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Vie des entreprises

Serge Pasquier, roi de la brioche et des horaires flexibles

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.12.2000 | Sabine Syfuss-Arnaud

Actionnariat salarié, intéressement, RTT avant l'heure… Dans le secteur socialement rude de la viennoiserie industrielle, le P-DG de Brioche Pasquier affiche un sacré bilan. Sans les contrats à la semaine et les plannings en dents de scie, l'entreprise vendéenne serait presque un modèle.

Un comble. Aux Cerqueux-de-Maulévrier, petit village du Maine-et-Loire, il n'y a plus de boulangerie ! C'est pourtant dans cette bourgade nichée à la lisière de la Vendée qu'est née l'une des plus belles aventures industrielles du Choletais : la société Brioche Pasquier. L'histoire commence en 1974. La boulangerie des frères Pasquier compte alors cinq salariés. Trois ans plus tard, une première usine de 1 000 mètres carrés voit le jour à quelques centaines de mètres de là. De ses chaînes sortent les fameuses brioches, fabriquées sans colorant et sans conservateur, pour respecter les valeurs écolos de Serge Pasquier, et vendues dans les super et hypermarchés parce que Louis-Marie, son frère, est persuadé que, hors la grande distribution, il n'y a point de salut.

À la fin de l'année, le groupe devrait compter près de 2 000 salariés et réaliser environ 2 milliards de francs de chiffre d'affaires. Chaque jour, les usines du numéro un français de la viennoiserie industrielle produisent des millions de pains au lait, de brioches, mais aussi d'entremets, de blinis et de tartes surgelées. Patron parce qu'il « ne supporte pas l'autorité des autres », Serge Pasquier n'est pas seulement l'apôtre bien connu de la réduction du temps de travail. Il a fait de son entreprise choletaise un laboratoire social, inspiré de ses voyages aux États-Unis ou au Japon et forgé par ses idées soixante-huitardes.

1 MAÎTRISER UNE CROISSANCE EXPONENTIELLE

Dans les années 80, Serge Pasquier revient fasciné d'un voyage au Japon, où il a découvert la gestion des flux et le juste-à-temps. « Nous sommes dans un métier de produits frais. Nous faisions déjà du flux sans le savoir », explique le président de Brioche Pasquier, qui supprime le papier dans les usines pour faire place à l'informatique. Les ordinateurs accompagnent le travail à la chaîne. Les sites sont mis en réseau. Tout est contrôlable en temps réel. Une organisation qui va permettre à l'entreprise de suivre une croissance boulimique sans indigestion. Pasquier emploie 400 salariés à la fin des années 80, passe le cap des 1 000 en 1994. Aujourd'hui, il a quasiment doublé ce chiffre, possède 8 usines et 27 lignes de production automatisées dans l'Hexagone, et s'apprête à s'implanter en Espagne.

Le groupe a donc dû apprendre à embaucher en masse. Comme cela se pratique souvent dans l'industrie, Pasquier ne propose pas d'emblée des CDI aux ouvriers, mais des CDD renouvelables. « Je suis entrée chez Pasquier fin 1995. Pendant un an, j'ai eu des contrats à la semaine, puis deux contrats d'un mois, avant d'être embauchée définitivement », explique Nathalie, opératrice à l'usine de Châtelet-en-Brie, près de Paris. « Nous sommes 30 à 40 à avoir patienté comme ça », souligne cette jeune mère de famille qui conserve de cette période un sentiment de grande insécurité. Responsable du social au siège, Aurore Joselon reconnaît qu'il y a eu des statuts précaires. « Mais, depuis un an, nous essayons d'éviter le coup par coup et de planifier davantage dans la durée pour gérer la stabilité de l'emploi. »

Les contrats pour quelques semaines restent malgré tout encore nombreux pour faire face aux fortes fluctuations de la demande. Les périodes de Noël et de l'Épiphanie sont particulièrement chargées. « L'activité est très irrégulière et difficile à prévoir, avec des variations très fortes qui peuvent faire basculer l'activité de 2 x 8 en 3 x 8, analyse Alain Haye, directeur de l'usine Pâtisserie Pasquier des Cerqueux. Cet été, sans que rien le laisse prévoir, la demande a augmenté de 30 %, nous obligeant à mettre les bouchées doubles. »

2 JOUER À FOND LA FLEXIBILITÉ DU TEMPS DE TRAVAIL

Pasquier est la première entreprise du secteur marchand à avoir passé un accord d'annualisation du temps de travail. Un an avant la loi Robien de 1996. « Pour le groupe, c'était une question de survie. Socialement on allait dans le mur », explique Alain Haye, un enfant des Cerqueux comme les frères Pasquier, qui a fait partie des premiers salariés de l'entreprise. Soucieux d'introduire le travail du samedi pour répondre aux commandes pour le jour même des grandes surfaces, Serge Pasquier décide d'échanger une flexibilisation du temps de travail contre une diminution des horaires (à 33 h 15 par semaine en moyenne sur l'année) et une légère baisse des salaires. « Nous avons été précurseurs, sans le faire exprès », souligne le P-DG de Pasquier.

