Un de nos meilleurs observateurs de la vie sociale vient de rédiger un petit livre pour faire le point sur la place de la valeur travail. L’ouvrage de Jacques Le Goff vise le public chrétien, puisqu’il est publié dans une maison d’édition proche des jésuites et qu’il est fait pour rendre plus efficace l’approche du monde du travail par l’Église. Mais son intérêt va bien au-delà. Le Goff constate que le regard que nous portons sur le travail a beaucoup fluctué. Les années 1950 ont connu ce qu’il appelle « la tentation pan-travailliste », c’est-à-dire une croyance un peu naïve dans les vertus émancipatrices et humanistes du travail. Les analyses de l’époque prennent acte du statut central de la valeur travail. Dans les années 1980, changement de perspective : l’idée d’une « société post-travail » est à la mode. La vie au boulot est opposée à la vraie vie. Ce sera bientôt le temps de la RTT…
Trente ans plus tard, les pronostics de la « fin du travail » font figure, selon l’auteur, « d’une douce rêverie ». Le travail connaît même une forme de retour en grâce. Les thèmes qui valident cette réhabilitation trouvent une forte résonance avec les préoccupations chrétiennes. On y recherche un accomplissement, ce qui passe par davantage d’autonomie et une meilleure maîtrise de son temps. L’autre attente forte du travailleur moderne ? La reconnaissance. « Il y a là un vrai paradoxe, note le professeur à l’Université de Brest. Plus l’individu s’affirme et plus sa demande sociale augmente, plus il dépend du regard qu’autrui porte sur lui. » La compétence devient relationnelle. Elle s’apprécie aussi à travers le talent à gérer sa relation à autrui. Toutes ces dimensions s’inscrivent naturellement dans le discours chrétien. Ce qui amène Le Goff à dire qu’elles doivent être les fondements d’un aggiornamento de la doctrine sociale de l’Église. Laquelle est la mieux placée pour ce que l’essayiste considère être la question la plus urgente : « Comment faire social dans une société d’individus ? » Un beau chantier de réflexion.
Le Retour en grâce du travail, Jacques Le Goff. Éditions Lessius. 128 pages, 14 euros.
