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Chacun voit la réforme à sa porte

Dossier | publié le : 03.09.2014 | Anne-Cécile Geoffroy, Sabine Germain, Valérie Grasset-Morel

Convaincues par la philosophie de la réforme de la formation professionnelle, les entreprises sont plus dubitatives quant à sa mise en œuvre. Notamment celle du compte personnel de formation, qui suscite bien des interrogations.

Cette réforme redonne tout son sens à la formation en rappelant qu’elle a pour vocation d’améliorer l’employabilité des salariés », estime Benoît Serre, directeur général adjoint chargé des ressources humaines du groupe Macif. « Une réforme visant à rendre la formation plus efficace va forcément dans le bon sens », abonde Christine Petit, directrice des services partagés France d’Orange. La philosophie de la loi du 5 mars 2014 et de l’accord national interprofessionnel du 13 décembre 2013, dont elle est issue, séduit la plupart des professionnels. Du moins dans les grandes entreprises. Les dirigeants de PME n’ont retenu qu’une chose, « l’abaissement de l’obligation fiscale, évidemment, relève Hervé Dallongeville, directeur régional d’Agefos PME Nord-Picardie. Mais quand ils commencent à s’intéresser au fond de la réforme, ils sont un peu surpris ».

Les DRH des grosses PME, de plus d’une centaine de salariés, découvrent en effet que leur métier va changer : « Ils vont devoir défendre leur budget formation en comité de direction, impliquer les partenaires sociaux dans leur stratégie et mettre en place de nouveaux outils de suivi et de reporting, notamment pour gérer le nouveau compte personnel de formation », poursuit Hervé Dallongeville. Depuis trois mois, l’Opca des PME enchaîne donc les réunions de décryptage pour informer ses adhérents : « Nous en avons déjà organisé une quinzaine, rassemblant à chaque fois entre 20 et 100 personnes. Et ce n’est pas fini… »

Même effervescence du côté des branches professionnelles : « Nous avons beaucoup travaillé avec les entreprises de la branche pour mettre en place leur plan de formation, s’approprier les nouveaux dispositifs et identifier les perspectives que cela peut leur offrir », explique Dominique Braoudé, responsable du pôle affaires sociales du Syndicat national des fabricants de sucre (SNFS), une petite branche de… cinq entreprises et 6 000 salariés. Il en profite pour leur faire passer un message : « Avec la réforme, les modes de financement seront différents mais les besoins resteront similaires. Évitez donc de rai­sonner en “tuyaux de financement” et concentrez-vous sur vos besoins. » Les « tuyaux » cristallisent néanmoins toutes les difficultés de mise en œuvre de la réforme. Tour d’horizon.

Plan de financement : deux visions du monde

Avec un budget frôlant 5,3 % de la masse salariale et un taux d’accès à la formation de 78 %, le groupe Macif n’a pas besoin de repenser fondamentalement son plan de formation. « La question fiscale est réglée depuis longtemps, explique Benoît Serre. Nous construisons notre plan en fonction de nos priorités et de nos objectifs (et ceux de nos salariés) sans être obsédés par les questions d’imputabilité. » La priorité du groupe mutualiste est plutôt d’aligner son plan de formation sur les objectifs de son plan de transformation 2015, avec deux chantiers à mener : « L’harmonisation du plan de formation, alors que sa gestion était régionalisée, et son imbrication avec la GPEC. Ce qui repose en grande partie sur le dialogue social. » Ça tombe bien, c’est précisément l’un des fondements de la réforme. « Reste à voir si nos priorités seront bien celles de la branche. » C’est la question que se posent de nombreuses entreprises aujourd’hui

