logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Adapter les postes, pas si simple

Dossier | publié le : 02.11.2013 | Adeline Farge, Sabine Germain, Rozenn Le Saint

Pour s’approcher des obligations légales, les entreprises doivent faciliter l’insertion des personnes handicapées, en aménageant les postes de travail, mais aussi les emplois du temps, au cas par cas.

Le recrutement d’une personne handicapée n’est pas aisé, mais l’embauche n’est qu’une étape. Car il faut, ensuite, adapter le poste de travail. Et pour une bonne intégration et un maintien dans l’emploi assuré, mieux vaut anticiper. « Il ne suffit pas de recruter des personnes handicapées, il faut leur donner la possibilité de rester, témoigne Audrey Bellia-Sauvage, adjointe RH chez Vecteur Plus, expert en veille commerciale. Nous avons créé la commission diversité cette année après un retour d’expérience non réussie en termes d’intégration dans l’entreprise. » Elle s’est attachée à recruter une personne malentendante pour réfléchir à un meilleur aménagement, de nombreux postes relevant de la téléphonie à Vecteur Plus. Dans certains secteurs, intégrer des personnes handicapées est encore plus compliqué. « Les aménagements les plus importants sont réalisés dans les milieux agricoles et industriels. Les études ergonomiques nous permettent d’aménager les tâches ou les outils de travail pour permettre à une personne d’occuper ou de conserver son poste », témoigne Émilie Oukoloff, déléguée régionale adjointe en Ile-de-France de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph). Toutefois, dans ce bassin d’emploi, l’asso­ciation intervient surtout dans le secteur tertiaire, en finançant par exemple des aménagements de postes informatiques pour des personnes malvoyantes ou de l’auxiliariat professionnel.

Par ailleurs, certains handicaps exigent des aménagements plus lourds que d’autres, ce qui pourrait inciter les entreprises à privilégier les candidats dont l’intégration a un coût moindre. Car, entre les personnes malentendantes, malvoyan­tes, les handicapés moteurs ou mentaux, de l’appareil auditif à la rampe d’accessibilité, le budget varie du simple au double. « La principale demande concerne l’aménagement de véhicules personnels ou la prise en charge de taxis, assure Richard Ozwald, directeur de la diversité, du handicap et de l’inclusion sociale, et de la mission handicap de la Société générale. Beaucoup de personnes handicapées renoncent à travailler parce qu’elles ont peur d’affronter l’espace entre chez elles et l’entreprise. » La moitié du budget de 1,5 million d’euros prévu par la Société générale pour permettre l’accès ou le maintien dans l’emploi de 300 personnes handicapées par an passe dans les transports. La demande d’appareils auditifs se développe également, et si leur prix varie entre 200 et 2 800 euros, à la Société générale, la majorité dépasse les 1 000 euros. La banque veille aussi à faciliter l’accessibilité numérique des personnes malentendantes et malvoyantes, ce qui nécessite de mettre à jour les intranets et d’ajuster les logiciels utilisés. Adapter un ordinateur à une personne malvoyante revient à environ 1 000 euros.

Au premier abord, les responsables d’entreprise pensent davantage à l’accessibilité des personnes à mobilité réduite. Pourtant, elles constituent seulement entre 3 et 5 % des personnes handicapées. Et la plupart des aménagements immatériels ne sont pas chiffrables. « Seules 15 % des personnes handicapées qui intègrent une entreprise nécessitent des aménagements d’équi­pements purement techniques et ergonomiques, indique Corinne Fedjean, qui organise des formations pour mieux informer les salariés sur le handicap. Il faut aussi réfléchir aux aménagements des horaires liés aux contrôles médicaux réguliers, au stress plus important de certaines personnes handicapées, au télétravail, qui peut être mis en place en veillant à ce qu’il n’isole pas, ou encore à l’accompagnement d’un interprète pour les personnes malentendantes. » Pour ces dernières, il est nécessaire de revoir la fiche de poste ou d’aménager le temps passé au bureau. « Travailler sur un plateau entraîne une fatigue nerveuse intense pour les personnes malentendantes. Il ne suffit pas de financer un appareil auditif pour les accompagner », estime Corinne Fedjean.

Adaptation du milieu

Sans sensibilisation, pas facile d’évaluer les besoins immatériels liés aux différents handicaps. Les maladies mentales, notamment, sont souvent méconnues, et rares sont les entreprises qui adaptent leur fonctionnement pour permettre l’intégration des personnes qui en sont atteintes. « La principale difficulté des personnes qui ont une déficience intellectuelle est de s’adapter à l’environnement, indique Thierry Nouvel, directeur général de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei). Elles ont davantage besoin d’un accompagnement humain, d’une réflexion autour de la décomposition des tâches pour leur donner des repères. » Par exemple, dans le tri du courrier, il suffit de prévoir une bannette bleue pour celui qui circule en interne et une rouge pour celui qui doit être posté. D’ailleurs, l’Agefiph aide aussi au financement d’accompagnateurs capables de simplifier l’organisation du travail par des codes couleur et des pictogrammes, de manière à adapter les tâches.

