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Des jeunes en quête d’international

Dossier | publié le : 03.04.2016 | Catherine Abou El Khair

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Des jeunes en quête d’international

Crédit photo Catherine Abou El Khair

Encouragés par leurs proches et leurs écoles, les moins de 30 ans brûlent de partir à l’étranger. Mais les entreprises, qui serrent leurs budgets de mobilité internationale, ne se montrent pas toujours à la hauteur.

Leur terrain de jeu n’est ni la France ni l’Europe. C’est le monde ! Biberonnées aux cours d’anglais, aux études Erasmus et vols low cost, les jeunes générations n’ont pas peur d’aller travailler à l’étranger. « Pour elles, un Paris-Berlin n’est pas différent d’un Paris-Bordeaux. Par Internet, elles trouvent du travail partout. Les réseaux sociaux les ouvrent sur le monde », affirme Jean-François Rieffel, responsable des partenariats à l’Association pour l’emploi des cadres. Ainsi, la Conférence des grandes écoles estime que 17,6 % de ses jeunes diplômés étaient en poste hors de France en 2014, contre 14,9 % en 2013 et 12,7 % en 2011.

Interrogés chaque année par le cabinet Deloitte, ceux-ci imaginent de plus en plus leur avenir professionnel dans un pays anglo-saxon, à Hong Kong ou à Johannesburg. La proportion a presque doublé en trois ans, atteignant 21 %. L’Insee confirme aussi que la jeunesse est propice au voyage. Selon une récente étude, en 2013, 80 % des départs de personnes nées en France ont eu lieu entre 18 et 29 ans. En 2014, les 18-25 ans représentaient 9,4 % du total des expatriés inscrits au registre mondial des Français de l’étranger. Un pourcentage qui s’accroît depuis plusieurs années.

Les jeunes ne fuient pas forcément le chômage ou un marché du travail atone. En réalité, ils cultivent un intérêt marqué pour l’expatriation. « Les jeunes diplômés reçoivent de véritables injonctions à la mobilité internationale. Depuis le collège ou le lycée, on leur a répété qu’il fallait faire l’expérience de l’étranger », observe Denis Colombi, doctorant au Centre de sociologie des organisations, qui termine une thèse sur la mobilité internationale. Apprendre une ou plusieurs langues étrangères, se frotter à de nouvelles cultures, sortir de la fameuse « zone de confort » sont devenus des figures imposées du système éducatif. Les moins de 35 ans en sont aujourd’hui convaincus : avec une expérience hors des frontières, 51 % pensent que leur profil professionnel sera plus attractif, selon le baromètre Humanis 2016 sur la protection sociale des expatriés, réalisé en partenariat avec Lepetitjournal.com. Et 63 % des jeunes expatriés pensent acquérir des compétences nouvelles en partant à l’étranger.

Opportunités tous azimuts

Les établissements se plient donc en quatre. Pour répondre aux besoins mais aussi par stratégie. « La notoriété de l’école se joue avec les profils qui partent à l’international », explique Shyla du Cosquer, conseillère carrières internationales à Audencia. Des dizaines de guides par pays pour s’informer, des conseils pour trouver un stage à l’étranger, l’activation du réseau des anciens… tous les moyens sont bons pour faire partir les étudiants. Engagée dans une stratégie d’internationalisation, Skema Business School a installé ses campus aux États-Unis, en Chine et au Brésil. « Les jeunes n’hésitent pas à travailler en contrat local. Par notre présence sur place, on facilite les démarches de visa », explique Anne-Laure Olry, responsable des relations entreprises. L’école lilloise cultive des liens avec les entreprises locales mais seules 10 % des offres d’emploi diffusées dans son réseau proviennent de filiales de sociétés françaises.

Aujourd’hui, les jeunes diplômés privilégient les multinationales. Pour eux, toutes les occasions sont bonnes à prendre : stages, VIE comme contrats locaux. « Nous encourageons systématiquement les employeurs à mettre en avant les opportunités, parcours de mobilité ou implantations à l’étranger », explique Félicité Gasparetto, responsable de l’insertion professionnelle à Sciences po. Pour 49 % des diplômés issus d’école de commerce et 39 % des ingénieurs interrogés par Universum en 2015, ces opportunités sont décisives. Certains, comme Jérémy, n’hésitent plus à faire leur marché une fois leur diplôme en poche. « J’ai postulé dans des cabinets d’audit, qui m’ont expliqué que je ne pourrais m’expatrier que dans deux ou trois ans. » Insuffisant pour cet ambitieux, qui voulait partir « même avec une entreprise de ciment ». Sélectionné dans un graduate program organisé par une entreprise américaine, il a finalement trouvé son bonheur et compte Londres et Dublin parmi ses points de chute.

