logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Je fais un métier de femme

Décodages | Mixité | publié le : 05.05.2014 | Catherine Abou El Khair

Puériculteur, secrétaire, aide à domicile…, les hommes restent rares dans ces professions. La faute aux clichés, à l’absence de politique des entreprises, mais aussi à la sous-estimation des compétences nécessaires à ces « postes féminins ».

Il aime se dire « secrétaire » alors que ses fonctions sont bien celles d’un assistant de direction. S’occupant depuis vingt-sept ans de la bonne marche d’un laboratoire de recherche à l’École nationale supérieure des arts et métiers, Bernard Aubague s’amuse des clichés. Mais au fond, les stéréotypes lui importent peu : « Il y a peut-être des qualités masculines et féminines, mais les métiers n’ont rien à voir avec le sexe. » Pas selon les statistiques. Près de la moitié des femmes se concentrent dans une dizaine de familles professionnelles sur les 86 dénombrées par la Dares, le service d’études du ministère du Travail. Depuis trente ans, la ségrégation professionnelle a légèrement diminué, progression de l’emploi des femmes oblige. Mais la croissance des emplois dans l’aide à la personne et la santé, domaines féminins par excellence, a endigué cette tendance.

« Enfin un homme dans l’équipe ! » La remarque reste fréquente dans les crèches et les maternités tant la gent masculine y est rare. L’accueil qui leur est réservé est plutôt bienveillant. Infirmier puériculteur, Florent Brault reconnaît que sa collaboration au service pédiatrie a produit son petit effet : « J’arrive à la pause-café, l’ambiance change : les commérages s’arrêtent », se souvient-il. Un rôle de « temporisateur » apprécié de ses collègues. Désirés, les hommes ? « À mon embauche, j’ai été intronisé secrétaire du chef et chef des secrétaires », raconte Bernard Aubague. « Les hommes apportent de la diversité et de la stabilité dans les équipes », affirme la directrice du développement RH des crèches Babilou, Nathalie Servier. Le réseau, qui compte aujourd’hui 4,2 % d’hommes parmi ses 3 000 collaborateurs, dit vouloir favoriser leur recrutement. Les campagnes de communication de l’entreprise mettent ainsi en valeur leurs directeurs de crèche masculins. Pas simple pour autant. « Accepteriez-vous de confier votre enfant à un homme ? » Elle oui. Mais la directrice petite enfance des crèches publiques de Levallois-Perret, Odile Pfister, a préféré nous renvoyer la question. « Les directeurs de crèche ne vous diront jamais qu’ils refusent de recruter un homme. » Mais des années de métier, des cohortes de parents inquiets peuvent en résigner plus d’un. « Les accusations de pédophilie pleuvent facilement, de façon irrationnelle. » Seule solution pour favoriser les candidatures masculines, retirer des fiches de poste les soins du corps susceptibles de heurter la sensibilité des mamans.

Stéréotypes tenaces. Les hommes ont beau être bien accueillis dans les univers féminins, les cas restent rares. « Il n’y a pas d’obstacle », assure pourtant Catherine Benet. DRH aux Aéroports de Paris (ADP), elle a récemment engagé un jeune assistant en alternance dans ses services. Une exception : aux ADP, les filières administration-affaires générales et les ressources humaines sont féminines à 85 %, l’objectif étant de passer sous la barre des 80 %. Un défi de taille. « Les métiers dits féminins ne sont pas en fort développement », reconnaît-elle. Deux hommes sont assistants auprès des directions des ADP. Un coup de chance : « Des employés en interne qui souhaitaient quitter leur poste dans l’aéroportuaire et l’exploitation pour changer de rythme de travail. »

Les discours sur la mixité, eux non plus, n’évoluent pas. « Les entreprises ne développent aucune mesure spécifique pour masculiniser ces professions », constate Sandra Enlart, directrice d’Entreprise et Personnel. Un non-sens d’un point de vue financier, métier masculin rimant avec revalorisation. Une division des tâches qui prédispose les hommes à des postes de management. Et les femmes n’y trouvent rien à redire… C’est le cas de Christophe Boire. À 26 ans, l’éducateur de jeunes enfants décroche la direction d’une crèche associative. « J’avais moins d’expérience que mes concurrentes. Les parents de l’association étaient plutôt des cadres et directeurs d’entreprise. Ils pensaient qu’un homme pourrait mieux gérer la crèche », confie-t-il.

On est alors bien loin de l’objectif initial, atténuer les stéréotypes de genre. « Il faudrait que la mixité progresse dans les deux sens. Mais les emplois à prédominance féminine sont systématiquement dévalorisés par rapport à ceux masculins, que ce soit en termes de rémunération, de niveau de formation comme de prestige. Les hommes n’ont aucun intérêt à se lancer », affirme Marie Buscatto, professeure de sociologie à la Sorbonne, qui a codirigé la dernière édition de la revue « Recherches sociologiques et anthropologiques » consacrée aux hommes dans les domaines professionnels féminins. Déconsidération de l’entourage, soupçons d’homosexualité…, des déconvenues encore pesantes pour les hommes travaillant dans la petite enfance ou des métiers d’accueil. « On croit que tout a évolué car on exprime mieux les différences. » Un faux-semblant, selon Marie Buscatto.

Véritables savoir-faire. Malgré un appel aux hommes via le site www.homme-de-menage.fr, l’agence O2 n’en compte que 2,1 % dans ses effectifs. « En tant qu’entrepreneur, j’ai plus intérêt à recruter des hommes, disponibles à plein temps », reconnaît le président de cette entreprise de services à domicile, Guillaume Richard. Les campagnes de communication n’y feront rien. DRH de l’Union nationale de l’aide à domicile (UNA), Hélène Lemasson-Godin fait le même constat. Le fond du problème ? Outre les salaires, « il faut sortir du cliché du petit boulot pas qualifié », note-t-elle. Bien que chaque année plus d’un employé sur deux du réseau de l’UNA bénéficie d’une formation, les poncifs sur le manque de compétences spécifiques perdurent. Car l’inégalité est ailleurs. Les subtilités d’un métier de secrétaire ou d’infirmière ne sont pas inscrites dans les classifications professionnelles. Les réviser branche par branche pourrait ouvrir la voie à des requalifications. Ce chantier fait partie des négociations intersyndicales sur l’égalité professionnelle, annoncées le 3 mars. Une nécessité, selon Sophie Binet, déléguée nationale de la CGT : « Aucune branche n’a analysé les classifications sous l’angle de l’égalité hommes-femmes, comme l’imposait l’ANI de 2004. » Réévaluer les compétences des postes « féminins », une démarche qui a fait ses preuves au Canada ou au Portugal, où les métiers féminins commencent à se peupler d’hommes. En France, c’est pour l’instant le cas dans trois domaines. Il y a plus d’ouvriers hommes dans le cuir et le textile, de vendeurs et d’agents d’entretien aujourd’hui qu’en 1982.

REPÈRES

Près de

50 %

des femmes se concentrent sur une dizaine de familles professionnelles parmi les

86

que recense la Dares.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair