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Philippe de Gibon joue la différence chez Convers

Décodages | publié le : 03.02.2016 | Nicolas Lagrange

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Philippe de Gibon joue la différence chez Convers

Crédit photo Nicolas Lagrange

Beaucoup de seniors et de femmes, le libre choix des horaires, des locaux ergonomiques, un dialogue social dynamique… Le centre d’appels niçois Convers met le paquet sur les conditions de travail. Pour fidéliser les salariés et attirer les donneurs d’ordres.

Au quatrième étage de l’immeuble Horizon, dans le quartier d’affaires niçois de l’Arénas, plusieurs dizaines de téléconseillers s’activent dans une salle lumineuse de 1 200 mètres carrés. Ils répondent aux appels des clients et démarchent des prospects… face à l’aéroport et à la Méditerranée. Placés en vis-à-vis et séparés par de minicloisons phoniques, les postes sont organisés en rangées. Chacune, surplombée par un superviseur, arbore le logo du donneur d’ordres : Engie, Orange, Malongo ou encore Virbac.

Philippe de Gibon, le patron, n’est pas peu fier de faire visiter Convers. Et peut s’enorgueillir du chemin parcouru depuis 1998, date de création de la société. À l’époque, il travaille comme chef de plateau dans un centre d’appels fonctionnant presque exclusivement avec des jeunes et connaissant un très fort turnover, mis en liquidation judiciaire. Il décide alors de relancer l’activité avec trois associés et une quinzaine de salariés. « Nous savions exactement ce que nous ne voulions pas faire, raconte-t-il. À savoir recruter des étudiants et nous positionner sur des marchés à faible valeur ajoutée. Pour monter en compétences, il fallait casser le turnover. C’est le seul moyen de délivrer une prestation de qualité pour cibler des grands comptes nationaux. »

Résultat : des recrutements différenciés, misant dès le début sur les seniors et les femmes, le libre choix des horaires journaliers, de gros investissements en formation et une politique de coconstruction avec les représentants du personnel. Autant de leviers qui ont permis à la petite entreprise, d’abord installée en périphérie de Nice, de migrer au centre-ville puis dans ses locaux actuels de la promenade des Anglais, dont elle est propriétaire. Et de compter aujourd’hui un peu plus de 200 salariés.

Recruter des profils atypiques

Un papy sportif faisant des pompes, l’inscription Convers tatouée sur le bras, avec le slogan « Oser la différence ». L’affiche résume le pari du fondateur, dès l’origine. « Les seniors sont des gens de valeur, expérimentés, s’exprimant souvent bien, auxquels nous pouvons proposer quelque chose de différent », estime Philippe de Gibon. Près de 25 % de ses troupes ont aujourd’hui plus de 50 ans, et 10 % plus de 60 ans. Comme Josette Sandona, qui a rejoint le centre d’appels à 57 ans, il y a 4 ans et demi. « J’étais gérante d’un salon de coiffure mais un accident m’a empêchée de continuer à exercer, témoigne la téléconseillère. Après trois ans de galère, j’ai pu être embauchée, je pense continuer à travailler jusqu’à 65 ans. » À bientôt 55 ans, Roland Gaudin a lui aussi entamé une nouvelle carrière chez Convers, après vingt-huit ans comme commercial chez PSA. « Les entreprises n’offrent pas beaucoup d’opportunités aux seniors », déplore-t-il. Embauché depuis deux ans, le quinqua est affecté aux appels entrants des particuliers et des professionnels pour le compte d’une régie de gaz. Et développe en parallèle une petite activité d’autoentrepreneur. Deux exemples qui ne sont pas isolés. Depuis 2013, après accord avec la CGT et la CFTC, Convers a conclu 43 contrats de génération. Un effort récemment récompensé par un trophée décerné par le ministère du Travail.

Seconde source importante de recrutement, les femmes ayant arrêté de travailler. « Beaucoup ont du mal à se relancer, à envisager une activité professionnelle compte tenu de leurs contraintes privées alors qu’elles sont souvent très motivées, relève Philippe de Gibon. Nous leur proposons un CDI et le choix des horaires. » Le bilan social 2014 en témoigne. L’entreprise compte 197 CDI sur 200 contrats (dont 75 % de femmes). « Nous n’utilisons les CDD que pour des remplacements au back-office, explique Anne Cagnard, DRH et associée. Nous faisons parfois appel à des intérimaires, mais au bout de trois mois ils sont embauchés ou quittent la société. » Le centre d’appels niçois intègre également volontiers des salariés handicapés : ils représentaient 5,5 % de l’effectif l’an dernier (et plus de 9 % en 2012 !).

Investir dans les conditions de travail

« Temps choisi » au départ, « temps convenu » désormais… « L’organisation des horaires des téléconseillers est le gros point fort de Convers », souligne Stéphanie Vautier, déléguée syndicale CGT. Ici, chacun choisit son temps de travail hebdomadaire – vingt-cinq, trente ou trente-cinq heures – qu’il peut modifier deux fois par an. « Des changements tout à fait gérables, affirme Philippe de Gibon, puisqu’ils ne modifient le volume global d’heures qu’à hauteur de 3 %. » Les téléconseillers déterminent leurs horaires d’une semaine à l’autre avec, si besoin, des variations journalières pour tenir compte de leurs contraintes personnelles. Ils peuvent aussi bien commencer leur journée à 9 heures qu’à 17 heures, et travailler trois heures que dix. Une souplesse qui permet à la PME de recruter des candidats aux profils très divers, sans pour autant générer de fortes perturbations des plannings.

Pour assurer les tranches horaires du samedi soir et réduire l’absentéisme, Convers a instauré une prime de présentéisme de 40 euros par mois. À laquelle s’ajoutent 120 euros par an pour les salariés ayant touché cette prime au moins dix mois sur douze. « C’est une politique donnant-donnant justifiée, considère Magali Soler, la déléguée syndicale CFDT. En revanche, les salariés peuvent être pénalisés en cas de creux d’activité. » Lorsqu’un donneur d’ordres décide de diminuer temporairement les volumes d’appels, la direction les invite à réduire leurs horaires de travail ou à poser des congés payés, ce qu’ils acceptent le plus souvent. En matière de bien-être au travail, Convers ne se contente pas de donner le libre choix des horaires. Il a aussi sollicité l’Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail lors de l’aménagement des nouveaux locaux, en 2009. Et a investi dans une centaine de fauteuils ergonomiques l’an dernier. « Les conditions de travail n’ont eu de cesse de s’améliorer depuis la création de l’entreprise », approuve Robert Fabre, à la fois superviseur et délégué syndical CFTC.

Signataire des chartes de la diversité et de la parentalité, détenteur du label de Responsabilité sociale, Convers joue à fond la carte de la RSE et cumule les récompenses… Dernière en date, en décembre, le trophée C & B de la Performance sociale et économique. Un atout pour séduire les donneurs d’ordres et fidéliser des salariés, dont le turnover est passé sous les 10 %. « Trois fois moins que la moyenne du secteur », assure le patron. Accessible et fédérateur, celui-ci revendique un management paternaliste.

Professionnaliser la relation clients

Pour délivrer une prestation de qualité et le faire savoir, la PME a créé la Convers school. Un espace dédié à la formation dans lequel les téléconseillers apprennent les codes du métier, sur des appels sortants, épaulés par un tuteur. « À mon arrivée j’ai suivi une formation d’une quinzaine de jours, alternant théorie et pratique », indique Dominique Campana, qui commercialise à présent des offres B to B de fourniture d’électricité. « Nous investissons 4,3 % de la masse salariale en formation, insiste Anne Cagnard, la DRH. Nous mettons l’accent sur le savoir-être. Et nous avons musclé les formations managériales, que nous devons encore renforcer. » Réalisé voilà un an, le dernier baromètre social a certes mis en avant la qualité de l’ambiance et de l’organisation du travail. Mais aussi fait ressortir les insatisfactions des salariés à l’égard de certains superviseurs.