Chez Orange, le compte à rebours a commencé : « Nous devons présenter notre plan de formation au CE en novembre… c’est-à-dire un mois plus tôt que d’habitude, pour cause d’élections professionnelles », explique Joëlle Bubbe, chargée du pilotage de la formation.« Ça ne tombe pas vraiment bien, poursuit Christine Petit, la directrice des services partagés. L’élaboration du plan de formation reste une équation pleine d’inconnues. Nous devrons sans doute le mettre à jour début 2015… mais nous ne serons sûrement pas les seuls ! Je ne vois pas vraiment qui pourra être prêt en janvier. »

Comme la Macif, le groupe Orange est bien au-delà des anciennes obligations légales, avec un budget de formation de 6 % de la masse salariale. Les questions d’imputabilité ne sont donc plus un problème. À un détail près : « La mise en œuvre du compte personnel de formation et son articulation avec le plan, commente Christine Petit. Pour le reste, la réforme ne change pas fondamentalement notre façon d’aborder le plan de formation. »

La situation est très différente dans les PME, dont la plupart ont pris l’habitude, au fil des années, de flirter avec le plancher légal de 1,6 %.« Dans un premier temps, il est clair que leur budget formation va chuter, prévient Hervé Dallongeville. Mais je suis convaincu qu’il remontera très vite. Sans doute même au-delà de 1,6 % : le taux d’accès des salariés à la formation, qui oscillait entre 30 et 40 %, va en effet devoir grimper. » Même si cela risque de prendre un peu de temps : « Dans le contexte économique actuel, les dirigeants de PME ont beaucoup de mal à se projeter en 2016. De toute façon, les pénalités ne devraient concerner que les entreprises de plus de 50 salariés ; les petites se sentent encore à l’abri… »

Dans la branche sucre, Dominique Braoudé sent monter une pointe d’agacement. « Les entreprises sont très claires : puisqu’elles n’ont plus d’obligation légale de financement, elles ne veulent pas dépenser davantage. Mais elles commencent à se rendre compte qu’à contenu équivalent, leur plan de formation risque de leur coûter plus cher, en grande partie du fait de la réinternalisation de sa gestion, qui pouvait auparavant être confiée à l’Opca. » L’avenir dira si elles ont raison. En attendant, elles ne veulent même pas entendre parler d’une contribution conventionnelle.

Compte personnel de formation : casse-tête en vue !

Le passage du droit individuel à la formation (DIF) au compte personnel de formation (CPF) est plus compliqué qu’il n’y paraît : « Nous avions déjà un excellent taux de transformation du DIF (de l’ordre de 55 %, alors que la moyenne nationale tourne plutôt autour de 6 %) car nous avions conçu des catalogues régionaux conformes aux besoins et aux aspirations de nos collaborateurs, explique Benoît Serre. Nous ne sommes donc pas inquiets pour la mise en œuvre du CPF. Mais nous n’avons pas encore décidé si nous allons confier sa gestion à notre Opca. A priori, nous préférerions continuer à le gérer nous-mêmes : mais si nous sommes capables de gérer le CPF de nos salariés, cela risque d’être beaucoup plus compliqué pour les nouveaux embauchés ayant accumulé des droits. » Autre point en suspens, « les priorités de la branche vont-elles correspondre aux nôtres » Benoît Serre est confiant. En revanche, il se demande comment il va pouvoir « proposer des parcours qualifiants avec un financement de 9,15 euros l’heure ».

Pour résoudre ce problème, le SNFS s’est allié à deux branches de l’industrie alimentaire (la coopération agricole et l’alimentation de détail) au sein d’Opcalim pour rationaliser et mutualiser une offre de formation conçue de façon modulaire. « Nous avons recensé, au sein de nos branches, plus de 120 CQP, explique Dominique Braoudé. La plupart ont un tronc commun de formation à l’hygiène et à la sécurité alimentaire. En créant des modules communs, nous facilitons l’accès des salariés à différentes certifications. Donc nous sécurisons leur parcours professionnel, tout en enrichissant le catalogue de formations certifiantes ou qualifiantes éligibles au CPF. » Chez Orange, en revanche, la mise en œuvre du CPF tient du casse-tête chinois : « 60 % de nos effectifs ont le statut de fonctionnaire, explique Christine Petit. Ils continuent donc à bénéficier du DIF, alors que leurs collègues passent au CPF. Nous avons donc conçu un système à deux niveaux… sans avoir résolu toutes les questions qui se posent : dans l’idéal, nous aimerions proposer le même type de catalogue de formation aux bénéficiaires du DIF et du CPF. Mais il semblerait que les formations en langue et en bureautique ne puissent pas être éligibles au DIF. Ce qui est dommage, car cela correspond à une forte demande de nos salariés. Mais nous nous conformerons aux décrets. »

Périodes de professionnalisation : pour une coconstruction

Mobilisées par la mise en œuvre du plan de formation et du CPF, les entreprises n’ont pas beaucoup réfléchi aux périodes de professionnalisation. « Ce n’est clairement pas notre préoccupation immédiate, avoue Christine Petit. Mais nous devrions continuer à en faire, comme par le passé. » « Disons que le seuil de soixante-dix heures clarifie un peu les choses, ajoute Hervé Dallongeville (Agefos PME). Mais sur le fond, la réforme ne change pas grand-chose. » Si ce n’est qu’elle énonce de façon plus précise les actions de formation, notamment qualifiantes, pouvant être reconnues comme des périodes de professionnalisation.

Même son de cloche à la Macif, où 300 périodes de professionnalisation représentant au total quarante-trois mille heures de formation ont été recensées en 2013 : « Essentiellement sur des formations à la technique métier (portant à 85 % sur l’assurance), commente Benoît Serre. Nous resterons donc dans la même logique, mais en fusionnant, quand c’est possible, ces dispositifs avec le CPF. Ce qui permet de responsabiliser les salariés et de les inscrire dans une logique de coïnvestissement. » C’est également l’option choisie par la branche des fabricants de sucre : « Avec les formations modulaires que nous avons mises au point avec Opcalim, nous allons pouvoir faire du compte personnel de formation et de la professionnalisation en même temps. » Car cette logique de coïnvestissement et de coconstruction de l’employabilité des salariés est effectivement dans l’air du temps. S.G.

Le fossé se creuse entre PME et grandes entreprises

Alors que 53 % des 221 entreprises interrogées par ADP * considèrent que l’arrêt de la contrainte budgétaire légale ne va pas changer leur investissement en formation, 21 % reconnaissent que leur budget risque de diminuer. « Je m’attendais à pire ! avoue Eddy Corcos, directeur de l’activité human capital management d’ADP. Notamment du côté des PME. Car le clivage est déjà très marqué entre les petites entreprises, qui restent au plancher de leurs obligations légales, et les grandes, qui vont bien au-delà (un quart d’entre elles affectent plus de 5 % de leur masse salariale à la formation). »

En revanche, malgré la suppression de la fameuse déclaration 2483, 57 % des entreprises interrogées ne sont pas convaincues que la réforme va entraîner une ­simplification des démarches administratives.

« Je suis plus partagé, commente Eddy Corcos. La déclaration 2483 sera, certes, probablement remplacée par d’autres formalités administratives.

Mais je suis convaincu que les équipes de formation, qui étaient fortement mobilisées par les tâches administratives, vont pouvoir se tourner davantage vers le conseil et l’accompagnement des salariés, notamment dans la gestion de leur CPF. »

Point positif : quand on les interroge sur les enjeux de la réforme, 51 % évoquent en premier lieu « la responsabilisation des collaborateurs » et, au même niveau, « l’optimisation des sources de financement ». « Cela prouve qu’ils ont bien compris la philosophie de la réforme », estime Eddy Corcos. Et c’est toujours ça de pris.

* Étude menée par ADP auprès de 221 directeurs ­généraux, RH ou formation entre le 27 avril et le 4 juin 2014.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy, Sabine Germain, Valérie Grasset-Morel

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