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Pôle emploi veut renouer avec les entreprises

Décodages | publié le : 03.09.2015 | Anne Fairise

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Pôle emploi veut renouer avec les entreprises

Crédit photo Anne Fairise

Étrillé pour ses piètres résultats en matière de placement des chômeurs, l’établissement spécialise 4 000 équivalents temps-plein dans la « relation à l’entreprise ». Un tournant stratégique et un défi d’organisation.

Il aura fallu une heure, pas moins, cet après-midi d’été, à l’agence Pôle emploi de Longjumeau (Essonne) pour faire le tour de l’offre d’Auchan Direct. Le cybermarché veut, très vite, recruter 20 chauffeurs-livreurs en alternance. Sur le papier, ça semble simple. Les exigences ? Un permis de conduire depuis deux ans, des muscles pour porter les colis et des capacités relationnelles. Pourtant, le repérage des « bons » candidats, pas rebutés par les contraintes, s’avère complexe. Avant de rejoindre la plate-forme qui sortira de terre à dix minutes d’ici, les alternants travailleront dans des entrepôts éloignés, jusqu’à 38 kilomètres. Soit 2 h 30 en transport en commun, aller-retour. « Ça va être difficile », met en garde Céline Michelet, la directrice. Mais le spécialiste de la livraison à domicile est ici entre de bonnes mains. Chaque fois que l’agence propose un candidat, il est embauché : son « taux de mise en relation positive » atteint 106 %. Une performance due à la spécialisation, depuis fin 2013, de trois de ses 32 conseillers dans la « relation à l’entreprise ». Déchargés du suivi des demandeurs d’emploi, ils consacrent 80 % de leur temps à accompagner les employeurs qui les sollicitent et à faire de la prospection ciblée.

Cette révolution a été généralisée, fin juillet, au millier d’agences tricolores. Terminée, la polyvalence des conseillers censés, depuis la fusion des Assedic et de l’ANPE en 2009, tout faire et tout savoir faire ! Il était temps. Pôle emploi n’est à l’origine directe de la reprise d’emploi que dans 12,6 % des cas, révèle une récente enquête de la Dares. De piètres résultats pour la Cour des comptes. Dans un rapport sanglant paru début juillet, elle juge que l’organisme a perdu sa raison d’être. « La mission d’intermédiaire entre offre et demande d’emploi […] n’est plus prioritaire », assènent les sages de la rue Cambon.

Remonter la pente

En cause, le temps très faible dédié à « la relation à l’entreprise ». L’explosion des inscriptions au chômage a obligé les agents à parer au plus pressé. Variable d’ajustement ? La demi-journée par semaine, théoriquement sanctuarisée pour les employeurs dans les plannings, s’est finalement réduite à… deux heures hebdomadaires, en moyenne. « La relation à l’entreprise, on s’en occupait une fois que tout le reste était fait », résume Jean-Manuel Gomes, le leader de la CFDT. « La prospection a été abandonnée, même si cela n’a jamais été dit officiellement. La relation aux entreprises s’est réduite à la prise d’offres, à répondre aux sociétés recherchant des mesures pour l’emploi », abonde Jean-Charles Steyger, à la tête du SNU-FSU. Et même pour ça, l’organisation coinçait. « Faute de temps, j’ai fini comme beaucoup par faire de la mise en relation sans même regarder le dossier du candidat ni vérifier sa motivation », confie un conseiller parisien.

Pour remonter la pente, l’établissement a donc décidé de spécialiser 4 000 équivalents temps-plein dans cette activité. Sans la moindre création de poste, puisqu’il a concentré sur certains agents les 12 % de temps que chacun devait consacrer aux employeurs. Une répartition jugée plus efficiente. « Ce changement doit permettre d’établir une relation aux employeurs dans la durée et de la personnaliser. Regagner leur confiance est un objectif prioritaire », souligne Catherine Poux, directrice des services aux entreprises. Les résultats de l’expérimentation, menée dans neuf agences entre juillet 2013 et mars 2014, ont été jugés concluants. « Tout l’enjeu était de savoir si l’on dégradait ou non le service aux chômeurs en améliorant celui aux entreprises », pointe Céline Michelet, directrice de l’agence de Longjumeau, qui y a participé. Le suivi des demandeurs d’emploi n’y a pas perdu. Autre bonne nouvelle, les conseillers se sont bien réinvestis dans la relation aux employeurs. Plus disponibles et accessibles, ils ont satisfait plus vite les offres, gagnant parfois jusqu’à douze jours, grâce à un meilleur ciblage des profils. Mais le bilan à six mois restait fragile. « L’effet global sur le placement des demandeurs d’emploi dans les agences est à ce stade peu significatif », expliquent les évaluateurs.

Volontariat

La généralisation accompagne l’offre de services différenciés aux entreprises impulsée mi-2013 par Jean Bassères, le big boss. Basés sur le volontariat, les nouveaux postes de « conseiller à dominante entreprise » – CDE, dans le jargon maison – sont plus ou moins prisés, selon la vitalité du bassin d’emploi. « Chez nous, personne n’a voulu y aller », déplore Michel, employé dans une agence rurale du Cher, devenu CDE sur sollicitation de sa hiérarchie, parce qu’il était autrefois commercial. « Tous les conseillers n’ont pas envie d’avoir une démarche proactive envers les entreprises », note une CDE de Bretagne. Ailleurs, la sélection a pu être rude, comme dans cette agence de Midi-Pyrénées, qui a reçu neuf candidatures pour cinq places. « Dans les zones d’emploi dynamiques, les volontaires sont nombreux, entre ceux qui ont de l’appétence pour l’entreprise et ceux voulant s’extraire de l’accompagnement. Dans les zones sinistrées, au contraire, les conseillers savent qu’ils vont se prendre des portes sur le nez », note Jean-Manuel Gomes, de la CFDT. Certes, la convention collective interdit l’évaluation sur objectifs individuels, hormis pour les cadres. Mais les CDE se savent attendus.

À peine généralisé, le dispositif fait déjà l’objet de critiques sur sa pertinence. Dans son rapport, la Cour des comptes s’inquiète de la perte de contact avec les entreprises pour les agents dédiés à l’accompagnement des chômeurs. Au risque, très vite, de ne plus les conseiller efficacement ? Les sages s’interrogent, inquiets que Pôle emploi n’ait pas « clairement déterminé » le partage de connaissances en interne. Une crainte aussi exprimée par la CFDT. « Où est le temps d’échange dans le planning ? » demande-t-elle.

Travail intégré

Pour Pôle emploi, la réponse doit être locale. À Longjumeau, l’équipe a droit à un résumé quotidien des offres d’entreprises accompagnées. À Saint-Junien (Haute-Vienne), autre agence expérimentale, les troupes s’informent mutuellement, lors d’une réunion hebdomadaire, sur les perspectives économiques du bassin. « Les échanges informels sont nombreux. Le “conseiller à dominante entreprise” n’a pas de raison d’être sans le “conseiller à dominante demandeur d’emploi”, chargé de l’orientation et de la formation », martèle Sophie Corbin, responsable de l’agence. Ici, après chaque formation cofinancée, chaque mise en situation professionnelle d’un chômeur, le CDE pousse le profil du candidat. Et des campagnes de prospection ciblée s’organisent conjointement, les uns sélectionnant des profils que les autres promeuvent. « Travailler de manière intégrée prend deux ans », prévient Sophie Corbin.

Autre bémol : Pôle emploi n’a pas le moins du monde mis le paquet sur la formation pour accompagner le changement. Aucun séminaire, pas même régional, n’est prévu. « Pourtant, on ne parle pas aux employeurs comme aux chômeurs », pointe un CDE. Certes, le catalogue de formation continue a été enrichi de nouveaux modules. « Chacun doit se prendre en charge en fonction de ses besoins », résume une conseillère en zone rurale. à défaut de former massivement, Pôle emploi a équipé chaque CDE d’un téléphone portable et de cartes de visite personnalisées. « Une complète nouveauté », s’enthousiasme cette conseillère, qui utilisait jusqu’alors… des étiquettes imprimées pour donner son numéro.

Reste à savoir comment les CDE résisteront aux injonctions contradictoires. Initialement « dédiés à la relation à l’entreprise », ils sont devenus « à dominante entreprise ». Normal, dans la pratique, 51 à 80 % de leur temps se trouvent consacrés aux employeurs… « L’organisation des agences doit tenir compte de la réalité économique des territoires, des volumes de recrutement, des effets de saisonnalité liés à certains secteurs d’activité », précise Catherine Poux, à la direction Stratégie. Bref, le chiffre de 80 % du temps dédié à la relation à l’entreprise n’est qu’une moyenne annuelle ! On sait déjà que les CDE ne seront pas très disponibles en septembre, période d’inscriptions massives. Sans compter qu’ils participent au plan de mobilisation nationale pour l’apprentissage. Leur cible a été précisée : les employeurs menacés de pénalité, pour ne pas respecter les 4 % d’alternants dans leurs effectifs. Pas sûr qu’ils leur fassent un accueil chaleureux…

DÉFIANCE

59 %

des employeurs seulement avaient « confiance en Pôle emploi » en 2012… contre 70 % en 2009.

Source : Cour des comptes, rapport « Pôle emploi à l’épreuve du chômage de masse », juillet 2015.

Auteur

  • Anne Fairise