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Repères

Il n'y a pas que les 35 heures…

Repères | publié le : 01.12.2000 | Denis Boissard

La question tarabuste les économistes, Bercy et les chefs d'entreprise. Après une décennie caractérisée par une demande asthmatique, l'économie française pourrait être à l'avenir bridée par une offre déficiente. L'entreprise France a en effet de plus en plus de mal à satisfaire la frénésie de consommation qui s'est emparée des ménages et l'envolée des commandes qui proviennent de l'étranger. La preuve ? Dans les firmes industrielles, le niveau d'utilisation des capacités de production frôle la saturation (88,2 %), et quatre d'entre elles sur dix déclarent ne plus pouvoir produire davantage.

Deux raisons à ces goulots d'étranglement.

Primo, les entreprises ont tardé à réinvestir après la crise du milieu des années 90. Résultat : elles ne sont pas suffisamment équipées pour affronter la demande vigoureuse que l'Hexagone connaît aujourd'hui. Secundo, un nombre croissant de secteurs d'activité (bâtiment, hôtellerie-restauration, informatique, tourisme, transport…) ont de plus en plus de mal à trouver la main-d'œuvre qui leur est nécessaire pour répondre à l'afflux des commandes de leurs clients. Un peu plus d'une entreprise industrielle sur deux déclare avoir des difficultés à recruter, contre un petit tiers il y a encore un an.

La faute aux 35 heures, dénonce le Medef, qui a saisi la balle au bond pour exiger un moratoire sur le régime des heures supplémentaires et l'exclusion des petites entreprises (moins de 20 salariés) du champ d'application de la loi. Ce faisant, le patronat va un peu vite en besogne. Que les 35 heures, conçues pour « partager » le travail disponible en période de marasme économique et d'envolée du chômage, arrivent à contretemps, en plein boom de l'activité et de l'emploi, et aggravent donc les difficultés de recrutement des entreprises, c'est une évidence. Mais la réduction du temps de travail est loin d'être la seule responsable des tracas que rencontrent aujourd'hui les employeurs. En utilisant à tort et à travers le terme de « pénuries de main-d'œuvre », le Medef exonère les entreprises de leur propre responsabilité dans la situation actuelle. Sauf à estimer que, malgré 2,3 millions de chômeurs dans les listings de l'ANPE, la France a d'ores et déjà épuisé ses réserves en ressources humaines.

La réalité, c'est que les entreprises ont pris de mauvaises habitudes avec le chômage de masse. Ayant l'embarras du choix, les employeurs se sont accoutumés à une certaine facilité d'embauche, en recrutant des personnes sur qualifiées par rapport aux besoins réels des postes à pourvoir. La forte décrue du chômage rééquilibre aujourd'hui le rapport de forces sur le marché du travail. Et c'est heureux dans la mesure où cela oblige les employeurs à revoir leurs exigences à la baisse et à s'intéresser au vivier des chômeurs de longue durée, des jeunes peu qualifiés ou des quinquagénaires, qu'ils délaissaient auparavant. Moins sélectives en amont, les entreprises vont aussi devoir améliorer leur processus d'intégration et de fidélisation des salariés en aval du recrutement, bref réinvestir dans la gestion des ressources humaines. Dans un marché de l'emploi dynamique, le salarié devient plus volage.

Les tensions actuelles s'expliquent aussi par le sous-investissement chronique des entreprises dans la formation qualifiante. La formation professionnelle se réduit le plus souvent à des stages courts d'adaptation au poste de travail, et ses premiers bénéficiaires sont des cadres, plutôt que des ouvriers et employés… Cherchez l'erreur. Pour pallier leurs difficultés de recrutement, les entreprises vont être contraintes, là encore, de mettre les bouchées doubles, d'établir des partenariats avec les lycées professionnels, l'Afpa ou l'université.

Pour autant le pragmatisme doit jouer.

Pourquoi ne pas adoucir, en contrepartie d'un effort significatif de formation, le régime des heures supplémentaires dans les secteurs les plus touchés, le temps nécessaire à la qualification des nouvelles recrues ? Quant au problème spécifique des petits établissements, il ne doit pas être sous-estimé. Pour eux, les 35 heures s'annoncent comme un joli casse-tête, d'autant qu'ils ne disposent pas, comme les gros, de services juridiques performants pour décortiquer les arcanes de la loi Aubry II. Dans les petites unités, aux effectifs réduits et peu interchangeables, les marges de réorganisation et de recrutement sont particulièrement étroites. Difficile de remplacer un comptable par une standardiste ! Difficile d'embaucher un quart d'ingénieur ou de technicien ! Exclure les salariés des petites entreprises du bénéfice de la réduction du temps de travail, comme le propose le Medef, n'est bien sûr pas recevable. D'autant que celles-ci, moins attractives, en pâtiraient dans leurs recrutements. Mais une plus grande souplesse – qu'elle passe par le taux, le contingent des heures sup', ou les heures d'équivalence – s'impose. La nouvelle locataire de la rue de Grenelle semble prête à mettre un peu d'eau dans le vin des 35 heures. La raison l'emporte… enfin.

Auteur

  • Denis Boissard