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Décodages

Le Medef refonde son équipe sociale

Décodages | patronat | publié le : 02.11.2013 | Stéphane Béchaux

L’élection de Pierre Gattaz rebat les cartes en matière sociale. Le nouveau président du Medef veut une organisation patronale plus efficace, qui négocie moins mais mieux. Pas gagné. Car tout le monde veut peser : les élus, les permanents et les fédérations.

En voilà une qui va bien s’amuser. Chef de file de la délégation patronale sur la réforme de la formation professionnelle, Florence Poivey se prépare des jours difficiles. De tous les sujets sociaux, aucun n’est à la fois aussi technique et politique que celui-là. Montants financiers énormes, gouvernance ultracomplexe, dysfonctionnements patents… Tous les ingrédients sont réunis pour faire de cette négo un chemin de croix. Avec, cerise sur le gâteau, des fédérations patronales à cran, inquiètes de perdre tout ou partie des millions d’euros reversés par les organismes collecteurs. En mettant sous les projecteurs la patronne d’Union Plastic, une PME de Haute-Loire, Pierre Gattaz entend faire coup double : remercier l’un de ses soutiens et promouvoir une dirigeante de terrain. Le signe d’une volonté de reprise en main du Medef par les entrepreneurs.

« Cette réforme ne doit pas être une négociation d’appareils. Il fallait un chef d’entreprise pour la conduire », justifie Jean-François Pilliard, vice-président chargé du pôle social. Dans l’ombre, ce dernier est à la manœuvre. Normal, le délégué général de l’UIMM fait partie des poids lourds de la nouvelle équipe, aux manettes d’un bloc riche de cinq commissions. Bon technicien et habile politique, l’ex-DRH de Schneider Electric compte parmi les grands gagnants de l’après-Parisot. Une ascension non écrite. « Pendant la campagne, sa position était très inconfortable. Mais il a su rester à l’écart de la guerre des chefs entre Frédéric Saint-Geours et Pierre Gattaz. Puis gagner la confiance du vainqueur », observe un dirigeant de l’UIMM.

Cette promotion ne signe pas pour autant le retour à la toute-puissance de l’UIMM. Car son délégué général doit composer avec un bras droit redoutable, qu’il n’a pas choisi : Claude Tendil, P-DG de Generali France et fidèle d’un certain Denis Kessler. Un clair renvoi d’ascenseur à la Fédération française des sociétés d’assurances, qui a lourdement pesé dans l’élection de Pierre Gattaz. « En tant que troisième contributeur du Medef, nous en sommes un membre important. Notre objectif, c’est de servir l’intérêt général en faisant bénéficier l’organisation de notre expertise », plaide Bernard Spitz, son président. En plus de la vice-présidence du pôle social, Claude Tendil hérite du pilotage de la stratégique commission protection sociale et entre au conseil exécutif. Un second homme fort du social, qui va compter. « C’est un excellent technicien du système, dont la personnalité s’accorde très mal avec un rôle de numéro deux. Jean-François Pilliard est tombé sur un très gros morceau », prévient un représentant patronal, qui s’y est frotté.

Course aux postes clés. Depuis le début de l’été, toutes les grosses écuries patronales cherchent à placer leurs poulains aux postes clés. À l’instar du bâtiment, qui a installé son président, Didier Ridoret, à la tête de la commission logement et mobilité professionnelle. Ou de la chimie, qui conserve le pilotage de la commission développement durable, confiée à Jean-Pierre Clamadieu, patron de Solvay. Autre exemple, la présidence de la caisse de retraite complémentaire Arrco, où les assureurs – encore eux ! – ont imposé l’un des leurs, Didier Weckner, issu d’Axa (voir page 15). « On voit se dessiner le retour de vieilles pratiques, avec des fédérations qui s’entendent ou s’agglomèrent pour défendre les intérêts spécifiques de leurs mandants », observe un pilier du social sous Parisot. Une vision contestée par Jean-François Pilliard. « Quand on vous confie un mandat interprofessionnel, vous défendez l’intérêt collectif. Les positions de votre branche, vous laissez à d’autres le soin de les faire prévaloir », assure-t-il.

