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Comment Pôle emploi piste les tricheurs

À la une | publié le : 03.09.2014 | Anne-Cécile Geoffroy

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Comment Pôle emploi piste les tricheurs

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Auditeurs internes spécialisés, datamining, partenariats avec les organismes sociaux… Pôle emploi met l’accent sur la prévention des fraudes. Et en déjoue de plus en plus.

Quand j’ai demandé à la personne de m’expliquer très précisément son métier de maçon, je l’ai vue suer à grosses gouttes, se souvient encore Celestino dos Santos, auditeur au sein du service de prévention des fraudes de Pôle emploi à Paris. Elle essayait tant bien que mal de mimer des gestes professionnels, ne maîtrisait pas le vocabulaire, et ses mains étaient loin d’être celles d’un artisan ! » Autant d’indices qui, recoupés avec les différentes incohérences du dossier du supposé demandeur d’emploi, ont permis à l’auditeur interne de détecter une fraude.

Avec un montant d’allocations versées de 33,7 milliards d’euros, l’assurance chômage n’échappe pas au phénomène. En 2013, le montant de la fraude est estimé à 100 millions d’euros. « 55 % de cette somme représentent les préjudices subis. Les 45 % qui restent correspondent aux fraudes déjouées », précise Réjane Biolet, directrice adjointe de la prévention et de la lutte contre la fraude. En 2012, la fraude était estimée à 76 millions d’euros. L’augmentation est liée, selon Pôle emploi, à une meilleure détection des préjudices et à une part croissante des fraudes déjouées (+ 13 %).L’une des particularités de Pôle emploi est en effet de travailler sur la prévention et non sur la répression.« Nous cherchons avant tout à stopper les fraudes en cours et à intercepter très tôt les tentatives de fraude, qu’elles viennent des demandeurs d’emploi ou des employeurs », explique Jean-Louis Tauzin, le directeur du service de prévention et de lutte contre la fraude.

L’organisme d’assurance chômage s’est doté depuis 2002 d’un réseau de 150 auditeurs internes répartis entre Paris et les différentes directions régionales. Ces agents pas comme les autres manient avec dextérité les tableaux Excel, sont des experts des règles d’indemnisation, connaissent parfaitement les différentes allocations chômage et maîtrisent les techniques de fraude qui ne cessent d’évoluer. « Ces dernières années, par exemple, on s’est rendu compte de l’existence d’entreprises immatriculées mais dont l’activité économique consistait uniquement à produire de faux documents revendus sous forme de kits. De faux demandeurs d’emploi payaient entre 1 000 et 1 500 euros et reversaient un pourcentage à ces sociétés une fois l’allocation touchée », raconte Réjane Biolet.

Depuis, Pôle emploi a engagé des procédures pénales et surtout mieux identifié les types d’escroqueries : de la reprise d’activité non déclarée (le cas le plus courant) à l’activité fictive en passant par la fraude transfrontalière, mais aussi le demandeur d’emploi qui omet de déclarer un congé maladie, une période de formation ou le gérant d’une société en liquidation qui s’identifie comme salarié auprès de Pôle emploi et en profite pour greffer des salariés fictifs, généralement des proches.

Pour débusquer les tricheurs, Pôle emploi a surtout doté ses auditeurs internes d’un solide système d’information et de logiciels aux algorithmes puissants. Une cellule d’informaticiens chevronnés est dédiée au risque fraude.« En agence, des alertes informatiques préviennent nos collègues des incohérences, qui peuvent être des erreurs de saisie, dans les informations présentées par les demandeurs d’emploi », explique Celestino dos Santos. Surtout, depuis le mois de janvier, les agents peuvent interroger en temps réel, depuis leur poste de travail, la base de données de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, qui recense le numéro de Sécu, le nom et le prénom de toutes les personnes qui ont travaillé un jour. « C’est un vrai plus pour vérifier l’exactitude des informations. Ne remontent vers le service de prévention des fraudes que les dossiers les plus difficiles à éclaircir », reprend l’auditeur.

TRAQUE COLLECTIVE. Ces dernières années, les partenariats avec les différents secteurs de la Sécurité sociale (famille, retraite… mais aussi Urssaf) se sont inten­sifiés pour permettre à chacun de veiller au grain. Une coopération qui dépasse aussi les frontières. « Nous identifions des correspondants étrangers avec lesquels échanger sur certaines situations de transfrontaliers », indique Jean-Louis Tauzin. D’ici à la fin de l’année, une convention de coopération avec l’Office national de l’emploi belge devrait être signée. La Suisse et l’Angleterre travaillent aussi en bonne entente avec la France sur ces sujets. Pour les limiers de Pôle emploi, traquer la fraude revient avant tout à manier des jeux de données issues des différents organismes de protection sociale et à travailler sur des requêtes informatiques de plus en plus fines. « Tous ces organismes ont accès à un répertoire commun de la protection sociale. Nous pouvons mieux identifier les périodes de travail des demandeurs d’emploi », précise Celestino dos Santos.

Les auditeurs travaillent également depuis l’an dernier à partir des déclarations préalables à l’embauche (DPAE) fournies par les employeurs à l’Urssaf. Un document très utile pour déjouer les non-déclarations de reprise de travail, car 90 % des DPAE mènent à une embauche effective. Et, d’ici à 2016, les mailles des filets devraient encore se resserrer avec la mise en place de la déclaration sociale nominative, qui remplacera les diverses déclarations sociales obligatoires des entreprises. « Pour les fraudeurs, la barrière à l’entrée va être de plus en plus haute », pronostique Celestino dos Santos. Reste que les fraudes bougent en permanence en fonction des parades mises en place par l’organisme d’assurance chômage, mais aussi de la situation des bassins d’emploi. Les équipes du service de prévention et de lutte contre la fraude viennent de boucler un gros travail d’identification des risques liés au type d’allocation chômage versée. Les auditeurs planchent également sur les scénarios d’attaque des fraudeurs et utilisent de plus en plus le datamining pour identifier les situations curieuses et atypiques. Comme deux dossiers de demande d’allocation, l’un au nom de Claire Marie, l’autre au nom de Marie Claire, qui en fait correspondent à une seule et même personne.

ENQUÊTES ÉTAYÉES. Pour lever tous les doutes, les auditeurs, assermentés, peuvent aussi mener des entretiens de visu. « Ce n’est pas un interrogatoire de police. On se doit de vérifier des éléments objectifs en faisant raconter des situations de travail par exemple », poursuit l’auditeur. À l’issue de l’entretien, un procès-verbal est rédigé. « Il y a deux ans, nous avons travaillé avec le parquet de Paris pour mettre en place une stratégie pénale », indique Réjane Biolet. Les deux institutions ont planché sur les trames d’entretien dont se servent les auditeurs. Si Pôle emploi décide de porter plainte au pénal ou de demander une exclusion temporaire ou définitive du fraudeur auprès de la Direccte, le P-V et les pièces recueillies sont versés au dossier, « autant d’éléments de preuve », rappelle Jean-Louis Tauzin, le directeur du service de prévention de la fraude. Aujourd’hui, seuls 7 % des dossiers présentés à la justice sont déboutés. Les fraudeurs n’ont qu’à bien se tenir.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy