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Vie des entreprises

Quels avantages acquis, contractuels, ou conventionnels ?

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.10.2000 | Jean-Emmanuel Ray

La source conventionnelle ou contractuelle des avantages individuels du salarié joue aujourd'hui un rôle déterminant. Sauf « clause de maintien des avantages acquis », une convention collective peut modifier un avantage résultant d'un précédent accord, mais non les droits que le salarié tient directement de son contrat de travail.

Le poète : « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force ni sa faiblesse » (Aragon). Le juriste : « La structure de la rémunération résultant non pas du contrat de travail mais de la convention collective à laquelle s'était substitué lors de la fusion des entreprises un accord de substitution, ce changement de structure salariale s'imposait aux salariés sans que ceux-ci puissent se prévaloir d'une modification de leurs contrats de travail. »

L'arrêt Air France du 27 juin 2000 va sans doute amener nombre de salariés à reprendre leur fiche de paie et à s'interroger sur la source des divers éléments de leur rémunération : loi ? convention collective ? usage ? engagement unilatéral ? contrat de travail ? Si la question ne s'était guère posée pendant les Trente Glorieuses, la source précise de l'avantage joue aujourd'hui un rôle déterminant : la summa divisio jurisprudentielle rigidité du contrat individuel/flexibilité du statut collectif pose de façon abrupte la question des rapports de moins en moins harmonieux entre convention collective et contrat de travail. Choc prévisible de deux astres qui montent : le « renouveau du contrat de travail » (cf. Ph. Waquet, RJS 1999, p. 383) et l'extraordinaire montée en puissance juridique et statistique des accords d'entreprise grâce au turbo des 35 heures.

Au bon vieux temps des Trente Glorieuses, les rapports convention collective/contrat de travail ressemblaient à un jardin à la française, dessiné selon un principe hiérarchique : la convention collective (à l'époque essentiellement de branche, et donc à fonction exclusivement normative) apportait en application de l'ordre public social des « avantages » supplémentaires au salarié par rapport à la loi. Le même principe de faveur s'appliquait aux échelons inférieurs : convention de branche/accord d'entreprise, enfin le contrat individuel qui ne pouvait qu'être « plus favorable » que toutes les sources supérieures (C. trav., art. L. 135-2). La croissance avait ainsi financé un constant progrès social, donnant (l'inflation aidant) l'illusion d'une croissance infinie des avantages conventionnels et contractuels, sur lesquels il était impossible, et surtout impensable de revenir. Cela ne s'était jamais vu, cela ne se faisait pas : les rituelles clauses de « maintien des avantages acquis » veillaient au respect de cette crémaillère sociale.

Les Vingt Pâteuses ont fait réapparaître le granit social. Non seulement les avantages ont parfois cessé de croître, mais, dans de nombreux cas d'entreprises en difficulté dans les années 80, ou en 1998-2000 lors du passage aux 35 heures, d'anciens avantages conventionnels ont été remis en cause dans des accords dits « donnant-donnant » : accords dérogatoires prévoyant seulement des « contreparties » (1982) et/ou avenant de régression applicable à tous en vertu de l'article L. 132-7 du Code du travail (1992). La situation a donc bien changé et ressemble désormais à l'esthétique bariolée du centre Beaubourg.

La négociation organisationnelle de l'entreprise d'aujourd'hui rend en outre de plus en plus difficile la mise en œuvre du principe de faveur : vaut-il mieux faire 39 heures selon un rythme régulier ou 35 heures payées 39 selon des horaires improbables ? La réponse n'est pas aussi évidente que passer de 35 francs l'heure à 40 francs. Dans sa légitime lutte contre l'exclusion, la Cour de cassation a par ailleurs introduit l'engagement patronal de maintien de l'emploi dans la comparaison des avantages (Cass. soc., 3 novembre 1999, Sté OXO). Enfin, la multiplication des accords collectifs à durée déterminée associée aux restructurations permanentes rendent les avantages collectifs beaucoup plus précaires. Trois idées.

1° Principe : l'absence d'incorporation des avantages de source collective au contrat de travail

La désillusion de salariés pour lesquels des « avantages » sont forcément « acquis » a été à la hauteur de la grande illusion des Trente Glorieuses.

a) Car si le salarié peut refuser que l'on modifie de 1 franc son salaire contractuel (en dernier lieu, Cass. soc., 18 juillet 2000), aucun texte légal ne prévoit un quelconque maintien des avantages de source collective, si l'on écarte l'article L. 132-8 visant la dénonciation et les restructurations. Ce qu'une convention de même niveau a créé (ex : un 13e mois) peut donc disparaître par la signature d'un nouveau texte conventionnel, sans que les salariés puissent prétendre que cet avantage s'était incorporé à leur contrat de travail. À la rigidité du contrat individuel s'oppose donc une flexibilité des avantages de nature collective, les délégués syndicaux (mais aussi des mandatés souvent novices) se voyant confier une responsabilité dont ils se seraient sans doute volontiers passés. Comme l'ont montré nombre d'accords 35 heures, cette politique jurisprudentielle permet de réduire les coûts salariaux sans avoir à affronter le très contraignant droit de la modification du contrat.

b) Exception : l'article L. 132-8 du Code du travail, qui avait en 1982 conforté l'idée que les avantages conventionnels s'incorporaient automatiquement aux contrats. Si, quinze mois après la dénonciation ou la remise en cause de l'accord d'entreprise (trois mois de préavis plus douze de survie légale), aucun accord de substitution n'a été signé, l'ancienne convention disparaît totalement (Cass. soc., 23 juin 1999), mais « les salariés présents avant la cession conservent les avantages individuels qu'ils ont acquis » (C. trav., art. L. 132-8, 6e alinéa). Ces avantages étant, après les quinze mois fatidiques, « intégrés au contrat de travail » (Cass. soc., 27 octobre 1998), l'employeur voulant les remettre en cause devra alors passer par le droit de la modification du contrat : de quoi l'inciter à négocier un accord de substitution, qui s'imposera aux anciens comme aux nouveaux. Mais il ne devra pas aller trop vite en chemin, faisant par exemple signer des renonciations individuelles à l'accord ancien qui survit pendant un an. « Les salariés, tant que leur contrat de travail est en cours, ne peuvent valablement renoncer aux avantages qu'ils tiennent d'un accord collectif, les avenants emportant renonciation aux dispositions de l'accord d'entreprise encore en vigueur étaient nuls » (Cass. soc., 26 mai 1998).