Contrairement au handicap mental, les handicaps psychiques, comme la dépression chronique, les troubles bipolaires, phobiques, la schizophrénie ou la paranoïa n’affectent pas les capacités intellectuelles. Parmi les travailleurs handicapés, 16 % sont atteints de ces symptômes. Et alors que seuls 15 % des travailleurs handicapés ont une formation supérieure à un bac + 3, eux sont plus qualifiés que la moyenne, car leur maladie survient généralement à l’âge adulte, et donc après les études. Ils représentent ainsi un vivier important de personnes handicapées qualifiées. « 37 % des étudiants scientifiques suivis par le relais handicap sont atteints de handicap psychique », relève Gérard Lefranc, directeur de la mission insertion du groupe Thales, qui accueille de plus en plus d’étudiants en stage, avant de les embaucher. « Une année, une étudiante atteinte de troubles psychiques a commencé un stage et son manager direct est parti en vacances. Ça s’est très mal passé, elle a fini par s’en aller, regrette Gérard Lefranc. Nous ne faisons pas reposer leur intégration uniquement sur nos managers, nous travaillons davantage en lien avec des personnes du relais handicap, des médecins du travail et des assistants sociaux. »

Suivi individuel et quotidien

Assystem, entreprise d’ingénierie et de conseil en innovation qui recrute à 70 % des ingénieurs, s’intéresse aussi à ces candidats handicapés plus qualifiés que la moyenne. Il s’est doté d’une mission handicap, pilotée par Erwan Le Cornec, psychologue. « L’intégration des personnes handicapées psychiques est plus délicate dans la mesure où elle nécessite un suivi individuel et quotidien. L’environnement de travail est un élément clé qu’il convient d’adapter, bien plus que lorsqu’il s’agit d’apporter des réponses techniques. Cela passe par exemple par une souplesse dans le temps de travail. Sur certains contrats, nous mentionnons un nombre d’heures à réaliser comme le collaborateur le souhaite plutôt que des jours bien définis », indique-t-il. Assystem intègre seulement 1,7 % de personnes handicapées dans ses effectifs, encore loin des 6 % exigés par la loi, mais au-dessus de la moyenne du secteur, qui stagne à 0,6 %.

Plutôt que de verser l’argent en compensation à l’Agefiph, l’entreprise finance des actions en faveur de l’emploi des personnes handicapées, ce qui représente un budget compris entre 1,2 et 1,5 million d’euros par an, dont 20 % sont consacrés au maintien dans l’emploi de ces salariés. « Pour une personne atteinte d’une pathologie, il y a plusieurs réponses à apporter. C’est valable pour tous les handicaps, mais cela se voit encore plus pour le handicap psychique », constate Erwan Le Cornec.

Autre handicap difficile à appréhender : celui des maladies invalidantes telles que le diabète ou les insuffisances cardiaques. « Elles évoluent et on ne peut pas prévoir de quelle manière, d’où la difficulté d’anticiper. Un salarié peut exercer son activité dans des conditions classiques et, d’un coup, être atteint d’une lombalgie aiguë et devoir être arrêté », témoigne Florence Déchelette, responsable insertion et égalité des chances à Generali France. L’entreprise dépense 5 000 euros par personne et par an pour ces aménagements techniques, humains et organisationnels. Cette année, ses effectifs comptaient 3 % de handicapés, deux fois plus qu’en 2005, mais moitié moins que ce que la loi exige. Toutefois, elle n’a pas encore utilisé le levier des établissements et services d’aide par le travail (Esat), sur lesquels repose la politique handicap de nombreuses entreprises.

R. L. S.

2,80 %

C’est le taux d’emploi de personnes handicapéesdans le secteur privé (2010).

4,39 %

C’est le taux d’emploi dans le secteur public (2011).

L’autiste, assistant comptable idéal

Plutôt que de se focaliser sur les difficultés qu’impliquent les handicaps, pourquoi ne pas raisonner à l’inverse, en se demandant quelles facultés pourraient être développées qui soient utiles dans des métiers ciblés ? C’est le raisonnement de Benoît Pontroué, directeur général de Socia3, filiale du groupe de gestion Soregor, qui emploie et forme des travailleurs en situation de handicap. « Certains types d’autistes ne sont pas à l’aise dans la relation à l’autre mais sont très rigoureux et adorent les procédures, cela les cadre. Ces qualités sont celles de l’assistant comptable idéal », s’enthousiasme-t-il. Quand il s’en est rendu compte, il a formé deux personnes atteintes d’autisme pendant 455 heures au métier de gestionnaire de paie et a réfléchi à adapter leur charge de travail. « Nous avons gommé les tâches d’accueil et de relance, les plus stressantes, et chacun a été adjoint à un référent qui les aide à s’intégrer et réalise ces tâches à leur place », indique Benoît Pontroué. Pour ce faire, deux salariés sont retournés sur les bancs de la fac deux jours par mois, pendant un an, afin de passer un diplôme universitaire consacré à l’autisme. « Quand les personnes atteintes d’autisme réalisent une heure de travail, elles sont aussi fatiguées que quand nous en faisons deux tellement elles se concentrent.

Elles effectuent donc des journées de six heures, trois jours par semaine », précise le dirigeant de Socia3. Une réflexion à prolonger pour que chaque handicap trouve chaussure à son pied.

Coûts moyens des différents aménagements de postes :

3 500 euros

l’aménagement de véhicule personnel ;

1 500 euros

un fauteuil ergonomique ;

entre 200 et 2 800 euros

un appareil auditif ;

environ 1 000 euros

l’aménagement d’un poste de travail pour une personne malvoyante.

Auteur

  • Adeline Farge, Sabine Germain, Rozenn Le Saint