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Vie des entreprises

Ne dites pas à ma mère que je fais du rafting, elle me croit au bureau

Vie des entreprises | REPORTAGE | publié le : 01.10.2000 | Sandrine Foulon

Méthodes zinzins ou stages détente ? De la descente en canoë au jeu de rôle en passant par le mikado géant, c'est toujours la course à la créativité pour dynamiser les salariés. Mais le saut à l'élastique a fait son temps. On préfère aujourd'hui le mode ludique, en visant moins la performance individuelle que l'expérience collective.

Que se passe-t-il quand on part en montagne sans vivres, sans boussole et sans carte, avec un guide dont le diplôme sort tout droit d'un paquet Bonux ? On se perd. Partis pour se dépasser, renforcer leur cohésion d'équipe et, accessoirement, revenir gonflés à bloc afin de pulvériser le chiffre d'affaires de leur entreprise, une vingtaine de technico-commerciaux du Bureau central de prévention de l'habitat (BCPH) ont vécu trente-six heures cauchemardesques, coincés dans les montagnes du haut Mentonnais. « J'avais pris mon portable pour suivre l'évolution des résultats de la société, se souvient Patrice de Saint-Jores, directeur commercial de cette entreprise du Var spécialisée dans la rénovation de l'habitat. J'étais à mille lieues de penser qu'il me servirait à appeler des secours. » Et la joyeuse bande était loin de se douter qu'elle repartirait en hélicoptère, sauvée par les gendarmes de haute montagne, la sécurité civile et les pompiers.

Depuis cette mésaventure survenue l'été dernier, la société, qui n'en est pas à son premier coup d'essai, se montre plus prudente. Mais elle n'a pas renoncé aux stages outdoor. « Tous les ans, juste avant le mois concours pendant lequel les commerciaux doivent réaliser des objectifs, explique le directeur commercial, nous organisons ce type d'opération pour fédérer et stimuler les équipes. » L'événement se veut ludique et créatif : bataille de nuit à coups de pistolets à peinture baptisée « la ligne rouge », du nom d'un film sur la guerre du Vietnam ; descente de l'Ardèche en canoë intitulée « délivrance », comme ce film américain où les protagonistes se font tour à tour éliminer dans les flots d'un torrent déchaîné ; courses d'orientation en montagne appelées « à la recherche de Tchang » ou « à la poursuite de Rahan », clins d'œil aux tintinophiles et aux nostalgiques de Pif Gadget. Le saut à l'élastique ? Patrice de Saint-Jores y a bien songé. « Mais le problème est réglé. Ils ont peur. » Pour lui, l'opération doit rester amusante et… payante. Dans le mois qui suit, les équipes parviennent à dépasser leurs objectifs de 50 %.

Grande mode des années 80, les stages de motivation des troupes n'ont pas complètement disparu. Comme ces sessions, à la japonaise, où les salariés révèlent des pans de leur personnalité sous l'effet du stress. Au printemps, la presse suisse s'est émue du fait que les cadres cheminots aient dû descendre en rappel au fond d'une grotte, construire un mur avec des troncs d'arbre pour franchir un obstacle et rejoindre au pas de course, pressés par des animateurs harceleurs, un refuge à la nuit tombante dans le massif du Chasseral. Le tout pour déceler leurs capacités d'adaptation, de travail en équipe et de leadership. En banlieue parisienne, dans le cadre de l'université d'entreprise, l'équipe de management scandinave de Cap Gemini Ernst & Young a, quant à elle, retiré chaussures et chaussettes pour marcher sur des braises. « Tout le monde l'a fait sans difficulté, assure Jacques Collin, le directeur de l'université. Toute la question est de créer un climat psychologique de confiance. »

