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Pôle emploi tisse sa Toile

À la une | publié le : 03.04.2014 | Stéphane Béchaux

L’opérateur public joue la complémentarité avec les sites d’emploi en ligne. Via des partenariats pour échanger offres et CV. Une initiative saluée par les acteurs du marché, mais qui se heurte à des intérêts parfois divergents.

Pôle emploi n’échappe pas à la révolution numérique. Avec ses 5,5 millions de visiteurs uniques par mois, son site Web s’affiche même, et de loin, en tête du classement de Médiamétrie des sites « emploi et formation » les plus consultés de l’Hexagone. Quelque 200 000 recherches d’emploi y sont ainsi effectuées chaque heure, si l’on en croit sa direction informatique. En d’autres temps, l’opérateur aurait trouvé dans ces résultats matière à perpétuer sa politique de splendide isolement. Plus maintenant. Sous l’ère Bassères, le mastodonte fait vœu d’humilité et d’ouverture, prêt à toutes les expériences pour endiguer l’inexorable hausse duchômage. Sans dogmatisme ni volonté hégémonique.

Parmi les 27 chantiers prioritaires inscrits dans le plan stratégique « Pôle emploi 2015 », le projet « transparence du marché du travail » figure en bonne place. Il vise à nouer des partenariats avec les job boards et autres sites Web d’emploi privés pour faciliter la mise en relation entre chômeurs et recruteurs. La maison y a tout intérêt : malgré sa forte présence on line, elle ne draine qu’une faible part des annonces déposées par les entreprises, de l’ordre du tiers. Mi-mars, l’opérateur pouvait revendiquer 120 000 offres sur son site Web quand le métamoteur Jobijoba, qui centralise les offres trouvées sur 390 sites d’emploi partenaires, en recensait 520 000, doublons inclus.

En juin dernier, après appel à candidatures, l’établissement public conclut une première série d’accords. Avec des acteurs très divers comme les annonceurs Meteojob, RegionsJob, Stepstone et Keljob, l’agrégateur Jobijoba, le multidiffuseur Multiposting-Work4 ou le réseau social professionnel Viadeo. « Il s’agit de conventions établies à titre gratuit dans lesquelles les parties s’engagent à fournir des offres accessibles gratuitement, non discriminantes et remises à jour. Nous avons de fortes attentes en matière de qualité », souligne Stéphane Rideau, le chef de projet. La montée en puissance s’avère lente, mais les résultats sont aujourd’hui à la hauteur des attentes. Mi-mars, après huit mois d’expérimentation, sur les quelque 163 000 offres d’emploi recensées sur le site de l’opérateur, près de 43 000 émanent des job boards partenaires. Pourtant retenus, deux manquent d’ailleurs encore à l’appel, DoYouBuzz et Qapa, pour des problèmes techniques ou stratégiques.

SÉVÈRE ÉCRÉMAGE

Avant d’être indexées sur la plate-forme publique, les offres tierces doivent franchir plusieurs filtres. Un très sévère écrémage, qui aboutit à en refuser une bonne moitié, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Les unes sont ainsi éliminées par incapacité à attribuer un code Rome au métier proposé, d’autres pour cause de mentions discriminantes, les troisièmes parce qu’elles doublonnent. Un tri et une mise en conformité effectués automatiquement chez Pôle emploi, qui, à l’issue d’un appel d’offres européen, a retenu la solution développée par l’agrégateur bordelais Jobijoba. « On utilise des algorithmes très puissants d’analyse sémantique. C’est une belle reconnaissance de notre technologie », souligne Thomas Allaire, cofondateur de la start-up.

Du côté des partenaires, tous se disent ravis de pouvoir coopérer avec Pôle emploi. Mais ils ouvrent plus ou moins grand l’accès à leurs offres en fonction de leurs intérêts. Sur ce marché hyperconcurrentiel, chacun défend son bifteck. « On envoie les offres qui peuvent générer des flux additionnels de visites. Et uniquement après avoir obtenu l’autorisation de nos clients. Certains n’ont pas envie de recevoir trop de candidatures ou ne souhaitent pas s’adresser à la population suivie par Pôle emploi », confie Philippe Deljurie, cofondateur de Meteojob. Résultat, sur les 30 000 annonces publiées sur le site, seules 5 % sont ainsi redirigées vers la plate-forme de l’opérateur. Même stratégie sélective chez RegionsJob. « Au travers de ce partenariat, on cherche à toucher de nouveaux publics. On a fait le choix de ne diffuser que les offres à faible qualification, du BEP au bac », explique Gwenaëlle Quénaon-Hervé, directrice générale adjointe. Au bout du compte, l’annonceur transmet quotidiennement 5 000 offres, dont 1 600 sont reprises par Pôle emploi.

