint de perdre sa force de frappe économique. Merkel, dont la réélection ne fait pas de doute, s’est pour l’instant concentrée sur ce dernier aspect. Si elle doit prochainement gouverner avec les sociaux-démocrates, plutôt qu’avec les libéraux, elle sera bien contrainte de s’occuper des conséquences sociales de sa politique, comme le montre le sujet phare de la campagne électorale : le salaire minimum et les bas salaires.

REPÈRES

5,4 %

C’est le taux de chômage en Allemagne, en avril 2013.

16 %

des Allemands vivent sous le seuil de pauvreté (données 2010).

7e

C’est la place qu’occupe ­l’Allemagne dans l’UE en matière de bas salaires, derrière les pays Baltes, la Roumanie, la Pologne et Chypre (données 2010).

Source : Eurostat.

Popularité inaltérable

Après avoir défendu le maintien du service militaire, elle l’a fait supprimer contre l’avis de ses troupes. Même chose pour le nucléaire, qu’elle a déclaré tabou sans crier gare. Quant à son programme de promotion de la femme au travail, il s’est soldé par le refus d’imposer des quotas à la tête des entreprises et par la création d’une prime emblématique favorisant l’éducation des enfants à la maison ! Mais que la chancelière allemande respecte ou non un programme, sa popularité reste intacte. Dans une élection directe, 60 à 65 % des Allemands voteraient pour elle. Par ailleurs, quand ses adversaires proposent des mesures populaires, elle les pille sans vergogne et les inscrit à son programme. La proposition sociale-démocrate de limiter les hausses de loyer s’est ainsi retrouvée sur les tablettes de la CDU.

Devant un problème, Angela Merkel réagit de deux manières. Soit elle convoque un grand sommet dont il ne sort pas forcément grand-chose de concret, comme ce fut le cas pour le dernier sommet européen contre le chômage des jeunes. En quatre ans de règne, ses adversaires ont ainsi recensé près de 50 sommets, plus d’un par mois. Soit elle s’efface et laisse ses ministres monter au front. Pour le reste, Angela Merkel soigne son image de « femme du peuple », aux goûts simples et au train de vie peu dispendieux, ce qui explique aussi son énorme popularité auprès des Allemands.

Auteur

  • Thomas Schnee