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Les bonnes œuvres de l’UIMM

Décodages | publié le : 03.04.2016 | Manuel Jardinaud

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Les bonnes œuvres de l’UIMM

Crédit photo Manuel Jardinaud

Depuis six ans, le patronat de la métallurgie gère deux fonds richement dotés, dédiés à l’insertion et à l’innovation. Ils offrent une aide précieuse à des structures en manque d’argent. Et redorent l’image de la maison, secouée par le scandale de sa caisse noire.

Dans les travées des amphithéâtres de la fac de Cergy-Pontoise, presque aucun étudiant ne connaît l’existence de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie. Ni de son fonds Agir pour l’insertion dans l’industrie, l’A2i. À Lille, au sein de l’école de production de l’Institut catholique d’arts et métiers (Icam), les jeunes exclus du système scolaire et admis en préqualification au sein de l’atelier serrurerie-métallerie n’ont pas davantage entendu parler de la puissante UIMM. Et pourtant. À Cergy, c’est en partie grâce au fonds A2i qu’un dispositif de réorientation vers des formations industrielles a été mis en place en 2013 pour aider les « décrocheurs » de la fac. À Lille, la structure a cofinancé les machines-outils de l’atelier de l’école de production, essentielles à la formation des jeunes apprentis. Deux actions emblématiques d’un fonds unique en France dont le lancement, fin 2009, devait contribuer à faire oublier l’un des pires scandales de l’histoire du patronat. La création de l’A2i en même temps que celle du Fonds pour l’innovation dans l’industrie, F2i, font suite à l’affaire dite de l’UIMM. Pour soutenir ses entreprises adhérentes en cas de grève, l’organisation avait constitué une caisse dont l’existence était tenue secrète.

Lorsque éclate l’affaire, à l’automne 2007, c’est la somme astronomique de 600 millions d’euros qui est mise au jour, dont une grande partie sans destinataire identifié. « Caisse noire » pour les uns, « trésor de guerre » pour les autres, l’enquête judiciaire sur ces « réserves patrimoniales » a bousculé l’organisation et conduit à un renouvellement en profondeur de sa gouvernance. Mais aussi, selon Denis Boissard, directeur des projets au sein de la fédération patronale (et par ailleurs ancien directeur de la rédaction de Liaisons sociales magazine), « à rendre totalement transparente l’utilisation de cet argent et à l’orienter dans un souci d’intérêt général ». À la tête d’une modeste équipe de deux personnes, l’ex-journaliste pilote les deux fonds depuis l’origine. Quand l’A2i cofinance des actions liées à l’insertion professionnelle, F2i soutient des PME dans des projets de recherche et d’innovation. Des fonds richement dotés. Entre 2010 et 2014, selon le dernier bilan comptable, A2i a été alimenté par plus de 20 millions d’euros, tandis que F2i a bénéficié de la moitié de cette somme.

L’origine sulfureuse de la cagnotte a poussé l’UIMM à sécuriser au maximum les sommes allouées par les fonds. Leur fonctionnement repose sur deux principes clairs : transparence financière et gouvernance ouverte. Les conseils d’administration des deux structures sont ainsi composés de membres d’UIMM locales et de personnalités qualifiées extérieures, tout comme les groupes dédiés à la sélection des projets. « Les procédures sont strictes, nous avons des indicateurs de résultats concernant chaque projet. En cas de problème, nous pouvons même arrêter les versements en cours de route », explique Denis Boissard. Ce que confirme Benoît Granger, membre du comité de sélection d’A2i et fondateur de France active, société d’investissement solidaire : « Il nous est arrivé plusieurs fois de ne pas payer la troisième tranche car les résultats n’étaient pas à la hauteur », confie-t-il.

Porteurs de projets.

La gouvernance a fait ses preuves. Et ceux qui participent aux dispositifs d’insertion et de lutte contre l’exclusion préfèrent vanter l’efficacité des actions de terrain plutôt que de regarder dans le rétroviseur. « Quand j’ai vu la façon dont le fonds a été porté, mes doutes ont été écartés assez vite », assure ainsi Jean-François Connan, directeur de la responsabilité et de l’innovation sociale d’Adecco et membre du comité de sélection d’A2i. « C’est sans doute nous qui étions les plus complexés sur le sujet. Nous avons été plus traumatisés que nos partenaires », raconte Pascal de Romanovsky, porte-parole du Groupe des industries métallurgiques (GIM), l’UIMM francilienne. Aujourd’hui, les résultats sont probants. Fin 2015, 152 actions territoriales avaient déjà été financées avec la vocation d’insérer 19 500 personnes. « D’ores et déjà, nous avons franchi le seuil des 11 000 jeunes et adultes sortis positivement des actions que nous soutenons, soit vers une formation industrielle qualifiante, soit dans un emploi dans l’industrie », assure Denis Boissard.

Les porteurs de projets ne se font pas prier pour frapper à la porte de l’avenue de Wagram. Mi-février 2016, cinq duos – composés d’un représentant d’une chambre syndicale et d’un partenaire, comme le stipule le règlement d’A2i – passaient ainsi leur grand oral devant un jury de 12 membres. Soit trente minutes pour convaincre de la pertinence de leur dossier. La diversité était au rendez-vous : un chantier de qualification « nouvelle chance » porté par l’UIMM Landes et Aerocampus Aquitaine, un dispositif « pour l’insertion dans l’industrie » soutenu par l’UIMM Limousin et les missions locales de Brive, un projet « réussir l’industrie » au sein duquel deux UIMM bretonnes appuient l’offre de missions locales du territoire de Fougères. Enfin, deux créations de groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification dans le Rhône et en Savoie. Les sommes demandées sont importantes : entre 105 000 et 250 000 euros sur trois ans, avec possibilité de renouvellement. Des budgets qui valent aux binômes un flot de questions portant sur des charges de personnel jugées élevées, une ambition d’insertion peu réaliste ou des indicateurs de suivi trop flous. Réponse sous huitaine.

