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Idées

Le risque pénal du délit d’entrave fait-il peur aux patrons ?

Idées | Débat | publié le : 07.03.2015 |

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Le risque pénal du délit d’entrave fait-il peur aux patrons ?

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Lors de la discussion du projet de loi Macron à l’Assemblée nationale, les députés ont supprimé la peine d’un an de prison pour les employeurs entravant le fonctionnement d’un comité d’entreprise. Une dépénalisation censée booster l’attractivité de la France auprès des investisseurs étrangers.

Didier Hoff Avocat associé chez Ernst & Young

Selon le Code du travail, en cas d’entrave à l’exercice des fonctions des délégués du personnel, du comité d’entreprise, du CHSCT ou du droit syndical, l’employeur s’expose à des risques de poursuites pénales. En effet, l’article L. 2328-1 sanctionne le délit d’entrave par une peine d’un an d’emprisonnement et une amende de 3 750 euros. Par ailleurs, en cas de préjudice, le salarié victime peut également demander le versement de dommages et intérêts sur le plan civil. Malgré le fait que la sanction d’emprisonnement ne soit que très rarement appliquée, son éventualité constituerait, pour certains, un frein aux investissements en France des entreprises étrangères.

Le baromètre de l’attractivité de la France publié chaque année par Ernst & Young semble apporter une première réponse en interrogeant les entreprises sur leurs critères de localisation en Europe. Sur un panel de 808 entreprises participantes au « 2014 European Attractiveness Survey », la flexibilité du droit du travail est le dernier critère sur dix pris en compte dans le choix du pays d’implantation en Europe. Le premier paramètre ? La stabilité et la transparence de l’environnement politique, législatif et réglementaire. En effet, les critères de localisation des investisseurs ont évolué, ils recherchent en priorité un marché stable, prévisible et un territoire riche et étendu. Cette réponse semble paradoxale puisque, par ailleurs, les entreprises et investisseurs étrangers sont demandeurs d’une simplification de notre droit du travail.

Il n’empêche. Le capital confiance et l’image de la « marque France » doivent être améliorés à l’étranger. Or la possibilité pour un dirigeant de subir une peine d’emprisonnement, même théorique, pour un délit d’entrave est très certainement un point méritant d’être débattu. François Hollande avait d’ailleurs pris position au mois d’octobre en clôture du Conseil stratégique de l’attractivité. « Les peines pénales associées au délit d’entrave, qui parfois même pouvaient être des peines de prison qui n’étaient bien sûr jamais prononcées, mais qui néanmoins pouvaient inquiéter, seront remplacées par des sanctions financières », indiquait-il. Le projet de loi Macron matérialise ainsi la volonté présidentielle, générant un débat public porté à présent sur le caractère dissuasif des seules sanctions financières en cas de délit d’entrave.

Claire Toumieux Avocate associée chez Allen & Overy LLP

En tant que praticiens du droit social, nous distinguons deux réactions lorsque nous mentionnons ce risque pénal à nos clients étrangers. Ils expriment d’abord une réaction de vigilance. Et le fait que des peines d’emprisonnement ferme n’aient jamais été prononcées ne réduit pas particulièrement les inquiétudes, nos interlocuteurs estimant que, si la peine est mentionnée dans les textes, le risque qu’elle fait courir ne peut être totalement écarté.

Au-delà, nous observons une certaine incompréhension devant la disproportion de cette sanction, qui peut aller jusqu’à un an d’emprisonnement. De plus en plus de projets étant menés de manière concomitante, à une échelle internationale, la spécificité française de l’information et de la consultation des représentants du personnel apparaît systématiquement. Si des peines de prison peuvent être encourues en Allemagne, aux Pays-Bas et au Luxembourg, elles couvrent des cas extrêmes. Or si nos interlocuteurs comprennent la gravité d’une communication brutale relative à une fermeture d’entreprise ou d’établissement, ils s’inquiètent de la multiplicité des cas potentiels d’application français dont les contours sont souvent incertains. De ce point de vue, le risque pénal lié au délit d’entrave donne du crédit aux détracteurs du système français, jugé incompatible avec les enjeux d’adaptation des acteurs économiques.

Cette critique n’est pas seulement le fait de nos interlocuteurs étrangers. Elle émane même encore davantage de dirigeants français de groupes internationaux, inquiets de se retrouver exposés à des risques qu’ils ne maîtrisent pas entièrement. Ainsi, dans l’affaire Marks & Spencer, les condamnations pour délit d’entrave ont concerné non seulement le dirigeant du groupe anglais, reconnu pour avoir personnellement participé à la commission de l’infraction, mais aussi plusieurs dirigeants de la succursale française, qui n’avaient pas pris part à l’annonce litigieuse. Enfin, la suppression de la peine d’emprisonnement est d’autant plus justifiée que son efficacité est largement discutable. Du point de vue des salariés, l’action civile en référé destinée à obtenir la suspension d’un projet soumis à consultation crée un lien bien plus direct entre la sanction et la protection effective recherchée.

Jean-Pierre Gabriel Responsable du service juridique de la CGT

Ainsi, on voudrait nous faire croire que le risque pénal ferait fuir les entreprises du territoire national ! Quelle est la réalité ? Il n’y a pas de comparaison possible entre pays sur ce seul critère ! Jusqu’à présent, le patronat avance le coût du travail, dix fois moins cher en Chine ou en Inde, comme principal frein à l’implantation des entreprises en France. En quoi la dépénalisation réglerait le problème du coût du travail ? Nous connaissons un chiffre issu des statistiques de l’Inspection du travail : 2 % des employeurs, toutes infractions confondues (y compris les accidents mortels), sont effectivement condamnés au pénal. Cela veut dire que 98 % sont relaxés, ou pas inquiétés, car le procureur classe sans suite l’immense majorité des procès-verbaux. Et pourtant, les licenciements abusifs, les discriminations, la criminalisation de l’action syndicale sont légion et provoquent chômage, précarité, exclusions.

Il y a là deux poids deux mesures. La France ne joue pas contre son développement économique, en pénalisant la délinquance patronale ! Ceux qui jouent contre les intérêts de la France, ce sont ceux qui ne respectent pas la législation du travail, ôtant ainsi la vie à plusieurs centaines de salariés par an. Or, aujourd’hui, tout est tourné vers la sacro-sainte entreprise. Au prétexte que tout reposerait sur elle pour relancer la croissance, des lois, des décrets viennent année après année renforcer la toute-puissance des dirigeants des entreprises, les protégeant des risques judiciaires et des obligations sociales. En revanche, rien en direction de la protection des salariés qui sont pourtant la vraie richesse de l’entreprise !

La mondialisation est utilisée contre les droits des salariés et de leurs représentants. Ainsi, de la dépénalisation du secret des affaires, en passant par la volonté patronale de réduire les IRP au seul rôle de vente de places de cinéma. Le Code du travail, historiquement protecteur des droits des salariés, tend à devenir protecteur de l’entreprise ! Pis, on veut sécuriser l’omnipotence des employeurs en transférant leur responsabilité sociale sur les salariés. Si cela va mal, c’est de la faute de ces derniers ! Les dirigeants ne seraient jamais responsables des faillites ou des catastrophes écologiques ? Ce que la CGT exige, c’est plus de droits pour les salariés et leurs représentants afin qu’ils puissent mieux intervenir sur les choix de l’entreprise.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Lors du deuxième Conseil stratégique de l’attractivité,

le 19 octobre 2014, François Hollande annonce qu’il entend supprimer la peine de prison associée au délit d’entrave. Une opération de charme à destination des patrons étrangers inquiets des risques courus. Le chef de l’État réitère son intention à Davos, fin janvier, pour afficher une France business friendly.

Intégrée au projet de loi Macron pour la croissance et l’activité, la promesse se concrétise lors des discussions à l’Assemblée nationale. À une exception près, introduite par le député PS Denys Robiliard : la peine de prison est maintenue lorsque l’employeur refuse l’élection d’un comité d’entreprise, de délégués du personnel ou qu’il licencie illégalement un représentant du personnel.

REPÈRES

7 500 EUROS

C’est le montant de l’amende prévu en cas d’entrave au fonctionnement du CE par le projet de loi Macron. Il a été doublé.

2 dirigeants de l’usine Molex ont été condamnés à six mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Toulouse en mai 2010. C’est le rare cas répertorié de condamnation liée à un délit d’entrave.