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Débat

Quelle réforme engager pour mieux prévenir les risques du travail ?

Débat | publié le : 01.11.2000 |

Éclipsée par l'assurance chômage, la santé au travail est pourtant un chantier capital de la refondation sociale. La recrudescence des accidents, l'apparition de nouveaux risques professionnels (stress, TMS, éthers de glycol…) et la désaffection des médecins pour cette discipline appellent une réforme vigoureuse du système. Comment améliorer la prévention sur les lieux de travail ? La réponse de trois acteurs et/ou experts.

« Il faut séparer l'évaluation de la gestion des risques, car on ne peut pas être juge et partie. »

FRANÇOIS DESRIAUX

Rédacteur en chef de la revue « Santé et Travail », publiée par la Mutualité française.

Imaginons que, demain, une substance dangereuse comme l'amiante envahisse les atmosphères de travail : serions-nous mieux armés pour empêcher une seconde catastrophe sanitaire ? Rien n'est moins sûr. À ce jour, l'organisation de la prévention des risques professionnels n'a pas changé et, malheureusement, ce n'est pas l'accord « santé-travail », négocié par les partenaires sociaux dans le cadre de la refondation sociale, qui pourra remédier à ce déficit.

Pourtant, il serait temps d'engager cette réforme. Toutes les enquêtes, nationales ou européennes, montrent une dégradation des conditions de travail, qui va bien au-delà des expositions à des produits toxiques comme l'amiante. Les nouvelles formes d'organisation du travail, la compétitivité « sans limites » entraînent déjà des conséquences visibles sur la santé publique, avec notamment la montée en charge des troubles musculo-squelettiques, des syndromes de décompensation psychiques.

Trois pistes de réforme mériteraient d'être exploitées. La critique majeure que l'on peut faire du système actuel est qu'il entretient une confusion des rôles entre les fonctions d'évaluation des risques et de gestion de ceux-ci. Une confusion renforcée par la gestion paritaire de certaines institutions. À l'image de ce qui s'est mis en place en matière de veille sanitaire, il faut une « séparation des pouvoirs » entre les structures chargées de l'une et de l'autre.

De plus, il n'est plus possible de laisser à ceux qui créent le risque, c'est-à-dire les employeurs et les industriels, le soin de contrôler la recherche sur celui-ci et de participer à la définition des mesures réglementaires de prévention. On ne peut être à la fois juge et partie. Enfin, autant la négociation collective est une nécessité irremplaçable dans certains domaines, autant la prévention s'accorde mal avec la notion de compromis. On ne peut plus laisser les partenaires sociaux « marchander » les valeurs limites d'exposition aux produits toxiques.

La deuxième piste concerne la médecine du travail. Il n'est plus possible de la différer sur au moins deux points : son mode d'administration et ses missions. Concernant le premier aspect, il faut trouver une organisation de l'institution qui garantisse l'indépendance professionnelle des praticiens, et plus généralement de l'ensemble des intervenants du champ de la prévention des risques professionnels (ergonomes, hygiénistes industriels…). Quant aux missions de la médecine du travail, l'accent devrait être mis sur sa dimension de prévention primaire, à savoir éviter toute altération de la santé du fait du travail. Il est donc indispensable de revoir la question de l'aptitude médicale, qui fait souvent déraper la médecine du travail vers la sélection des individus les plus résistants. Il faut aussi renforcer l'action du médecin sur le milieu de travail, ce qui suppose de limiter le nombre de salariés surveillés par praticien.

Enfin, le troisième axe passe par la revalorisation du CHSCT. La santé au travail mérite une institution représentative du personnel de même niveau que le comité d'entreprise ou les délégués du personnel. Son mode de désignation devrait donc être le même et il devrait pouvoir disposer des moyens nécessaires à l'exercice de ses missions. C'est l'une des conditions pour faire de la santé au travail un enjeu syndical.

« En impliquant, de façon réelle et formalisée, les chefs d'entreprise dans la prévention. »

JEAN-PIERRE STASI

Secrétaire général de l'OPPBTP.

Le statut d'observateur privilégié de l'OPPBTP, organisme-conseil en prévention du bâtiment et des travaux publics depuis plus de cinquante ans, nous amène à faire plusieurs constats en matière de santé au travail.

Premier constat : les approches les plus efficaces pour la prévention des risques sont des approches professionnelles. La sécurité a été longtemps perçue comme un mal nécessaire et l'accident comme une fatalité. La gestion des risques s'est actuellement professionnalisée : à l'instar des risques industriels, on parle d'identification des risques, de leur évaluation, de leur suppression ou, à défaut, de leur maîtrise.

Deuxième constat : l'approche « professionnelle » à préconiser est l'approche systémique. Le développement important en Europe des systèmes de gestion de la sécurité, voire de management de la sécurité, en est la meilleure illustration. Un avantage incontestable de ce type de démarche est l'implication réelle et formalisée du chef d'entreprise dans la prévention. Cette approche permet d'identifier la prévention comme une fonction de l'entreprise et de favoriser son intégration dans le management au plus haut niveau.

Troisième constat : la simple prévention technique ne suffit plus. Outre l'approche « managériale » évoquée ci-dessus, une approche « comportementale » est devenue nécessaire. Élaborer le meilleur système de « management de la sécurité » n'a aucun sens s'il n'est pas accepté par les opérateurs. Une étude réelle de la perception de la politique de sécurité par les hommes de terrain est une étape décapante mais fondamentale. L'optimisation du fonctionnement des CHSCT reste, dans ce domaine, un objectif à atteindre.

Quatrième constat : il faut prévenir à la source. La directive européenne transposée en droit français, en 1993, a promu un nouvel acteur, le « coordonnateur SPS » ; sa mission la plus délicate, mais aussi la plus efficace, s'avère être l'intégration des principes généraux de prévention le plus en amont possible, à la conception de l'ouvrage. Dans le même esprit, l'enseignement et l'apprentissage du travail en sécurité au plus tôt dans les cursus scolaires et universitaires constituent un levier encore sous-utilisé pour diffuser une réelle culture de prévention.

Cinquième constat : la sécurité est d'abord affaire d'état d'esprit et la formation est clairement l'outil premier et « royal » de la prévention. Par formation, il faut entendre la mise en place de modules structurés et adaptés de type formation professionnelle pour adultes, du dirigeant aux intérimaires, en couvrant tous les niveaux de l'entreprise.

Dans ce domaine aussi, et notamment en matière de formation destinée aux dirigeants, de nombreuses pistes restent à explorer. En un mot, la prévention des risques est une fonction émergente dans les entreprises.

« Mettre en place un grand service de prévention au plus près des entreprises. »

BERNARD GRASSI

Inspecteur du travail, président de l'association Villermé.

Notre système de prévention a laissé passer entre les mailles la catastrophe sanitaire de l'amiante. Il s'est avéré incapable de contenir l'explosion des troubles musculo-squelettiques (TMS). Il tarde à réagir face à la menace des éthers de glycol. Dès lors, comment peut-il répondre à l'inquiétant développement de la souffrance mentale et à l'épineuse question sous-jacente de l'organisation du travail ? Comment pourra-t-il mettre en œuvre le délicat principe de précaution que la gravité des nouveaux risques rend indispensable ?

À l'évidence, notre système doit être réformé : l'État, les partenaires sociaux, les professionnels de la prévention sont concernés. En enfermant traditionnellement la prévention dans un ensemble de règles rigides et formelles, l'État s'est laissé déborder par ce qu'il n'avait pas prévu. Ainsi en a-t-il été avec l'amiante et les TMS. En transcrivant la directive européenne de 1989, il s'est enfin doté d'un dispositif modulable et adapté aux évolutions. L'obligation d'évaluation des risques (quels qu'ils soient) et de leur traitement par des principes généraux de prévention (et non par des règles figées) répond à ce besoin. Demeure cependant une carence de taille : l'absence des sanctions propres à faire entrer dans les faits cette nouvelle obligation dont le principe avait pourtant été arrêté dès 1991…

Les partenaires sociaux, quant à eux, ont été étonnamment absents des grandes problématiques récentes de la prévention. On les voit aujourd'hui soucieux de réinvestir ce terrain et c'est une excellente nouvelle, car l'efficacité de la prévention passe par leur engagement. Mais certains souhaiteraient carrément se substituer à l'État. Est-ce raisonnable ? Au-delà de la question des moyens, le droit à la santé est un droit fondamental qui n'est pas négociable, et la santé au travail est une composante de toute politique de santé publique… Ne serait-il pas plus judicieux de chercher plutôt la bonne articulation ?

Mais le besoin de réforme le plus urgent concerne certainement la situation des professionnels de la prévention. Ils représentent une véritable nébuleuse d'institutions dont la logique, voire l'existence, échappe à bon nombre d'entreprises. La disparité de leurs structures ne répond pas au besoin de coordination de la prévention. Plus encore, leurs modes de gestion, lorsqu'ils sont patronal ou paritaire, n'offrent pas les garanties nécessaires, ainsi que l'ont démontré les affaires Imbernon et Cicolella.

Trois exigences minimales doivent conditionner la réforme. La première est une évidence, c'est celle de la simplicité d'accès tant pour les entreprises que pour les salariés. La deuxième est celle de l'intervention pluridisciplinaire, car les problèmes d'aujourd'hui sont impossibles à traiter sous l'angle d'une seule discipline. La troisième est celle de l'indépendance, car la prévention n'a pas de sens si ceux qui sont en mesure de diagnostiquer les risques en sont empêchés.

La solution nous paraît couler de source : un grand service de la prévention décentralisé au plus près des entreprises et dont le mode de gestion, tout en associant les partenaires sociaux, pourrait être équilibré par la place donnée aux préventeurs. Naturellement, l'indépendance de ces derniers doit être garantie par la loi.

En clair, les préventeurs doivent expertiser librement, les partenaires sociaux agir et l'État garantir.