Les groupes ont bien mesuré l’attractivité associée à leurs implantations à l’étranger. À chaque entreprise sa formule… Avec le lancement de son « INTERNational program » en 2014, Bouygues Construction a reçu « plusieurs centaines de candidatures, venant d’ingénieurs, mais aussi de jeunes diplômés d’université et d’école de commerce. Nous arrivons ainsi à davantage diversifier nos recrutements », se satisfait Stéphane Vallée, DRH de sa filiale, Bouygues Bâtiment International. L’opération séduction a simplement consisté à proposer à quelques heureux élus des stages à l’étranger et du volontariat international en entreprise, en version améliorée : « Ils bénéficient d’un suivi plus personnalisé que les VIE et les stagiaires classiques. Aussi, le programme est animé comme une promotion d’école. »

D’autres entreprises vont plus loin, tels Axa, Suez Environnement, Carrefour ou General Electric. « Elles envoient leurs juniors à l’étranger par périodes de six mois afin qu’ils s’imprègnent de la culture de l’entreprise. Il ne s’agit pas d’une expatriation absolument nécessaire au business. En revanche, elle permet le développement personnel et professionnel », détaille Jorge Prieto Martin, fondateur du cabinet RHExpat, qui conseille les entreprises dans leur politique de mobilité internationale.

Concurrence accrue

Mais gare à la surenchère ! « Les groupes vendent leur côté international mais ont du mal à mettre en œuvre des politiques de mobilité car cela reste coûteux et compliqué, poursuit Jorge Prieto Martin. Lorsqu’ils le font, ils rationalisent les coûts, en proposant un niveau correct de couverture sociale mais en rognant sur le reste, comme le logement ou l’accompagnement du compagnon. » « Comment leur expliquer qu’ils ne pourront pas tous partir ? Dans certains cas, la question se pose dans ces termes », relève Denis Colombi qui, pour sa thèse, a mené des entretiens avec une vingtaine de responsables en mobilité internationale, DRH ou consultants.

Limiter les départs à une infime minorité via les graduate programs ou jouer la montre sont des stratégies possibles. Avec ses 18 bureaux et 210 implantations à l’étranger, Deloitte exige trois ans d’ancienneté avant toute mobilité géographique. De quoi, indirectement, freiner les ardeurs. « En général, deux à trois ans plus tard, le projet de départ devient plus compliqué », explique Géraldine Segond, DRH adjointe du cabinet de consultants.

Globalement, les entreprises ne privilégient pas la jeune génération. À l’exception du VIE, « le développement de politiques de mobilité internationale ciblées sur les jeunes n’est pas une tendance prioritaire », observe Ghislain de Rengervé, directeur associé de Helma International, un cabinet spécialisé en mobilité internationale. « Les entreprises s’orientent plus vers le dispositif des VIE et recrutent directement des jeunes diplômés ayant eu des expériences significatives à l’international car ces profils sont de plus en plus nombreux », remarque-t-il.

Les jeunes cadres RH aussi

Par ailleurs, les recruteurs ont déjà l’embarras du choix, en France comme ailleurs. L’Hexagone est ainsi le troisième pays d’accueil pour les étudiants étrangers, selon Campus France, l’établissement qui promeut l’enseignement supérieur à l’étranger. Lorsque ceux-ci prévoient de rentrer dans leur pays d’origine à la fin de leur cursus, ils ont la faveur des employeurs. « Chez nous, les entreprises essaient de recruter des Chinois susceptibles de rentrer au pays », explique cette responsable d’une grande école. « Les services RH centraux des groupes essaient de garder les liens avec leurs anciens stagiaires ayant effectué des stages à l’étranger. Car les jeunes générations ont des trajectoires de plus en plus dispersées », détaille Jérôme Adnot, directeur de l’enseignement à l’École des mines. Parfois, ces talents se trouvent déjà sur place. Pour les juniors qui ont raté la case VIE, l’expatriation promet d’être acrobatique…

La fuite des cerveaux concerne aussi les futures générations de cadres en ressources humaines. Les promotions ayant suivi le cursus international de l’IGS-RH, créé en 2012, en témoignent. Sur les 88 étudiants passés par ce programme, 28 % sont en poste à l’étranger, selon l’école. « Nous sommes les premiers étonnés de ces résultats, explique Olivier Dusserre, son directeur. Il y a quelques années, on considérait qu’il y avait peu d’opportunités. » Ce qui stimule la demande ? Des pays émergents comme le Brésil, qui professionnalisent leurs processus RH et manquent de compétences sur place. Le contexte mondial est favorable aux recrutements. Selon le dernier baromètre Michael Page, 48 % des dirigeants RH prévoient de renforcer leurs effectifs dans les douze prochains mois.

La connaissance des pratiques de management étrangères est valorisée. « Dans certaines grandes entreprises du CAC 40, la carrière des jeunes talents en RH passe par la case international », explique Bella Ferreira, responsable des relations école-entreprises au Ciffop.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair