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L’action de groupe, bon outil contre les discriminations au travail ?

Idées | Débat | publié le : 03.06.2016 |

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L’action de groupe, bon outil contre les discriminations au travail ?

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Voté par les sénateurs, le texte sur l’action de groupe contre les discriminations poursuit son périple parlementaire. Si elle peut encourager les saisines, son application au monde professionnel est jugée tantôt trop prudente, tantôt insuffisamment restrictive et source d’insécurité juridique.

Frédéric Guiomard Maître de conférences, université Paris Ouest Nanterre La Défense.

L’introduction d’une action de groupe portant sur les discriminations dans l’emploi ne mérite ni excès d’enthousiasme ni craintes démesurées d’une judiciarisation des relations de travail. Face à une persistance problématique des discriminations, ce dispositif fournit un cadre d’action utile pour renforcer la lutte contre celles-ci. L’étude des contentieux montre en effet la difficulté de mener ce type d’action sur un plan individuel, en raison des arcanes des procédures judiciaires et de la complexité de l’accès aux juridictions et aux preuves. Le très faible nombre d’affaires prud’homales menées sur ce terrain des discriminations en atteste. L’action de groupe a pour intérêt de dépasser une partie de ces freins. Engagée par un syndicat ou une association spécialisée, elle permet de procurer aux victimes une assistance juridique, une expertise, de faciliter l’accès aux preuves, et surtout d’introduire l’instance sans avoir à identifier les victimes. Pour autant, le projet de loi actuel est révélateur de la prudence dont fait preuve le législateur à l’égard de telles actions. Si le texte, modifié en commission, se montre moins frileux que le projet initial, il porte les marques d’une introduction timide de l’action de groupe dans le droit du travail. Il prend soin en effet de conjuguer cette action en justice avec la recherche de solutions négociées, en imposant, préalablement à toute demande devant le juge, une période de six mois pendant laquelle seront engagées des discussions afin de faire cesser la situation de discrimination alléguée. Par ailleurs, le législateur a veillé à limiter les préjudices réparés, ce qui restreint l’intérêt du recours. Cette nouvelle action de groupe ne sera donc qu’un outil complétant l’arsenal juridique dans la lutte contre les discriminations. Mais elle ne peut à elle seule avoir la vertu de faire disparaître les discriminations. Une lutte efficace contre ces dernières ne peut provenir que d’une combinaison entre l’impulsion d’autorités spécialisées comme le Défenseur des droits, l’action volontaire des entreprises, les initiatives des représentants du personnel, des pratiques de négociation renouvelées et une action en justice.

France Henry-Labordère Directrice des affaires sociales de l’Association française des entreprises privées (Afep).

L’action de groupe dans le champ de la discrimination, une mauvaise réponse à un véritable problème ? Qui peut nier en effet que les discriminations existent aussi dans l’entreprise ? Parce qu’elles heurtent les valeurs morales et nuisent à leur bon fonctionnement et à leur croissance, les grandes entreprises se sont engagées depuis longtemps dans la prévention des discriminations : elles ont mis en place des outils de recrutement pour lutter contre les risques de stéréotypes et lancé des testings. Car les principales armes contre les discriminations, ce sont d’abord l’information, la formation et la sensibilisation. Mais la prévention ne peut constituer la seule réponse : les victimes de ces discriminations doivent pouvoir faire valoir leurs droits. D’où l’initiative du gouvernement d’introduire l’action de groupe dans le champ des discriminations, après l’avoir mis en œuvre en matière de consommation, de concurrence et de santé. Les grandes entreprises ne sont pas hostiles par principe à la mise en place de cette nouvelle voie de recours. Elles appellent cependant à un encadrement rigoureux du dispositif afin d’éviter les dérives constatées dans les pays où il est en vigueur. Premièrement, la voie privilégiée de résolution des contentieux dans l’entreprise doit être le dialogue social. Le projet de loi prévoit que l’action de groupe ne peut intervenir qu’à l’issue d’un échange entre l’employeur et les représentants du personnel. C’est essentiel. Deuxièmement, la capacité à agir doit être strictement définie. Le texte est trop peu exigeant pour les associations : un agrément au niveau national est nécessaire, reconnaissant leur expérience et leur représentativité. Troisièmement, l’objectif prioritaire de l’action de groupe doit être la cessation du manquement : à tout le moins, la réparation des préjudices moraux doit rester exclue, compte tenu du caractère par définition très individuel de ce type de préjudice. Enfin, les dispositions de l’action de groupe ne peuvent s’appliquer qu’aux seuls manquements postérieurs à la promulgation de la loi. C’était la position initiale du gouvernement, malheureusement modifiée par les députés en commission. Nous souhaitons son rétablissement.