Cas exceptionnel : que devient le salaire en cas de disparition de la norme collective qui le fixait entièrement ? Application de l'article L. 132-8 : « Dans l'hypothèse où la rémunération d'un salarié résulte en totalité d'un accord collectif, la dénonciation de cet accord qui ne serait pas suivie d'un accord de substitution dans le délai d'un an de l'article L. 132-8 entraînerait le maintien du salaire antérieur par intégration dans le contrat de l'avantage individuel acquis » (Cass. soc., 20 octobre 1998). Retour du principe si un accord de substitution a été signé dans le cadre d'une restructuration : « Même si la nouvelle convention ne prévoit pas des dispositions plus favorables que la convention mise en cause » (Cass. soc., 3 mars 1998), elle s'applique immédiatement et intégralement. À moins que…

2° Contractualisation (plus ou moins volontaire) des avantages

Deux hypothèses méritent ici examen.

a) Le maintien volontaire des avantages acquis peut passer soit par une clause conventionnelle, soit par une contractualisation individuelle.

– Clause conventionnelle de « maintien des avantages acquis ». L'arrêt du 14 juin 2000 oblige logiquement un employeur qui avait accepté l'insertion d'une telle clause à verser aux salariés l'indemnisation plus favorable des trajets figurant dans l'ancienne convention. Mais exclusivement, comme elle le précise, aux salariés en poste avant l'entrée en vigueur de la nouvelle convention.

– Clause individuelle = contractualisation. Avant l'entrée en vigueur d'une nouvelle convention collective, un employeur envoie au salarié une lettre personnelle lui indiquant : « ce classement n'aura aucune conséquence sur votre salaire, qui vous reste acquis ». Conséquence logique, selon la Cour : cet avantage conventionnel est contractualisé (Cass. soc., 5 janvier 1999). Mais la volonté patronale de maintien des avantages n'est pas toujours aussi claire…

b) Maintien moins volontaire, voire bien involontaire.

En droit social, faut-il encore être social ? En notre domaine, la courtoisie se révèle par exemple vite excessive. Un employeur demande à un salarié son accord pour supprimer un avantage collectif ayant disparu du statut conventionnel à la suite d'un transfert : il risque de se voir opposer la jurisprudence du 5 octobre 1999 : cette demande patronale – juridiquement inutile puisqu'il n'y a pas eu incorporation – valait aveu de contractualisation.

Difficile question : tout ce qui figure au contrat est-il contractuel, sinon contractualisé ? Simple information ou contractualisation des avantages en cause ? Si l'arrêt IBM du 11 janvier 2000 avait très logiquement refusé de voir une contractualisation dans la remise d'un livret d'accueil récapitulant les normes collectives applicables, l'énonciation dans le contrat ou le bulletin de paie de la convention applicable mérite attention depuis deux arrêts du 18 juillet 2000. S'agissant du bulletin de paie, la Cour a rappelé dans un premier arrêt que « la mention obligatoire de la convention applicable ne vaut reconnaissance de l'application de cette convention à l'entreprise que dans les relations individuelles de travail, et non dans les relations collectives ». La convention régit le contrat, mais cette insertion ne vaut contractualisation des avantages qu'elle contient. Second arrêt du même jour : une simple mention (même erronée) permettra au salarié de pouvoir choisir sa convention s'agissant des avantages individuels : « À défaut de se prévaloir de la convention applicable en fonction de l'activité principale de l'entreprise, le salarié peut demander l'application de celle mentionnée sur le bulletin de paie » (Cass. soc., 18 juillet 2000, Droit social, septembre-octobre 2000, p. 922, note J.-Y. Frouin).

3° La convention ne peut modifier le contrat de travail

Malgré sa puissance nouvelle, un accord collectif ne peut tout faire en matière de modification du contrat individuel. À la suite de l'entrée en vigueur d'une nouvelle convention, une « secrétaire de direction » (coefficient 265) voit salaire et coefficient augmenter (à 380). Licenciée un an après, elle s'aperçoit que dans la nouvelle convention elle était classée « secrétaire » tout court. La Cour de cassation rappelle que « la modification de la convention applicable ne pouvait porter atteinte à une situation acquise » (Cass. soc., 5 janvier 2000) : termes signifiant qu'il est impossible de toucher à la qualification, élément contractuel par nature, sans l'accord express du salarié. Depuis l'arrêt du 14 mai 1998, nul n'ignorait qu'un accord collectif « ne peut modifier sans l'accord des salariés concernés les droits qu'ils tiennent de leur contrat de travail ».

Conclusion : toute reprise d'un avantage conventionnel dans un contrat de travail doit faire l'objet d'une grande attention. Vu la nouvelle et redoutable importance du statut collectif, il est désormais souhaitable de tenir le salarié informé en temps réel des évolutions de celui-ci.

Est-il hors de portée que d'imposer la communication (et non pas la contractualisation) des textes conventionnels applicables au nouvel embauché et, dans les deux mois, des éventuelles modifications aux salariés en poste (cf. directive de… 1991) ?

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray