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“Ceux qui opposent social et compétitivité n’ont rien compris”

Actu | Entretien | publié le : 03.09.2015 | Stéphane Béchaux, Emmanuelle Souffi

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“Ceux qui opposent social et compétitivité n’ont rien compris”

Crédit photo Stéphane Béchaux, Emmanuelle Souffi

Homme de dialogue, le président du Sénat s’inquiète de l’état de la France. Il appelle les partenaires sociaux et les politiques à être à la hauteur des enjeux.

Dans cette période de crise aiguë, peut-on faire confiance aux partenaires sociaux pour réformer notre modèle social ?

Si la démocratie sociale n’est pas seulement un slogan, c’est aux élus du peuple qu’il revient de choisir notre modèle de société. La « démocratie » s’exprime d’abord dans le choix politique, qui relève des parlementaires, ceux-là mêmes qui ont la légitimité des urnes. La dimension « sociale », elle, doit vivre à l’intérieur de ce cadre, en offrant une place aux partenaires sociaux pour négocier ou pour éclairer la prise de décision. La loi qui porte mon nom propose une méthode, un levier. Elle ne créé d’ailleurs qu’une obligation de procédure. Le dialogue social ne peut être l’unique passage obligé pour tout projet de réforme. C’est la raison pour laquelle j’étais opposé à sa constitutionnalisation. Depuis 2012, les gouvernements ont mis en scène la démocratie sociale pour faire passer des réformes relativement mineures sans même les assumer. C’est une erreur. Le dialogue social ne peut être un supplétif à l’absence de courage politique.

Syndicats et patronat sont-ils capables de rénover notre système en profondeur ?

Le paysage reste très éclaté, marqué par les divisions. C’est une faiblesse, à la fois du côté syndical et patronal. Le Medef et la CGPME portent des valeurs qui sont parfois en contradiction totale ! La CFDT demeure la principale force de proposition. Elle est ouverte au dialogue et doit éviter l’instrumentalisation par un gouvernement de gauche. La CGT me semble en capacité de sortir de sa crise interne. Mais elle n’a pas encore accompli le travail qui doit lui permettre de proposer une vision de la société adaptée au XXIe siècle. Le pôle réformiste a du mal à s’imposer, ce qui obère la capacité de la France à se remettre en situation de compétitivité.

La démocratie sociale a-t-elle produit des accords qui vous paraissent majeurs ?

J’en citerai un, celui qui a introduit la rupture conventionnelle en 2008. C’était une réforme concrète, pragmatique. Dans un futur très proche, les partenaires sociaux vont se confronter à deux tests majeurs : la réforme des régimes de retraite complémentaire et l’assurance chômage. Si patronat et syndicats ne parviennent pas à s’entendre sur ces dossiers, qui relèvent du paritarisme de gestion, comment peuvent-ils être crédibles sur le reste ? La question de leur responsabilité est clairement posée.

La question se pose aussi pour le politique qui, à force de compromis, invente parfois des usines à gaz…

La France a besoin avant tout de simplification. Les entrepreneurs ne supportent plus l’empilement de normes qui nuisent à la liberté d’entreprendre et à leur compétitivité. Le compte pénibilité en est un bon exemple : il va empiler les régimes spéciaux presqu’autant qu’en Grèce et il sera inapplicable ! En son temps, la réduction du temps de travail, aussi, a engendré un labyrinthe bureaucratique. Il y a vingt ans, j’ai cru au partage du travail. L’idée paraissait formidable et généreuse. Mais ça ne marche pas, car la réduction du temps de travail ne se décrète pas. Il faut laisser les entreprises libres de s’organiser avec leurs salariés, en fonction des besoins et des attentes.

Le Code du travail est-il adapté aux mutations économiques ?

Non, il protège les protégés et exclut les plus fragiles. Nous nous sommes malheureusement habitués à un chômage de masse, avec un taux d’emploi des jeunes trop faible. Notre droit du travail est suranné, dans la mesure où il est d’abord fait pour des grandes entreprises alors que plus de la moitié des emplois sont dans les TPE et les PME. La recodification que j’avais lancée en 2005 n’a pas fonctionné. Car on s’est arrêté au milieu du gué, c’est-à-dire à la reclassification. Il fallait certes classer, mais ensuite « élaguer » et « bouturer ». Or, on s’est contenté de la première étape, celle qui consiste, à droit constant, à ranger sur l’étagère.

Que préconisez-vous en la matière ?

