logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Un lieu pour accompagner les salariés en souffrance

Dossier | publié le : 04.10.2013 | Sabine Germain, Rozenn Le Saint, Sandrine Foulon, Emmanuelle Chaudieu

Ouverte en mars à Poissy (Yvelines), la Maison souffrance et travail propose un soutien personnalisé aux salariés par une prise en charge pluridisciplinaire et développe un volet prévention à l’intention des employeurs.

Installées dans un petit salon cosy au premier étage d’une maison en meulière de la banlieue parisienne, Valérie, Évelyne et Sarah échangent autour d’un café : « J’avais plein de boutons sur les mains, des démangeaisons, je pleurais tout le temps en cachette », raconte la première aux deux autres. Une demi-heure plus tôt, ces trois femmes ne se connaissaient pas, mais le simple fait de se croiser dans le cadre de la Maison souffrance et travail (Mast), ouverte le 1er mars à Poissy, dans les Yvelines, a suffi pour créer une connexion naturelle entre elles. Leur point commun : avoir chacune été consumée à petit feu en raison d’un environnement de travail devenu insupportable.

S’il leur est souvent difficile de parler des épreuves qu’elles ont traversées (harcèlement moral d’un manager pour Valérie, burn out pour Évelyne, mise au placard pour Sarah), ici, dans cette maison, elles disent pouvoir « se poser, faire abstraction de tout », selon Sarah. « C’est un lieu pour nous », renchérit Évelyne.

C’est en effet pour les personnes « comme elles » que la Maison souffrance et travail a été créée, à l’initiative de Françoise François, psychologue spécialisée en psychopathologie du travail, déjà à l’origine d’une consultation sur cette problématique à l’hôpital intercommunal de Poissy-Saint-Germain. Elle a constitué autour d’elle un réseau de professionnels (psychiatre, psychologues, sophrologue, avocats…), le principe étant de proposer une prise en charge globale de la personne en souffrance grâce à une approche pluridisciplinaire. Car, comme le souligne Michel Aman, médecin psychiatre, « la souffrance liée au travail est une question très complexe qui mêle plusieurs dimensions : juridique, médicale, administrative, sociale… ». Le praticien va ainsi intervenir lorsque Françoise François juge qu’un traitement médical est nécessaire.

Verbaliser son vécu

Le relais peut aussi se faire d’un psychologue à un autre. « Les personnes qui me sont adressées par Françoise ont généralement émis des besoins justifiant une prise en charge plus large : nous ne sommes plus forcément centrés sur la sphère du travail, de la souffrance qu’elle a engendrée, mais ce sont des questions qui vont faire écho au cours de la thérapie », témoigne Erika Teissiere, psychologue clinicienne, par ailleurs spécialisée dans l’accompagnement des mères en période pré et postnatale. Et d’ajouter : « Le travail à la Mast peut être très collégial : j’ai par exemple conseillé à l’une de mes patientes de voir en parallèle le sophrologue. » Ce dernier, formé à la programmation neurolinguistique, intervient notamment comme coach pour accompagner des personnes qui souhaitent s’engager dans un processus de changement.

Sandrine Henrion, avocate associée à la Mast, explique pour sa part qu’avoir le point de vue d’un psychologue l’aide dans le conseil qu’elle va apporter : « Pour comprendre pourquoi telle personne a une attitude fuyante, par exemple. À l’inverse, mon avis va permettre au thérapeute de ne pas promettre à mon client des solutions irréalistes sur le plan juridique. » Sa consœur Clarisse Taillandier-Lasnier appuie : « Le travail avec le thérapeute permet généralement au salarié d’analyser ce qu’il a vécu, de mieux le verbaliser, ce qui est important pour l’avocat qui va recenser avec lui les actes répétés qui ont conduit au harcèlement. » Avant de souligner que c’est souvent le psychologue qui saura lorsque la personne est prête à engager une procédure. Sarah explique ainsi qu’elle n’est allée voir un avocat que très récemment : « La première fois que j’ai rencontré Mme François [début 2012, à l’hôpital de Poissy, NDLR], j’étais complètement à l’envers, je ne savais plus qui j’étais et surtout je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Et petit à petit nous avons déroulé le fil ensemble. C’est grâce à ce travail que je peux aujourd’hui en parler. »

« Double dimension »

Sur le plan pratique, chaque professionnel assure des consultations au sein de la Maison à titre libéral, sur des plages horaires très variables, à l’exception des avocats qui, en raison de règles déontologiques, reçoivent les personnes adressées par la Mast à leur cabinet. Le prix des consultations varie, lui, de 40 à 50 euros, payé par le salarié (ou parfois par l’employeur lorsqu’il y a eu reconnaissance de maladie professionnelle), sachant que les thérapeutes font beaucoup de sur-mesure : « Actuellement, environ 40  % de mes consultations sont gratuites », confie Françoise François, qui ne facture pas au-delà de 40 euros, tandis que les avocats ont formalisé un « barème Mast  » en fonction des revenus de l’intéressé.

En plus de cette prise en charge individualisée, l’association déploie des actions à destination des employeurs avec qui elle a contractualisé pour des interventions ciblées : formation sur les risques psychosociaux, enquête psychodynamique, gestion de conflits… « C’est cette double dimension, à la fois du côté des salariés et des employeurs, qui m’a particulièrement intéressé dans le projet », indique Michel Aman. L’avocate Sandrine Henrion rappelle que le travail de prévention en matière de souffrance au travail constitue « un enjeu crucial » pour les employeurs.

Deux contrats ont ainsi déjà été signés durant l’été avec les hôpitaux de Mantes et de Montesson, et plusieurs entreprises se sont manifestées dans le même but.

Aujourd’hui, l’un des défis de la Mast est de multiplier ce type de contrats qui vont lui permettre d’assurer son autonomie financière et notamment d’alimenter un fonds de solidarité. « L’objectif est de permettre aux salariés en grande difficulté de pouvoir accéder aux services de la Maison », précise Françoise François.

Une année test pour la Mast

Côté subventions, si le conseil général des Yvelines n’a pas donné suite à la demande de l’association, celle-ci attendait début septembre une réponse de l’agence régionale de santé. Si elle est positive, cela lui permettrait de salarier une secrétaire et une assistante sociale afin de gérer le volet administratif et l’accès aux droits. En attendant, « c’est moi qui fais tout », glisse dans un sourire la mère de la Mast (elle en a déposé le concept). Présente six jours sur sept, c’est elle aussi qui assure les frais de location de la Maison (2 200 euros mensuels), financés notamment grâce à ses activités annexes de formatrice. Cette première année d’existence a donc un peu valeur de test pour la Maison souffrance et travail. Une chose est sûre cependant : le carnet de rendez-vous de Françoise François, qui ne désemplit pas, montre que le lieu répond à un vrai besoin.

E. C.

* Les prénoms ont été changés.

45 euros

C’est le prix moyen des consultations à la Mast.

11

C’est le nombre de professionnels intervenant dans le cadre de la Mast.

Auteur

  • Sabine Germain, Rozenn Le Saint, Sandrine Foulon, Emmanuelle Chaudieu

Articles les plus lus