L'accord est formalisé. Il ne reste plus qu'une signature syndicale pour l'avaliser. Déjà rares dans les entreprises familiales, a fortiori en pays chouan, les syndicats ne sont pas non plus en odeur de sainteté dans la boulangerie industrielle. Brioche Pasquier ne déroge pas à la règle. Aux Cerqueux, il n'y avait alors qu'un délégué CGT ! Hervé Garnier, responsable fédéral CFDT de l'agroalimentaire, se rappelle que le groupe a fini par trouver un cédétiste que la centrale ne connaissait « ni d'Ève ni d'Adam ».

Fin novembre 1994, la réduction du temps de travail (RTT) prend forme. Le temps de travail diminue de 10 %, les salaires de 4 à 7 %, les plus bas étant les moins touchés. L'entreprise promet d'embaucher 10 % de personnel supplémentaire. Par référendum, près des trois quarts des salariés acceptent le deal. Les plus rétifs étant les jeunes, qui ne souhaitent pas travailler moins, mais gagner plus d'argent. Dorénavant, les semaines « normales » sont de quatre jours, avec la possibilité de travailler parfois le samedi, de temps en temps le dimanche et, quand la production le requiert, jusqu'à 48 heures hebdomadaires, avec un maximum de 10 heures par jour. Il n'y a pas de règle d'organisation. Chaque service, chaque ligne de production négocie les modalités du planning en concertation avec les employés, qui disposent d'un compte épargne temps. Les programmes doivent être établis au moins trois semaines à l'avance.

L'accord Pasquier fait date. Sitôt élu président de la République, Jacques Chirac vient demander aux salariés comment ils vivent la réduction du temps de travail. Fin 1997, une ouvrière de Pasquier confie au quotidien Ouest France qu'« il ne faudrait surtout pas revenir aux 39 heures […] ». « Je n'ai perdu que 36 francs par mois. Au moment du référendum, on a dit oui surtout pour l'embauche des jeunes. Aujourd'hui, le oui ferait certainement 100 %. » Dans les bureaux aussi, les salariés sont ravis. « Les équipes de quatre ou cinq personnes arrivent à s'arranger pour avoir un mercredi libre sur deux », explique une employée parisienne.

Mais le bilan est sensiblement différent pour les salariés à la chaîne et le personnel chargé des expéditions et des livraisons. Depuis un an, les emplois du temps jouent les montagnes russes. « Parfois, nous sommes informés seulement 48 heures avant des changements d'horaires. Il arrive que des jours de congé sautent, ou qu'on ne puisse pas se caler sur les vacances scolaires. C'est paradoxal, avec 33 h 15 par semaine, je n'arrive pas à organiser une activité de loisir régulière », indique Marielle, 29 ans, mère de famille et ouvrière à l'emballage dans l'usine parisienne. Thierry, qui travaille sur les quais d'expédition, confirme : « L'activité tourne entre 5 heures du matin et minuit. Nous avons jusqu'à trois horaires différents pour la même semaine. Nous n'en pouvons plus. » Pour Laurent Guérin, le délégué cégétiste qui a signé l'accord RTT aux Cerqueux, les semaines de quatre jours sont passées à la trappe. « Souvent, on travaille cinq jours, parfois six. On est toujours en flux tendu. »

Patron de l'usine Brioche Pasquier, Jean-François Boissinot argumente par l'explosion de la demande. « Il manque l'équivalent d'un site de production », renchérit Alain Haye, son homologue choletais de Pâtisserie Pasquier. « C'est la plus belle année depuis dix ans d'un point de vue économique, mais pas d'un point de vue social, concède Serge Pasquier. Les usines sont saturées. Pourtant, nous en avons déjà ouvert deux cette année. » Il espère que le salut viendra des implantations à l'étranger.