Plus soft et moins spectaculaires

Cela étant, les méthodes en vogue sont, dans leur grande majorité, devenues plus soft et moins spectaculaires. « Certes, l'émotionnel joue un grand rôle dans le sentiment de cohésion d'équipe. La dimension vécue et affective est le meilleur apprentissage. Mais il existe des techniques très simples pour susciter le sentiment d'appartenance à un groupe », poursuit Jacques Collin. Et de citer une réunion où le conférencier avait demandé aux 300 participants de se faire face, de s'observer, puis de se placer dos à dos, de modifier un détail de leur apparence et de renouveler l'opération une dizaine de fois pour voir si le partenaire parvenait à identifier chaque changement. « La plupart des gens ne se connaissaient pas et étaient totalement tétanisés à l'idée de se dévisager. C'est l'une des plus belles démonstrations de team building qu'il m'ait été donné de vivre. » Jeune recrue de Cap Gemini Ernst & Young, Jean-Marc se souviendra de sa semaine d'intégration. « Dès le premier jour, on nous attribue une carte à jouer, ce qui permet aux organisateurs de créer les équipes. Les rois ou les valets ensemble, puis les trèfles contre les carreaux, afin que tout le monde se mélange. » Le clou de la semaine a été de faire atterrir un œuf du premier étage sur le sol sans qu'il se brise. « On a reçu une enveloppe avec du matériel : des pailles, un ballon… Je n'aurais jamais cru que ça marcherait. Les gens se sont concertés pour construire des sortes de montgolfières afin d'amortir la chute. Sur les quatre équipes, une seule a cassé son œuf. »

Même si les activités sont généralement moins dangereuses, les organisateurs ne sont jamais à l'abri d'un incident. « À la rentrée, au cours d'une épreuve organisée à la campagne, un commercial très entreprenant a fait un vol plané et fini avec dix points de suture sur le front. Un autre a fait une syncope au fond de la piscine alors qu'il devait y ramasser des petites cuillères », raconte un consultant en communication. Rien à voir pourtant avec les méthodes extrêmes des années 80. « À l'époque, celles-ci mettaient surtout l'accent sur l'exploit personnel. Elles correspondaient à une époque où chacun devait se surpasser. Aujourd'hui, elles se focalisent sur les mises en situation collective, chacun réfléchissant sur son propre comportement », souligne le consultant Hubert Landier. Car le dénominateur commun de ces stages est de chercher à susciter un esprit d'équipe, voire d'appartenance à un groupe. Une méthode fort appréciée des entreprises engagées dans des processus de fusions-acquisitions ou en forte croissance.

Construire un radeau en 30 min

Lors de ses réunions annuelles, Whirlpool France privilégie ainsi les animations collectives. « L'idée est de faire se rencontrer des populations éloignées et d'imaginer des challenges collectifs accessibles à tous. Cette année, on a construit un radeau en une demi-heure et navigué sur un lac du Massif central », explique Michel Collin, le directeur commercial. Pour mieux travailler ensemble, des consultants d'Arthur Andersen Management se sont transformés en chevaliers de la Table ronde. Dans un décor moyenâgeux et en costumes d'époque, une centaine de consultants ont successivement joué des rôles et tenu des postes d'assistants-réalisateurs. Les textes défilent sur un prompteur et chacun doit se glisser dans la peau de Guenièvre ou de Lancelot. Résultat : un film de cinquante minutes qui est ensuite projeté en interne dans une vraie salle de cinéma. « Ce genre d'événement tisse des liens entre les gens. L'entreprise sait aussi que plus elle créera une culture d'entreprise, plus elle aura de chances de conserver des salariés extrêmement chassés », souligne Jean-Louis Raynaud, directeur de l'agence Geyser, qui réalise cet événementiel.

Dans ce domaine, c'est une véritable course à la créativité. Ingénieur commercial dans la SSII Decan, Caroline a participé à sa première murder party. Sur une péniche amarrée sur les bords de Seine, elle a incarné une passagère du Titanic chargée, avec une trentaine de membres de son entreprise, de résoudre l'énigme d'un crime commis sur le bateau. « On possède un descriptif de notre personnage, de son comportement et de l'objectif à atteindre. Du coup, dans la peau d'un autre, on parvient à vaincre ses peurs. Tout le monde est actif et apporte sa pierre à l'édifice. » Le jeu dure deux à trois heures et il est suivi par un debriefing.