La méthode que propose François Fillon – j’y ai réfléchi avec lui – est la bonne. Il faut un socle commun à toutes les entreprises pour ce qui relève de l’ordre public social. Et, au-delà, c’est à l’accord majoritaire d’entreprise de fixer les règles, ou à l’accord de branche pour les petites entreprises. Reste à lancer un travail de réflexion plus approfondi pour définir ce socle fondamental. Ce qui ne peut se faire sans concertation. Mais la décision doit rester politique. Quand Manuel Valls commande à l’ancien directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle, un rapport visant à élargir la place de l’accord collectif de branche et d’entreprise, il a raison !

Croyez-vous au contrat de travail unique ?

Le contrat de travail unique est un leurre ! Il y a une telle diversité de besoins dans les entreprises qu’un seul contrat ne peut répondre à toutes les situations. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. La multiplicité des contrats utilisés pour faire de la flexibilité n’engendre pas seulement de la précarité. Elle dégrade aussi la compétitivité des entreprises en ne les poussant pas à faire un vrai travail sur la gestion de leurs ressources humaines. J’ai actuellement sur mon bureau une étude sur le marché du travail italien. Je veux comprendre comment le Premier ministre, Matteo Renzi, a créé un CDI à protection croissante permettant d’encadrer le coût du licenciement. Et avec quelles conséquences.

Quel est votre regard sur la loi Macron ?

C’est une montagne législative qui a accouché d’une grosse souris ! Lors des débats, le Sénat a obtenu des avancées significatives, même si cette loi oublie des sujets essentiels tels que la redéfinition du licenciement économique ou une vraie refonte des accords de maintien dans l’emploi, dans leurs volets défensifs et offensifs. Ces sujets ont, en revanche, été abordés avec des amendements au Sénat et pourront servir de référence.

La loi Rebsamen sur le dialogue social échappe-t-elle à vos critiques ?

C’est une fois de plus un ensemble fourre-tout, qui traite de la fusion de la prime pour l’emploi et du revenu de solidarité active, du régime d’assurance chômage des intermittents et de la refonte du compte pénibilité. Elle n’aborde pas suffisamment la question essentielle des seuils. Je sais bien que les économistes se battent depuis quinze ans pour savoir s’ils jouent ou non contre l’emploi. Mais en la matière, je suis pragmatique. Sur le terrain, il faut entendre les entrepreneurs parler du passage de 49 à 50 salariés et du frein qu’il représente pour la création d’emplois…

Soutenez-vous le combat des petits patrons contre les commissions régionales interprofessionnelles ?

On n’échappera pas à l’instauration d’instances de dialogue social territoriales. L’idée reviendra. Mais l’ambiance politique ne le permet pas. Il y a, sinon, de gros risques de voir les populismes s’emparer du sujet, parmi les chefs d’entreprise et les artisans, et on obtiendra le résultat inverse à celui qui est recherché.

L’état de la France vous inquiète-t-il ?

Oui, car la France est partagée entre lassitude et révolte. Lassitude des chefs d’entreprise face à l’overdose fiscale et aux excès de réglementation ! Révolte de la France oubliée. Nous sommes parfois, comme aujourd’hui avec le monde agricole, dans un climat de jacquerie. Il faut que les politiques entendent, écoutent tous ces gens repliés sur eux-mêmes qui ne croient plus en rien. Le géographe Christophe Guilluy parle de « la France périphérique ». Je dirais plutôt « la France d’à côté ». Un jour, dans un village du Pas-de-Calais, un agriculteur m’a dit : « Vous ne faites que des lois urbaines. » De même, il va bien falloir comprendre pourquoi tant de sympathisants des syndicats votent FN. La radicalité est partout, elle provient des années de chômage, du sentiment d’être laissé au bord de la route. Or, la question sociale est centrale dans la sortie de crise de notre pays. Ceux qui opposent social et compétitivité n’ont rien compris.

“Ceux qui opposent social et compétitivité n’ont rien compris”

L’ANCIEN MINISTRE DU TRAVAIL DE JACQUES CHIRAC PRÉSIDE LE SÉNAT DEPUIS 2014.

PÈRE DE LA LOI DE MODERNISATION DU DIALOGUE SOCIAL DE 2007, CE PROCHE DE FRANÇOIS FILLON RESTE UN EXPERT APPRÉCIÉ DES PARTENAIRES SOCIAUX. AU PALAIS DU LUXEMBOURG, L’EX-VÉTÉRINAIRE A CONTRIBUÉ À RÉDUIRE LE TRAIN DE VIE DES SÉNATEURS ET À MODERNISER L’INSTITUTION.

Auteur

  • Stéphane Béchaux, Emmanuelle Souffi