Convers vient aussi de revoir son fonctionnement en créant deux postes d’agents chargés d’écouter les appels puis de débriefer les salariés, leur rappeler les consignes et servir de relais avec les superviseurs. Autre évolution très sensible, les téléconseillers peuvent désormais se libérer du script fourni par le donneur d’ordres, ce canevas qui formate le dialogue avec les clients dans de nombreux centres d’appels. Un document qui interdisait jusque-là de répondre à une plaisanterie ou d’introduire des éléments empathiques dans la conversation. « Une demande forte et ancienne des salariés », précise la cédétiste Magali Soler. « Nous avons réussi à convaincre les donneurs d’ordres de nous laisser la main, ajoute Philippe de Gibon. Résultat, la performance a augmenté et la satisfaction des téléconseillers aussi. » Pour gérer les carrières, la PME s’appuie enfin sur des entretiens professionnels annuels, mis en place voilà huit ans. « Ce n’est pas une perte de temps mais un investissement pur et dur, professe le patron. Ça permet de mieux connaître les salariés et leurs aspirations. »

Soigner le dialogue social

Paternaliste et à l’écoute, la petite entreprise n’en oublie pas les relations avec les représentants du personnel. Une rareté dans le secteur. « Le dialogue est permanent, souligne la CFDT, ce qui ne nous empêche pas de revendiquer de nouvelles avancées sociales, sur les frais de parking ou les primes à l’innovation notamment. » Un point de vue partagé par la CGT : « Les dirigeants sont disponibles et à l’écoute. Certes, les négociations salariales 2015 n’ont pas été fructueuses, mais les marges de manœuvre financières sont faibles. » Régulièrement consultées, les instances ont aussi été mises à contribution pour élaborer le règlement intérieur ou rédiger le formulaire d’entretien d’évaluation. Même si la société a connu un premier mouvement social en 2012 sur les temps de pause. Depuis un an, les dispositions relatives aux horaires de travail ont d’ailleurs été améliorées à l’issue d’une négociation de douze mois impliquant des groupes de travail avec des salariés et un vote du personnel.

Les critiques les plus récurrentes concernent les entretiens d’évaluation. « Un très bon entretien ne débouche pas forcément sur une prime individuelle ou une hausse de salaire, regrette Jessica Huet, jeune téléconseillère en poste depuis un an et demi. Et les primes liées au nombre de contrats vendus aux clients sont souvent faibles. » Un constat relayé par les syndicats, qui pointent aussi des grilles salariales trop resserrées. Le salaire de base mensuel moyen d’un téléconseiller à plein temps s’élève à 1 480 euros brut, auquel s’ajoutent 410 euros de primes en moyenne. « Il faudrait pouvoir mieux récompenser ceux qui travaillent très bien, qui s’impliquent beaucoup », insiste Robert Fabre, pour la CFTC. Une conviction partagée par Philippe de Gibon : « Nous calculons la rentabilité pour chaque campagne et les surbénéfices éventuels sont ensuite mutualisés et reversés à tous ceux qui surperforment. Mais nous avons besoin de primes plus fortes. Nous réfléchissons à un système de rémunération plus incitatif et différenciant. » Un chantier financièrement compliqué, mais jugé prioritaire pour cette année.

En chiffres

6,7

C’est, en millions d’euros, le chiffre d’affaires en 2014. Pour un bénéfice de 230 000 euros.

200

personnes travaillent chez Convers, dont 163 téléconseillers.

Source : Convers.

En chiffres

75 %

des salariés sont des femmes.

37 %

d’entre eux sont âgés de plus de 45 ans.

60 %

travaillent à plein temps.

Source : Convers.

Auteur

  • Nicolas Lagrange