3 MOTIVER PAR L'ACTIONNARIAT ET L'INTÉRESSEMENT

Dans la boulangerie industrielle, la convention collective est loin d'être généreuse. Salaires proches du smic, pas de 13e mois. Chez Pasquier, la rémunération de base est légèrement supérieure. Mais, depuis l'accord sur le temps de travail, les augmentations générales ont suivi peu ou prou l'inflation. « On se rapproche du salaire minimal de branche », constate un opérateur qui, en deux ans, a bénéficié de 50 francs d'augmentation. Les derniers arrivés sont les moins bien lotis. En 1995, pour compenser la baisse de salaire liée à la RTT, les primes d'ancienneté prenaient effet au bout d'un an de présence, au lieu de quatre. « Aujourd'hui, explique Martine Clémot, chargée du social à Pâtisserie Pasquier aux Cerqueux, nous sommes revenus aux quatre ans. De plus, comme dans beaucoup de secteurs passés aux 35 heures, les salaires d'embauche se calculent désormais sur la base de 33 h 15. »

Ce qui fait la différence chez Pasquier, c'est l'actionnariat salarié. Le capital de l'entreprise est ouvert au personnel, qui bénéficie d'actions à prix cassés. Et, à plusieurs reprises, des stock-options ont été offertes à l'ensemble des salariés. Depuis janvier 2000, l'entreprise abonde les sommes que les salariés placent dans un fonds commun. Jackpot pour les recrutés de la première heure, l'actionnariat salarié est moins intéressant avec la stagnation du titre en Bourse. « Cela nous pose un petit problème. C'est socialement moins intéressant », reconnaît Alain Haye, directeur de l'usine Pâtisserie Pasquier.

L'autre spécificité de Pasquier, c'est l'existence, depuis quinze ans, d'une sorte de prime d'intéressement liée aux performances et souvent équivalente à un 13e mois. Le CAP, ou contrat d'amélioration Pasquier, est fixé service par service, ligne de production par ligne de production, site par site. Il comporte divers objectifs à satisfaire, en fonction desquels le montant de la prime est calculé : taux de perte, productivité, qualité, prévention, hygiène, note sociale (pour faire la chasse aux semaines de 48 heures). Versé tous les six mois, le CAP n'est pas individuel, mais collectif, « parce que, dans ce cas, il n'est pas assujetti aux charges sociales », explique un responsable du groupe. Le personnel peut récupérer cette somme immédiatement, ou alors se constituer une épargne salariale abondée par l'entreprise.

4 PARIER SUR LA RESPONSABILISATION

Chez Pasquier (prononcé « Pâquier » aux Cerqueux), le modèle de l'entreprise familiale a survécu à la croissance tous azimuts. Tout le monde s'appelle par son prénom et se tutoie. Et quand Serge Pasquier passe dans les ateliers ou les bureaux, c'est sans cravate. « C'est quelqu'un de simple et d'abordable », répètent ses proches. Patrice Vion, délégué CFDT aux Cerqueux, est plus impartial : « Il ne se prend pas pour Dieu le Père, malgré son impressionnante réussite. » Le P-DG de Pasquier, qui n'oublie pas ses débuts modestes, a mûri tout au long de ces années une vision du management nourrie à la fois de ses idéaux de Mai 68 et de ses voyages aux États-Unis, où il a découvert le marketing, et au Japon, où il s'est converti au lean management (« management en flux tendu »).Voire par ses échanges avec des chercheurs en socio-économie de l'université de Lyon II. « Je travaille avec eux depuis quinze ans. Je les respecte parce qu'ils passent la moitié de leur temps en entreprise », précise-t-il.

C'est de cette somme d'influences qu'est née la culture Pasquier. Après chaque ouverture de site, des Vendéens s'en vont porter la bonne parole aux nouveaux venus dans le groupe. Cette culture repose sur une très forte décentralisation. Chaque site est une société indépendante avec ses propres accords d'entreprise, ses délégués du personnel et son CE. L'objectif est de conserver des unités à taille humaine, avec 200 personnes au maximum. Reste que ce réseau de PME est plus facile à manœuvrer qu'un groupe de 2 000 personnes.

Deuxième caractéristique : une hiérarchie très courte, avec quatre niveaux seulement. Les directeurs de site, qui dépendent directement de Serge Pasquier, chapeautent les conducteurs de ligne dans la production et les directeurs commerciaux côté ventes, eux-mêmes responsables des opérateurs et des commerciaux. Les contacts doivent être personnels et directs.