RÉMUNÉRÉS PAR LES JOB BOARDS

D’autres acteurs, en revanche, optent pour une diffusion intégrale de leurs offres. Non pas pour des raisons philanthropiques, mais parce que leur modèle économique les y encourage. C’est le cas de Jobijoba. Le métamoteur n’étant pas rémunéré par les annonceurs, mais par les job boards, qui lui reversent quelques centimes chaque fois qu’il redirige un candidat vers leur site, il a tout intérêt à s’offrir la plus grande visibilité possible. Chez Pôle emploi comme ailleurs. Idem pour l’annonceur généraliste Vivastreet, qui fait partie de la seconde vague de partenariats que Pôle emploi lance cette année. « On compte environ 35 000 nouvelles offres d’emploi par mois, qui émanent souvent de petites entreprises du bâtiment ou de l’hôtellerie-restauration. On va modifier nos conditions générales pour pouvoir toutes les envoyer », indique-t-on à la direction. Normal, là aussi, le site monnayant son audience auprès des annonceurs potentiels.

Dans sa volonté de transparence, Pôle emploi veut aller plus loin. En plus d’agréger les offres de ses partenaires sur son site, il ambitionne, aussi, de faire le contraire. Des tests sont actuellement menés en régions Poitou-Charentes et Pays de la Loire pour diffuser les annonces de Pôle emploi sur d’autres moteurs. « Chaque partenaire est libre de reprendre ou pas nos offres. Quand il le fait, on observe une augmentation de 20 % du trafic, ce qui est un peu faible. Ça devrait mieux marcher avec plus d’acteurs, notamment de niche », décrypte Stéphane Rideau. Un pari compliqué. Sur le terrain, les job boards ne se précipitent pas pour offrir aux agents de l’établissement public le service qu’ils font payer aux entreprises… « C’est pertinent pour nous de diffuser des offres chez eux. L’inverse est moins vrai. D’ailleurs, Pôle emploi se tire aussi une balle dans le pied si ses annonces sont pourvues chez nous par des candidats déjà en poste. Car ça ne fait pas baisser le chômage ! » analyse Philippe Deljurie, de Meteojob.

DIFFUSION DE CV

Un autre chantier – dont le lancement est prévu cet été – fait davantage saliver les acteurs privés : la diffusion de curriculum vitae. L’opérateur public ambitionne en effet de faire circuler, aussi, les profils des postulants. « Tout candidat peut déjà déposer son CV sur notre site. On en recense près de 2 millions. Mais ce service reste peu connu des entreprises et n’est pas suffisamment attractif », précise Stéphane Rideau. Après appel à candidatures, quatre opérateurs sont sur les rangs pour tester ce nouveau projet : Meteojob, Jobijoba, DoYouBuzz et Viadeo. Les autres s’interrogent encore sur leur positionnement. À l’image de RegionsJob. « Pôle emploi s’occupe des gens au chômage. Nous aussi, mais partiellement. Sur cette question de la rediffusion de CV, on est en pleine réflexion », confie Gwenaëlle Quénaon-Hervé. Dans ce cas-là, aussi, le marché s’avère asymétrique. Si les job boards peuvent trouver intérêt à récupérer des profils supplémentaires, ils ont, en revanche, moins de raisons d’éparpiller les leurs !

En parallèle, Pôle emploi travaille à la mise en place d’une offre « 100 % Web » pour les demandeurs d’emploi geeks et lance des salons de recrutement en ligne. À terme, l’opérateur caresse l’espoir de pouvoir faire profiter les chômeurs d’outils de matching performants à même de favoriser la rencontre entre candidats et recruteurs. Sans attendre, Pôle emploi espère attirer une cinquantaine de nouveaux partenaires cette année, à l’instar de l’Apec, Jobintree ou Talentplug. En affirmant haut et fort, neutralité oblige, que la sélection s’opère uniquement sur les capacités des opérateurs à respecter son cahier des charges. « On est en train de réaliser la consolidation du marché de l’offre d’emploi que l’ANPE, du temps de l’obligation légale de dépôt, n’avait pas réussi à faire », assure Stéphane Rideau. Pour parachever ce rêve d’une bourse du travail en open data, reste encore à convaincre des hésitants. Au nombre desquels de très gros acteurs du secteur, tels Leboncoin ou Indeed.

Auteur

  • Stéphane Béchaux