« Attirer les jeunes ».

L’université de Cergy-Pontoise (UCP) connaît l’exercice. Avec le Groupe des industries métallurgiques, elle a pu bâtir « cap industrie » en 2011, un parcours de réorientation à destination des étudiants cherchant leur voie. « Notre partenariat avec le GIM, est clair, sain et enrichissant », témoigne Sabine Lepez, vice-présidente chargée de l’orientation professionnelle. Après un processus de repérage durant le premier semestre, 8 à 12 étudiants sont orientés vers un cursus de deux cent cinquante heures de cours, avec des modules consacrés au secteur industriel et des remises à niveau en français, mathématiques et anglais. Un accompagnement pour construire le projet professionnel vers le monde de l’industrie et dix semaines de stage sont également prévus. De 2013 à 2015, entre 67 % et 80 % des étudiants de chaque promotion ont pu accéder à un BTS ou à un DUT cible. « On travaille parfaitement sur les profils dont ont besoin les PMI d’Ile-de-France qui recherchent des compétences et des qualifications », note Pascal de Romanovsky. Le représentant du GIM s’avoue d’autant plus satisfait que le programme a été reconduit pour la période 2016-2018.

Même contentement chez Patrick Bourghelle, ex-secrétaire général d’Udimétal (Nord-Pas-de-Calais) et initiateur du partenariat avec l’école de production de l’Icam en 2011. « Notre intérêt, c’est que cet argent serve réellement et que nous arrivions à attirer les jeunes dans l’industrie. » Pari réussi, semble-t-il. En moyenne, neuf apprentis sur les dix accueillis chaque année en serrurerie-métallerie obtiennent leur CAP et une majorité poursuit en bac professionnel. « Nous avons néanmoins eu un taux de rupture assez élevé au démarrage du cursus », regrette Juliette Vallée, responsable de la formation professionnelle à l’Icam, qui bataille pour offrir une formation utile à ce public fragile.

« Ventre mou ».

C’est d’ailleurs le credo du fonds A2i : être utile à la fois aux jeunes et aux entreprises de la branche en recherche de bras et de matière grise. La structure soutient notamment de nombreux Gieq, comme c’est déjà le cas dans le Nord ou le Var. Mais aussi des agences d’entreprises de travail temporaire d’insertion, à l’instar d’Id’ees Intérim à Montbard (Côte-d’Or) ou d’une antenne de l’entreprise Chorus au Havre (Seine-Maritime). « Nous sommes même allés vers des domaines que nous ignorions totalement, comme la formation des détenus », précise Étienne Boyer, président de l’UIMM du Doubs et membre du conseil d’administration du fonds.

Six ans après le lancement, certaines chambres syndicales sont très impliquées. D’autres encore en retrait. Soit parce qu’elles sont insuffisamment dotées en ressources humaines pour se mobiliser, soit parce qu’elles ne voient pas l’intérêt de faire acte de candidature. C’est désormais tout l’enjeu d’A2i : développer un meilleur maillage du territoire. « L’UIMM était absente sur les sujets de l’insertion. Grâce au fonds, la branche a bougé. C’est en pratiquant que l’on convainc. Mais nous devons continuer de travailler sur le ventre mou », affirme Jean-François Connan (Adecco). Vu ce qu’il reste en caisse, ce n’est assurément pas un problème d’argent. Juste de temps.

Gros sous

La cagnotte des « réserves patrimoniales »

Jusqu’en 2014, date du dernier bilan comptable certifié de l’UIMM, le fonds A2i pour l’insertion a été doté de 20,3 millions d’euros. F2i, qui agit pour l’innovation, a reçu 10,2 millions d’euros. Des sommes certes colossales, mais inférieures à celles engagées pour les seules actions de communication de l’organisation, soit 36 millions d’euros sur la période ! S’y ajoutent une quinzaine de millions d’euros pour financer « la modernisation des structures », « l’accompagnement des entreprises » ou un dispositif de « solidarité professionnelle ».

Booster l’innovation

Aider les petites et moyennes entreprises de l’industrie à innover. Tel est l’objectif du deuxième fonds créé en 2009, appelé F2i et doté de 10 millions d’euros. Une somme à faire des jaloux dans le secteur des services… S’il est loin de résoudre la question du sous-investissement des PMI en recherche et développement, le fonds offre néanmoins une contribution significative via des programmes de un à cinq ans. Certains projets sont apportés par les UIMM territoriales, d’autres, plus spécialisés, portés par les deux grandes fédérations, la FIM (industries mécaniques) et la Fieec (électricité et électronique). « Les chambres syndicales font de la prospection pour faire émerger auprès des dirigeants des projets d’innovation », précise Denis Boissard, qui pilote le fonds. Exemple, la mise en place d’un partenariat avec une école d’ingénieurs au sein de laquelle les étudiants apportent leurs compétences à une petite entreprise. Autre cas, la création d’une chaire académique à l’Ensta de Brest. En 2011, un programme de recherche a été monté sur les techniques de collage de matériaux composites en milieu marin pour favoriser l’innovation dans l’éolien off shore et la construction navale. Depuis, 64 dispositifs ont été financés, « qui touchent potentiellement 3 800 PMI », selon Denis Boissard.

Auteur

  • Manuel Jardinaud