La responsabilité, c'est l'autre pierre angulaire de la philosophie de l'industriel choletais. « Rendre responsable celui qui commet l'acte. Cette devise, nous l'avons mise en place il y a quinze ans », précise Serge Pasquier. La responsabilité individuelle s'exprime à tous les échelons. D'abord, et avant tout, chez le conducteur de ligne, personnage central de la production. Serge Pasquier l'a conçu comme un patron de PME. Chargé d'une équipe de 20 à 50 personnes, il en assume le recrutement. Sont également de son ressort la gestion des plannings, les entretiens individuels, l'évolution de carrière et de rémunération. À la chaîne, les opérateurs sont formés pour être polyvalents et capables de s'occuper d'une tâche globale.

Un exemple, sur la ligne 3 de l'usine Pâtisserie Pasquier des Cerqueux, qui produit 21 000 croissants ou pains aux raisins surgelés à l'heure, trois ouvriers intègrent les ingrédients de la pâte, supervisent la bonne marche d'opérations hyperautomatisées, procèdent au contrôle de qualité sur l'ordinateur et nettoient le poste de travail avant de le quitter. « Nous voulons éviter les tâches répétitives et intéresser la personne à son travail », explique Alain Haye, qui souligne que le taux d'investissement pour la formation est de 4 %.

Pour ce directeur, qui a commencé au pétrin avant de passer conducteur de ligne, « il y a de l'avenir pour tous ceux qui se prennent par la main ». « Nous ne sommes pas cloisonnés dans un cursus, poursuit Jérôme Bonneau, 28 ans, titulaire d'un BTS d'action commerciale et responsable de ligne depuis quatre ans, après avoir commencé comme technico-commecial dans le groupe. » « Il n'y a pas de carcan, pas de limite. La règle d'or chez nous, c'est 20 % de compétence et 80 % de comportement », renchérit Jean-François Boissinot, qui dirige depuis quatre ans l'usine Brioche Pasquier des Cerqueux, après avoir été commercial et chef des ventes. « Chez Pasquier, on est très cadré et très responsabilisé. On peut monter très vite, mais aussi descendre très vite. Les cadres pour qui ça n'a pas collé chez nous ont souvent réussi dans de grandes entreprises où ils étaient bien calés entre deux niveaux hiérarchiques. Un univers dans lequel je péterais les plombs », explique Jean-François Boissinot. Un cas d'école. À 33 ans, il est aussi directeur général du groupe et se prépare à prendre les rênes de la future filiale espagnole !

5 MAINTENIR LES SYNDICATS À DISTANCE

Valorisant les initiatives personnelles et le contact direct, le groupe Pasquier laisse une maigre place au dialogue collectif et aux syndicats. « Chez nous, les syndicats sont plutôt en retrait et on ne le regrette pas particulièrement », résume Aurore Joselon, chargée du social au siège. Le message est passé. Conducteur de ligne, Jérôme Bonneau estime qu'il faut « régler les difficultés au fur et à mesure, au cas par cas, en faisant appel au bon sens ». « Si on a besoin d'intermédiaires, c'est que c'est déjà trop tard. » Serge Pasquier défend une autre conception de la démocratie d'entreprise : « Bien que je n'aie jamais contrarié les syndicats, nous avons une population de syndiqués ridicule, même pas une centaine dans toute l'entreprise. Ce qui nous paraît important est d'avoir des délégués du personnel, un comité d'entreprise, un vrai dialogue à ce niveau-là. »

L'union locale CGT de Cholet ne possède plus qu'un adhérent aux Cerqueux, contre 16 en 1990 et 20 en 1982. « C'est une entreprise difficile. Nous sommes en zone rurale, dans une région très ancrée à droite », explique un responsable cégétiste. Sans compter que Pasquier est le principal employeur à une vingtaine de kilomètres à la ronde. « Les gens ont peur », estime-t-on à la CGT et à FO. Le secrétaire choletais de Force ouvrière, Marcel Lahaye, témoigne qu'il a été contacté dans le courant de l'été par deux salariés du groupe « qui voulaient faire bouger les choses ». Et qui « ont vite été rappelés à l'ordre ». En pleine négociation 35 heures chez Harry's, une multinationale agroalimentaire installée en Vendée, un délégué CFDT qui avait écrit aux délégués du groupe Pasquier pour connaître l'organisation de la planification a reçu une réponse signée de Serge Pasquier lui-même…

En Vendée, les gens soulignent pourtant qu'il vaut mieux être employé aux Cerqueux que dans les abattoirs, tout proches, ou dans la confection, où le taylorisme bat son plein. La plupart reconnaissent qu'ils sont contents de travailler pour une entreprise qui bénéficie d'une bonne image. Et un patron doté d'une telle aura. « Chapeau bas à Serge », lance Laurent Guérin, de la CGT. « Au moins, chez Pasquier, vous avez un vrai interlocuteur, un vrai patron, complète Gérard Désile, permanent régional pour l'agroalimentaire à la CGT. Ce n'est pas comme à la Biscuiterie nantaise, rachetée par des Anglais, puis par des Américains, et qui change de patron tous les deux ans. »

Pourtant, les critiques reviennent sans cesse sur les plannings en dents de scie et les salaires trop maigres. « Si nos emplois du temps étaient un peu mieux gérés et si nous étions un peu mieux payés, ça pourrait être vraiment bien », résume une opératrice parisienne. Un de ses collègues des Cerqueux est plus amer : « S'ils pouvaient mettre 10 000 francs de plus par salarié et par an, ça changerait énormément de choses… » Il faut dire qu'à l'automne la famille Pasquier figurait respectivement en 126e et en 139e position du palmarès des plus grosses fortunes professionnelles de France du Nouvel Économiste et de Challenges. Serge Pasquier s'agace : « Ce n'est pas de l'argent qui est dans ma poche, mais dans l'outil de travail. » Mais ne répète-t-il pas lui-même que « l'économie ne va pas sans le social » ?

Entretien avec Serge Pasquier
" Sur la RTT, la patronat a freiné des quatres fers. Sans la loi Aubry, on aurait le même débat dans vingt ans "

Précurseur de la semaine de quatre jours, longtemps chouchou de la Bourse, Serge Pasquier a hissé en vingt-cinq ans sa petite entreprise familiale au rang de poids lourd de la viennoiserie préemballée. Ce Vendéen pragmatique de 52 ans, qui fustige tout dogmatisme et ne fait partie d'aucune chapelle patronale, possède pour tout bagage une formation en comptabilité.

À 23 ans, il monte sa première entreprise dans son village natal des Cerqueux avec ses frères : Agri-Pasquier, petite structure d'élevage industriel qui existe toujours, avant de lancer deux ans plus tard Brioche Pasquier, toujours avec sa tribu. Sa méthode de management mêle l'attachement aux racines vendéennes, un soupçon de paternalisme, des idées généreuses et une fervente admiration des méthodes de travail japonaises.

Vous avez introduit la semaine de quatre jours il y a cinq ans. Quel bilan en tirez-vous aujourd'hui ?

La semaine de quatre jours a été mise en place chez nous dans un but économique. J'ai une réputation de financier assez dur. À aucun moment, lorsque je raisonne sur le social, je n'oublie les aspects financiers. C'est pour ça que, lorsque j'ai proposé la RTT, les premières réactions des délégués, des syndicats et de certains cadres ont été de se demander ce que j'avais derrière la tête.

En réalité, je voulais un partage du travail, mais en augmentant le temps de travail de l'entreprise. Notre principal problème est que notre activité est constituée à 80 % de produits frais. Nous recevons des commandes le matin pour un départ le soir. Nous avions besoin de travailler le samedi, besoin de flexibilité. C'était essentiel pour l'avenir de l'entreprise. Ce travail en temps réel amène une pression sociale énorme sur la vie quotidienne.

Cela ajouté à une idée qui m'est chère : il est aberrant de payer pour ceux qui ne travaillent pas, alors qu'on pourrait partager, que ça ne coûte pas plus cher et qu'il n'y a rien de plus affreux que de n'avoir rien à faire !

Je pense que personne ne voudrait revenir en arrière, y compris parmi les cadres et les dirigeants, qui sont très heureux, moi inclus, d'avoir des jours en plus. Je suis content de pouvoir m'échapper et bien plus heureux sur le plan familial.

D'ailleurs, les meilleurs cadres ne sont pas forcément ceux qui ne prennent pas leurs jours. Ceux qui ne savent pas déléguer et s'éloigner ont des collaborateurs malheureux.

Quel jugement portez-vous sur les lois Aubry ?

Je pense que la loi Robien était suffisante, à la condition que les patrons jouent le jeu. Mais le patronat est très réactionnaire. Il a freiné des quatre fers, ce que je ne cautionne absolument pas, et, sans cette loi, on aurait le même débat dans vingt ans. Pourtant, je suis contre le fait de trop légiférer, car les textes sont des carcans. Les entreprises ne se ressemblent pas. Tout le monde n'a pas besoin du samedi comme nous, par exemple.

Nous sommes tout à fait heureux que les 35 heures arrivent, car notre difficulté était d'être déconnectés de l'économie de marché. Nous avons bénéficié de réductions de charges sociales jusqu'en 2002. Il fallait qu'à cette date nous soyons tous sur un pied d'égalité. Je vous avoue que j'ai eu très peur lorsque j'ai vu tous les blocages, car nous avions escompté que cinq ans plus tard tout le monde serait aux 35 heures.

Votre mode de management s'appuie sur la responsabilisation des salariés. Comment la définissez-vous ?

C'est une idée de fond que je garde de ma jeunesse. En 1968, j'avais 20 ans. Je suis arrivé avec des idées écologistes et autogestionnaires, persuadé que, dans la société moderne, la responsabilité individuelle serait de plus en plus grande. Je faisais des études de comptabilité, je n'étais donc pas préparé à être dirigeant d'entreprise. Mais j'ai toujours estimé que la responsabilisation des salariés va de pair avec l'ouverture du capital d'une entreprise. J'ai très vite pensé qu'on ne conserverait les cadres que si on les intéressait, tout comme l'ensemble des salariés. Et qu'une entreprise se devait de dissocier le capital du pouvoir.

Si, aujourd'hui, des gens comme nous possèdent le capital et le pouvoir, dans la génération suivante, personne ne pourra avoir les deux, et les entreprises seront dirigées par des actionnaires, certes minoritaires, mais qui auront les qualités de dirigeants. Il faut que les salariés puissent devenir des actionnaires, entrer dans le capital de leur entreprise et ne pas avoir peur de parler d'argent dans l'entreprise. C'est une idée qui s'est développée de façon pragmatique au fil des années. Chez nous, la commencé dès 1975, dès la création de la société. La première augmentation de capital a eu lieu avec un chauffeur et un commercial. Les personnes qui étaient présentes nous ont amené 5 000 ou 10 000 francs qui étaient bien utiles à l'époque, parce qu'on en avait vraiment besoin.

Le personnel détient 9 % du capital. Quel rôle l'épargne salariale joue-t-elle dans l'entreprise ?

L'une des premières raisons de l'entrée en Bourse en 1985 était de pouvoir permettre aux salariés actionnaires de sortir et de libérer leur capital. Nous vivions alors des années euphoriques. Notre cours a été multiplié par 26 dans les dix premières années. Ceux qui jouaient le jeu avaient une plus-value importante. Cela a donné une dynamique et une implication extraordinaires à l'ensemble des salariés pour lesquels, qu'ils soient cadres, ouvriers ou agents de maîtrise, nous n'avons jamais voulu mettre sur pied de système séparé.

Les nouveaux venus, qui ne vont pas forcément bénéficier de la même euphorie boursière, ne risquent-ils pas d'être très déçus ?

C'est là qu'on se rend compte de la difficulté d'ouvrir le capital d'une entreprise. Dans une société qui va bien, dont l'action prend de la valeur, c'est très facile à mener. En revanche, quand on traverse des années un peu plus difficiles, c'est délicat d'expliquer aux salariés qu'il faut être patient. Nous venons de vivre trois années avec des plus-values boursières très faibles, et beaucoup de salariés actionnaires se posent des questions. Même s'il faut relativiser : lors de la dernière augmentation de capital que nous venons de réaliser, 650 salariés ont souscrit.

Dans votre secteur, où les salaires sont bas, même si ceux de Pasquier sont un peu au-dessus de ceux de la convention collective, les plus-values ne sont-elles pas perçues comme un complément de rémunération ?

L'objectif de l'actionnariat salarié a toujours été de faire partager le projet de l'entreprise. Et de constituer une épargne à long terme. L'épargne à long terme en discussion en ce moment au Parlement, cela fait dix ans qu'on l'a mise en application !

Que pensez-vous des projets gouvernementaux sur l'épargne salariale ?

Dans le débat public, on essaie de contourner l'épargne individuelle, alors pour moi il est stratégique aujourd'hui d'avoir deux épargnes : une collective et une individuelle. L'objectif, chez Pasquier, est que les gens aient un petit pécule quand ils partent à la retraite.

Propos recueillis par Sabine Syfuss-Arnaud

Auteur

  • Sabine Syfuss-Arnaud