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La RSE, un levier de bonnes pratiques RH ?

À la une | publié le : 02.05.2017 | Lucie Tanneau

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La RSE, un levier de bonnes pratiques RH ?

Crédit photo Lucie Tanneau

Appliquer des valeurs éthiques à tous les niveaux de l’entreprise : la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) encourage depuis une quinzaine d’années une gestion des ressources humaines plus respectueuse de l’homme. Au-delà des valeurs, quelles avancées réelles ?

Il ne se passe pas une semaine sans qu’un nouveau classement RSE ne paraisse. Plus un mois sans qu’une table ronde ne débatte de ses enjeux. Mais que renferme exactement la responsabilité sociétale des entreprises et a-t-elle, depuis sa création, amené des avancées concrètes en entreprise ? La définition de la RSE est large. Selon la Commission européenne, la RSE est « un concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales et environnementales dans leurs activités et dans leur interaction avec leurs parties prenantes ».

Le site du ministère français du Développement durable – et non du Travail – précise qu’elle est la « responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et de ses activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement transparent et éthique ». L’article 116 de la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques prévoit que les entreprises cotées en Bourse indiquent dans leur rapport annuel « une série d’informations relatives aux conséquences sociales et environnementales de leurs activités ». La RSE comporte avant tout des obligations en termes de reporting, assez peu en termes d’action. Elle se base sur trois piliers : environnemental, économique et social. « On retrouve l’humain et les ressources humaines dans quatre des sept chapitres de la RSE, analyse Christophe Gotteland, consultant en développement durable et RSE. Dans la gouvernance, avec la notion d’exemplarité. Au niveau des droits de l’homme, où les entreprises peuvent aller plus loin que le droit du travail, particulièrement à l’international. Dans les relations et conditions de travail. Et dans l’ancrage territorial de l’entreprise. »

Code de bonne conduite.

Concrètement, si la notion de responsabilité sociétale est évoquée dès les années 1950, sans en porter le nom, les entreprises se dotent de chartes ou codes de conduite depuis la fin des années 1990, voire au milieu des années 2000 dans le domaine des RH. Souvent mis en avant dans leur communication, ces codes définissent les valeurs éthiques défendues. Équilibre vie privée/vie professionnelle, sécurité au travail, égalité des chances, égalité salariale, qualité de vie, implication dans les décisions stratégiques, entreprise libérée… « L’Oréal, Lafarge ou Total ont par exemple adopté des limites d’âge en dessous desquelles les enfants ne peuvent pas travailler », éclaire Emmanuelle Mazuyer, enseignante en droit à Lyon 2 et spécialiste de la RSE. Chez Total, le code de conduite, disponible en 19 langues sur le site, affirme « protéger la santé » des collaborateurs. Le groupe français dit mener « des actions de sensibilisation et de prévention pour limiter le plus possible les accidents du travail et les maladies professionnelles », et être attentif « aux conditions de travail de ses collaborateurs, notamment en ce qui concerne le respect des personnes ».

Dans son plan Santé & Sécurité, le groupe Lafarge vise quant à lui « le zéro accident, et un taux de 0,1 en matière de maladie professionnelle » et au niveau de la Diversité, « atteindre un taux de 30 % de diversité de genre à tous les niveaux managériaux ». Pour accompagner la carrière des femmes, Essilor et Danone investissent dans de nouvelles mesures plus inclusives. Orange ou McDonald’s passent eux par le mécénat. Les fondations aident par exemple des enfants hospitalisés. « La RSE propose un projet à long terme avec un nouveau modèle économique, un management plus horizontal et un nouveau mode de gouvernance plus éthique et transparent », résume Constant Calvo, consultant spécialisé du cabinet Adhere-RH. Elle a, en outre, un intérêt pour renforcer la « marque employeur » pour motiver les salariés et attirer les jeunes générations. Dans le business, elle permet aussi de remporter des appels d’offre, parfois soumis à des critères RSE.

Social washing.

Si la multitude de classements RSE pourrait permettre d’analyser les démarches éthiques des entreprises, les gagnants sont en fait rarement comparables. « C’est toute la difficulté du sujet, confirme Sylvain Boucherand, cofondateur de B& L évolution, qui conseille les entreprises en RSE. Les classements révèlent une partie de l’information, mais ne peuvent jamais être fiables ou exhaustifs. » Leur fiabilité dépend de leur source. « Personne ne gagne un classement en ne faisant rien, mais il reste difficile de voir si la démarche est globale, met en garde Sylvain Boucherand. Tous les labels que je connais ont un jour été pris en défaut. »

Selon l’Orse (Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises), « en 2016, les équipes RSE affichent un rattachement privilégié aux organes de direction des entreprises (38 % à la présidence ou à la direction générale), seules 18 % sont rattachées au service des ressources humaines ». « La RSE est embryonnaire et c’est encore plus vrai dans les RH », assure Constant Calvo. Si aujourd’hui, la majorité des grandes entreprises ont une démarche RSE, les outils restent rares dans les PME et TPE. « Quand on voit les discriminations au travail, les inégalités salariales ou d’origine, les questions de santé ou de bien-être, toujours posées, celle de l’égalité homme-femme… Où est la RSE ? Le constat est accablant ! », regrette-t-il.

Depuis la fin des années 2000, la RSE au niveau environnemental est critiquée. « Green washing », accusent ses détracteurs. Au niveau des RH, certains évoquent un « social washing ». « La RSE ? C’est un ensemble de choses qui existent déjà… en plus flou ! », acquiesce Pascal Pavageau secrétaire confédéral Force ouvrière. « Un accord sur le temps de travail : je sais ce que c’est, un accord sur l’égalité homme-femme : je sais ce que c’est, mais un accord sur la RSE : je ne sais pas ! », résume-t-il. Pour lui, « la pastille RSE, c’est du bla-bla : un bon RH a toujours été un RH qui négocie, qui reçoit les syndicats, et ça, ça existait avant la RSE ». Beaucoup de spécialistes s’accordent à dire que la communication a parfois remplacé les faits. « Il y a beaucoup de déclaratifs, d’intentions… mais peu de résultats », regrette ainsi Constant Calvo. « J’aimerais dire que la RSE fait évoluer le dialogue social, mais ce n’est pas le cas. Pour autant, le gouvernement ne veut pas obliger les entreprises à publier des statistiques pour qu’on puisse les juger sur des faits », ajoute-t-il. Pour défendre la cause des salariés handicapés, seule la loi (6 % des salariés handicapés dans les entreprises de plus de 20 personnes) a permis d’avancer, la RSE n’a jamais eu les mêmes résultats. « Même si depuis les années 2000, les attentes des salariés sont parfois prises en compte, il faut toujours avoir en tête que les engagements RSE restent à l’initiative de l’employeur », insiste Benjamin Dubrion, maître de conférence en sciences économiques à l’IEP de Lyon.

Dérives sociales.

« Pour les bons élèves, la RSE n’a rien changé. Pour les autres, elle peut être une façon de faire pression et donc de faire avancer les choses, nuance Geoffroy de Vienne, conseiller du président de la CFTC. Les associations et ONG épluchent les rapports et vérifient les faits : les entreprises risquent une condamnation par l’opinion publique si les faits ne sont pas en adéquation avec le discours ! » La RSE ne fait cependant pas automatiquement des entreprises engagées de bonnes élèves. D’autant moins que les entreprises choisissent les thématiques sur lesquelles elles s’engagent.

Paradoxalement, la RSE conduit parfois à des dérives. Plus que le « gloubiboulga », FO dénonce un vide. « En France, 93 % des salariés sont couverts par une convention collective ou un statut, donc nous n’avons pas besoin de droit mou : on a déjà un droit du travail », explique Pascal Pavageau. « Le plus souvent, ce que les entreprises appellent RSE est déjà contenu dans le droit du travail, notamment les questions d’accompagnement des jeunes ou des seniors », complète Benjamin Dubrion. La juriste Emmanuelle Mazuyer va plus loin : pour elle, la RSE peut être un « contournement du droit » et une nouvelle source de « contraintes » pour le salarié (lire encadré).

Malgré les critiques, la responsabilité sociétale des entreprises amène des avancées à l’international. « Le fait que les entreprises s’engagent à travailler avec des sous-traitants qui n’emploient pas d’enfants, c’est intéressant, et ça peut rendre fiers les salariés en France », encourage Pascal Pavageau. Dans les pays où le Code du travail est moins exigeant, la RSE peut amener les entreprises à progresser. L’Oréal a par exemple fait le choix d’internationaliser sa politique RH : les salariés à l’étranger ont accès aux mêmes dispositifs que les salariés en France.

Un vrai rôle pour les RH.

Reste que souvent, les salariés sont très peu impliqués. « On retrouve les freins à la conduite du changement : ce n’est pas parce qu’on donne aux employés les clés du camion qu’ils se mettent à conduire », illustre Christophe Gotteland. Surtout qu’ils ont rarement les clés : « Seuls 3 % des salariés interrogés sont capables de donner une définition claire et globale de la RSE », constate l’étude Engagement des salariés dans le durable, menée en 2016 par Des enjeux et des hommes et Ekodev, avec l’institut ViaVoice. La prise de conscience globale n’a toujours pas eu lieu : là est l’enjeu de la RSE aujourd’hui. « Si les entreprises veulent durer, il faut qu’elles prennent leurs responsabilités », confirme Geoffroy de Vienne.

Un enjeu particulièrement important pour les RH, qui pourraient y jouer leur survie. « Menacés par la robotisation et l’externalisation de leurs fonctions, les DRH ont intérêt à utiliser la carte RSE, défend Constant Calvo. C’est une chance historique pour retrouver une réelle légitimité, mais ils doivent se former : il y a 70 ou 80 points sur lesquels ils peuvent avoir un effet. » « La RSE est un moyen d’attirer les talents : un vrai rôle pour les RH, cite en exemple Sylvain Boucherand. Les DRH ne sont pas encore tous sensibilisés, mais la RSE est au programme des écoles de commerce, ou de Sciences Po… dans une dizaine d’années, tout le monde sera dans le coup. » À condition que la RSE ne soit pas alors déjà dépassée par une nouvelle mode managériale.

Les salariés souhaiteraient s’impliquer davantage

Les salariés français sont sensibles à la politique RSE de leur entreprise. Si elle est réelle, elle leur permet de se projeter sur le long terme. « Mon travail fait-il progresser la société ? C’est une question qui a son importance », souligne Laurent Labbé, PDG et fondateur du site Meilleuresentreprises.com. Selon l’étude 2016 des cabinets Ekodev et Des enjeux et des hommes réalisée en partenariat avec l’institut ViaVoice, pour 41 % des salariés, la RSE permet de donner du sens à leur activité et de se réaliser. 37 % d’entre eux estiment que la RSE est une façon de prendre des responsabilités et d’être reconnu en interne. Six salariés sur dix souhaiteraient être davantage impliqués dans la démarche RSE de leur entreprise.

« La qualité de vie au travail est une condition de succès. 60 % des entreprises ne font pas encore le lien entre RSE et réussite du business. Les entreprises impliquent encore trop timidement leurs salariés », constate Agnès Rambaud-Paquin, directrice associée du cabinet Des enjeux et des hommes. Pourtant, les entreprises feraient bien de prendre garde. Car les salariés français sont de plus en plus sensibles au développement durable notamment. Sans oublier le fait qu’ils aiment leur travail et ont le sentiment de le faire bien.

« Aujourd’hui, ce que pensent les salariés de leur entreprise se dévoile sur les réseaux sociaux. L’entreprise se doit d’être attractive si elle veut continuer à attirer de nouveaux talents. » Certains prennent les devants. C’est le cas de Schneider Electric, qui interroge chaque trimestre ses collaborateurs afin de connaître leur degré de satisfaction, de confiance et de bien-être.

Valérie Auribault

Auteur

  • Lucie Tanneau