Ambiance cour de récré dans des entrepôts parisiens à Bercy où Mathieu d'Épenoux, fondateur d'Interlude, société prestataire de jeux pour les entreprises, invite les salariés d'un opérateur téléphonique à s'activer autour d'un mikado de 2 mètres. Plus loin, des participants essaient de guider une balle de ping-pong en haut d'un panneau perforé sans qu'elle n'échoue dans un des trous. D'autres, regroupés autour d'une table, réinventent Jacques a dit. Selon la carte déposée sur la table, tout le groupe se met à saluer à la japonaise, lever la main et crier « hello ! » ou encore hurler « bonjour Robert ! ». « Nous devons sans cesse choisir de nouveaux jeux en fonction des besoins du client : détente, découverte des autres ou réalisation d'un objectif. » Dernière trouvaille de cette entreprise versaillaise : les jeux photo luminescents qui se pratiquent dans l'obscurité, les participants ne pouvant apercevoir que leurs mains et quelques éléments du jeu. Très à la mode également, le baby-foot géant. Dans une sorte de grande piscine gonflable les salariés sont attachés à des barres et shootent dans un gros ballon.

Les entreprises font elles-mêmes assaut d'originalité. Chez Lagardère, Pascale Papée, directrice du développement des ressources humaines, recourt à la dégustation de vins dans l'école de management interne où se côtoient des salariés de tous pays. « L'œnologie est très révélatrice si l'on veut étudier les capacités de jugement, d'observation, de communication des stagiaires, qualités nécessaires lors d'une dégustation. Et c'est convivial. Le tout est de ne pas abuser ! »

Sortir de son carcan

Finies les méthodes infaillibles, livrées clés en main. Très critique à l'égard des gourous et du saut à l'élastique, Janek Rayer, consultant indépendant, ancien DRH d'Ernst & Young, prône l'ouverture d'esprit. « Aujourd'hui, les cadres ont besoin de s'adapter sans cesse à des changements. Et pour être créatif, il faut sortir d'un carcan, apprendre à raisonner différemment. » Lors des stages qu'il organise dans un lieu sympathique (piscine, Jacuzzi…), Janek Rayer n'hésite pas à faire appel à un physicien en mécanique quantique, à un spécialiste du comportement des grands primates, voire à un soliste, bref à des expertises fort éloignées du monde de l'entreprise.

Parfois l'encadrement profite de ce genre de situation pour étudier le comportement des troupes. « Pendant un week-end détente, la vingtaine de personnes qui mènent la danse, se prêtent au jeu et s'enthousiasment pour les activités sont immédiatement repérées, assure Serge Toussain, consultant chez Oscar Communication. Ceux qui passent tout leur temps au bord de la piscine sont aussi catalogués. »

La hiérarchie épinglée

Critiques, certains salariés préféreraient que l'argent dépensé pour de telles opérations soit distribué en primes. « Tous les ans, j'organise un séminaire à Center Parcs », explique Gilles Catel, fondateur de Sefas Technologies, un éditeur de logiciels à très forte croissance. « On alterne séances de travail, sport, détente. Évidemment, il y a toujours un noyau qui râle. » D'autant que l'opération coûte 300 000 francs. « Mais j'estime que l'on doit animer une entreprise », poursuit ce manager qui organise aussi des événements autour de la course automobile, sa passion.

Conviviales mais forcément éphémères, ces opérations font office de placebo si l'entreprise ne modifie pas sa façon de travailler. Au ministère de la Solidarité, une équipe de comédiens de Théâtre à la carte est venue jouer Il faut sauver le fonctionnaire Ryan, une saynète inspirée des conditions de travail des fonctionnaires. « On y voyait représentés tous les travers d'un agent qui arrive à 10 heures, fait une pause toutes les quinze minutes, est pendu au téléphone avec ses amis, quitte son travail à 15 h 30 en laissant tout le boulot à une collègue, relate Jérôme Roy, le responsable de la formation à la direction de l'administration générale du personnel et du budget. La hiérarchie qui donnait des ordres contradictoires était également épinglée. Le débat qui a suivi a donné aux agents l'occasion de réagir. »

Pour autant, tous les problèmes n'ont pas été résolus. Pour motiver des agents, il faudrait réaliser un travail de fond auprès des services de RH, s'intéresser aux conditions de vie et de travail de ces agents. L'accueil entre deux portes, le travail de frappe dans des bureaux sans fenêtre, l'absence de considération, le manque de valorisation des initiatives, le règne des petits chefs et les salaires qui ne suivent pas ne sont pas l'apanage du privé. De cette expérience théâtrale il n'est resté que quelques traces d'humour. Grinçant.

Auteur

  • Sandrine Foulon