Patrick Gohet Adjoint au Défenseur des droits chargé de la lutte contre les discriminations.

Un recours collectif, ou class action, est une action en justice ou une procédure qui permet à un grand nombre de personnes de poursuivre une personne morale, une entreprise ou une institution publique, afin d’obtenir une indemnisation financière. Ce moyen procédural a l’avantage d’opérer la fusion de plaintes individuelles en un procès unique. Il facilite l’accès au droit des demandeurs en comblant l’inégalité de moyens qui existe souvent avec le défendeur. Il permet d’éviter l’encombrement des tribunaux en cas de contentieux de masse.

Le Défenseur des droits s’est vu confier par la loi organique du 29 mars 2011 la mission de lutter contre les discriminations, notamment dans l’emploi. Dans ce cadre et pour renforcer l’effectivité des recours dans ce domaine, le Défenseur des droits a pris officiellement position à plusieurs reprises en faveur de la création d’un dispositif de recours collectif en matière de lutte contre les discriminations. Il en va ainsi de l’avis du 15 juin 2015 dans le cadre de la proposition de loi Hammadi et de celui du 28 octobre 2015 concernant le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du xxie siècle. En effet, un tel dispositif procédural pourrait constituer un outil efficace permettant une augmentation du nombre de saisines, toujours trop faible eu égard à la réalité des discriminations.

Afin d’assurer l’efficacité de cette procédure, le Défenseur des droits attire l’attention sur trois points principaux. Son champ d’application, d’abord, doit être suffisamment large pour couvrir tous les critères de discrimination. L’action de groupe doit être, ensuite, largement ouverte aux victimes de discriminations et non se limiter aux relais syndicaux et associatifs comme le propose le projet de loi dans le souci de prévenir le risque de recours abusif. Enfin, il convient de scinder la procédure d’action de groupe en deux étapes. La première consistant en la qualification par le juge de la recevabilité de la demande et la seconde en l’examen au fond du dossier. Un tel découpage en deux temps permettrait le règlement du litige par voie de médiation ou de transaction à la suite de la première étape.

Ce qu’il faut retenir

//Le projet de loi sur la justice du xxie siècle introduit la possibilité d’actions de groupe contre les discriminations dans l’emploi, portées par des syndicats et/ou des associations. Il élargit une voie procédurale récente dans l’Hexagone, pour l’instant circonscrite au droit à la consommation.

// Étrangère à la tradition procédurale française (attachée au caractère personnel du recours au juge), l’action de groupe a longtemps buté sur la crainte de judiciariser les relations de travail et de susciter des contentieux « à l’américaine ». Avec, à la clé, de très lourdes condamnations. En 2003, la marque Abercrombie & Fitch a par exemple dû payer 50 millions de dollars pour avoir refusé l’embauche de femmes et de personnes issues de minorités.

// Les contentieux liés aux discriminations dans l’emploi restent très faibles, en dépit de la persistance avérée des pratiques délictueuses. Enjeu de l’action de groupe : lever les freins aux recours en justice.

En chiffres

54,3 % des dossiers en réclamation adressés au Défenseur des droits portent sur l’emploi, dans le public ou le privé. Ce qui représente 2 631 saisines.

Source : rapport annuel 2015 du Défenseur des droits.