En matière sociale, les fédérations qui pèsent se comptent sur les doigts des deux mains. Le club renferme le bâtiment et les travaux publics, la grande distribution, les banques et les assurances, la métallurgie, l’industrie pharmaceutique et l’intérim. « Il faut avoir la volonté de s’investir, le Medef ne vient pas vous chercher. Seules les grandes structures, qui ont du temps et des moyens, peuvent le faire », remarque Pascal Le Guyader, directeur des affaires sociales du Leem, la fédé des fabricants de médicaments. Une conséquence de l’éclatement de la négociation collective en des centaines de branches, qui éparpillent les moyens patronaux. « Il n’y a pas beaucoup d’organisations qui disposent de vrais spécialistes du social. Et encore moins qui peuvent mettre à disposition des négociateurs. C’est la force de l’UIMM », constate Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution. Hormis sur le champ de la protection sociale, où elle doit compter avec la FFSA, l’Avenue de Wagram reste la seule capable de faire de la prospective. « Sur les grands enjeux, le patronat manque de stratèges. L’UIMM, elle, a des structures de réflexion », approuve Jean-Luc Placet, président de Syntec.

Lors des négociations, ces fédérations envoient toutes des représentants. Mais moins pour peser sur la construction globale des textes que pour défendre leurs intérêts sur certains paragraphes. L’accord sur l’emploi du 11 janvier en est une parfaite illustration. À l’image des acteurs du travail temporaire, chacun y a défendu son bout de gras. « On a beaucoup œuvré pour échapper à la taxation des contrats courts. En échange, on a accepté le principe de la création d’un CDI intérimaire », convient François Roux, délégué général de Prism’emploi. Les secteurs de la propreté et de la grande distribution se sont, eux, mobilisés sur l’encadrement des temps partiels, les branches industrielles sur les accords de maintien dans l’emploi et les assureurs sur la généralisation de la couverture santé.

Technostructure. L’issue des combats ne dépend pas du seul rapport de force externe. Car l’appareil a aussi son mot à dire. Pendant les années Parisot, son poids faisait polémique. « Les sujets les plus politiques étaient logiquement arbitrés devant le conseil exécutif. Mais plein de deals, notamment avec la CFDT, étaient conclus dans l’ombre, en dehors de toute instance », confie l’une des chevilles ouvrières des négos. De vifs reproches sur la gouvernance remontés aux oreilles de Pierre Gattaz. « Le Medef doit se remettre à fonctionner comme une fédération. Avec une information permanente de ses membres et de vrais débats avant toute prise de décision », résume Jacques Creyssel.

Premier visé, Dominique Tellier. Promu directeur général adjoint sous l’ère Parisot, ce doyen de la maison règne sur le social depuis le retrait de Denis Gautier-Sauvagnac, emporté par l’affaire UIMM. Dans le milieu, tout le monde reconnaît son immense expertise. « Au Medef, c’est Tellier qui pense le social. En plus de connaître les dossiers, il a l’énorme avantage d’écrire les accords », note Jean-René Buisson, ancien président de la commission protection sociale. Un personnage clé mais décrié. « Il n’écoute personne. Avec lui, la technostructure a pris le pouvoir sur le politique », confie l’un des négociateurs de la maison. L’intéressé s’en défend, mais il se sait menacé. À la fois par l’âge – presque 66 ans – et par la relève. En la personne d’Antoine Foucher, un trentenaire prometteur passé par le cabinet de Xavier Bertrand au ministère du Travail, recruté comme directeur des relations sociales mi-2012.

Cette immixtion de la technostructure s’explique pour partie par la difficulté du Medef à accueillir des dirigeants d’entreprise en son sein. À de rares exceptions près – telle Élisabeth Carpentier, DRH groupe de Sodexo, qui préside la nouvelle commission sociale internationale –, les opérationnels sont très peu présents dans les instances. « Les dirigeants d’entreprise se lassent vite, ils n’aiment ni les discussions qui s’éternisent ni le consensus mou. Les apparatchiks s’y retrouvent, pas les DRH », justifie Jean-René Buisson. La critique vaut aussi pour la construction des accords interpros. « La réforme de la représentativité syndicale, on l’a faite sans l’expertise d’une seule entreprise. Une erreur qu’on n’a pas reproduite avec l’ANI du 11 janvier, où on a créé des groupes de travail miroirs », détaille un proche de Patrick Bernasconi.

Travail en amont. Inutile d’attendre des membres du conseil exécutif qu’ils remédient, sur les questions sociales, aux limites des autres instances. « La matière est tellement complexe que les chefs d’entreprise et les patrons de fédération s’y perdent. Ils ont besoin de l’expertise technique des juristes. Au risque de les laisser prendre le pouvoir », analyse la directrice juridique d’une fédération patronale. « Rien n’empêche les élus, qui ne peuvent tout connaître, de travailler en amont. Mais, de notre côté, nous avons des marges de progression pour être plus pédagogues et faire comprendre les enjeux ! » admet Jean-François Pilliard. Le problème devrait être moins aigu dans la nouvelle enceinte. Car l’équipe constituée autour de Pierre Gattaz a fait savoir son intention de remettre au goût du jour la subsidiarité. En recentrant le rôle social du Medef sur les grands accords transverses pour mieux renvoyer le reste vers l’entreprise et la branche. Une façon de remettre chacun devant ses responsabilités.

PIERRE GATTAZ Président du Medef
« Trop institutionnaliser le dialogue social peut le tuer »

Placez-vous les questions sociales au cœur de votre mandat ?

Elles sont totalement prioritaires. Car mon obsession, c’est l’emploi. Les entreprises peuvent améliorer leur compétitivité en agissant sur l’innovation, leurs procédés de fabrication, leur organisation du travail. Mais leur capacité à embaucher dépend aussi de l’environnement dans lequel elles évoluent. Sur des sujets majeurs comme le coût du travail, la fiscalité, la réglementation, elles ont besoin que le Medef porte leur voix.

Quelle réforme de la législation sociale appelez-vous de vos vœux ?

Depuis trente ans, on traite les questions liées au travail de façon contraignante. En instaurant des pénalités et de la réglementation sur tous les sujets, qu’il s’agisse de la formation des jeunes ou du maintien dans l’emploi des seniors, de l’intégration des travailleurs handicapés ou de la promotion des femmes. Ces enjeux sont importants mais parfois éloignés des urgences des entrepreneurs, qui se soucient d’abord de leurs clients et de leur compétitivité. On ne réglera pas les problèmes du pays sous la contrainte, à coups de décrets, de taxes, de nouveaux articles dans le Code du travail. À trop institutionnaliser le dialogue social, dans les entreprises, les branches ou l’interpro, on risque de le tuer.

Pourquoi ce binôme FFSA-UIMM à la tête du pôle social ?

Mieux vaut associer les compétences que les opposer. Dans tous les pôles, j’ai cherché à constituer des binômes composés d’un représentant de fédération et d’un patron de terrain. Notre objectif commun, la réussite de la France et de ses entreprises, doit transcender les intérêts particuliers. Je veux un patronat uni, qui dépasse les clivages entre organisations.

Participerez-vous personnellement et activement aux prises de décision sur le champ du social ?

J’aime travailler collectivement. Je suis quelqu’un de très participatif, j’écoute beaucoup. Mais quand il faudra trancher entre plusieurs positions, j’interviendrai. Fondamentalement, je serai très présent dans la prise de décision finale. Il n’y a qu’un chef au Medef, c’est moi.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux

Auteur

  • Stéphane Béchaux