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La générosité bien ciblée des entreprises du CAC 40

Décodages | publié le : 02.05.2017 | Rozenn Le Saint

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La générosité bien ciblée des entreprises du CAC 40

Crédit photo Rozenn Le Saint

Sanofi, Total et Vivendi sont les sociétés françaises cotées qui ont reversé le plus de dividendes à leurs actionnaires en 2016. Pour autant, les augmentations salariales restent minimes et les partenaires sociaux sont impuissants face aux montants décidés à l’avance.

Le printemps sonne l’heure des assemblées générales en grande pompe des fleurons du CAC 40. Où à présent, les actionnaires ont leur mot à dire sur la rémunération des PDG et hauts dirigeants, en vertu de la loi Sapin 2… Mais à titre consultatif seulement. C’est le moment pour quelques actionnaires récalcitrants ou salariés en lutte de comparer les salaires exorbitants de leur patron et le résultat des négociations annuelles obligatoires (NAO) qui frôle de plus en plus souvent le niveau zéro. À l’inverse, en 2016, les dividendes versés aux actionnaires des grandes entreprises françaises ont fait un bond de 11,8 % par rapport à 2015 : les heureux bénéficiaires se sont partagés 51,4 milliards d’euros. Avec, sur le podium, le laboratoire pharmaceutique Sanofi, qui a distribué 6,6 milliards d’euros de dividendes ; le pétrolier Total – 5,9 milliards d’euros versés – et le groupe de médias Vivendi – 5,5 milliards d’euro alloués. Aucune de ces directions n’a souhaité répondre à nos questions.

Parmi le trio de tête des entreprises du CAC 40 les plus généreuses avec leurs actionnaires en 2016, Olivier Brandicourt, patron de Sanofi, remporte aussi la médaille d’or s’agissant de sa rémunération, qui a atteint 16,8 millions d’euros en 2015. Près des trois quarts sont des actions et options : il bénéficie donc personnellement de l’augmentation des dividendes… Beaucoup plus loin, Patrick Pouyanné, à la tête de Total, a tout de même touché 4,8 millions d’euros en 2016. Enfin, Arnaud de Puyfontaine a dirigé Vivendi pour 3,7 millions d’euros en 2016, soit 10 % de plus que l’année précédente. Par ailleurs, les salaires fixes des cinq membres du directoire de la maison-mère de Canal+ et Universal ont progressé de 33 à 41 % en 2016. « Cela donne l’impression aux salariés qu’une élite s’approprie les richesses qu’ils produisent. Il s’agit d’une dérive dans la culture des chefs d’entreprise liée à l’internationalisation des groupes : ils ne comparent plus leur rémunération aux dirigeants nationaux mais à ceux des concurrents américains ou autres », analyse Loïc Dessaint, directeur général de Proxinvest.

NAO proches de zéro

Concernant l’enveloppe attribuée pour les augmentations 2017 lors des dernières NAO, Total est la plus généreuse avec… 0,7 % d’augmentation collective attribuée pour ses cadres, 1 % pour ses employés et ouvriers. Et environ 1 % d’augmentation individuelle. Résultat, la moitié des salariés ne touche rien. Bien loin des près de 25 % d’augmentation que Patrick Pouyanné s’est lui-même octroyés de 2015 à 2016. En incluant les 60 000 actions « de performance » qu’il s’est également auto-attribuées, il a bénéficié d’une rémunération qui atteint 6,4 millions d’euros. « Les résultats de Total en France ne sont pas mirobolants, les salariés sont déjà favorisés en obtenant une augmentation de leur rémunération », estime quant à lui Denis Falcimagne, directeur de projets de l’association libérale Entreprise et Personnel, spécialiste des rémunérations. Chez Sanofi et Vivendi, comme ces dernières années, aucune augmentation collective n’a été concédée. Seulement 1,5 % a été arraché pour les augmentations individuelles chez le géant pharmaceutique. Rien chez le ponte du divertissement.

De quoi hérisser les cheveux des représentants syndicaux qui établissent inévitablement le lien avec les augmentations des rémunérations des actionnaires et des dirigeants. Le 6 mars 2017, Vincent Bolloré a atteint le seuil de 25 % des droits de vote de Vivendi en détenant plus de 20 % du capital de la société. « Il a un intérêt personnel à voir augmenter les dividendes. Un cinquième va directement dans sa poche », note Francis Kandel, représentant de la CGT au comité d’entreprise de Canal+, filiale de Vivendi. « Jusqu’à présent, il n’y avait pas vraiment de parallèle de fait entre les dividendes reversés et les salaires, tant que l’ensemble du personnel avait sa part du gâteau, c’était du gagnant-gagnant, relate quant à lui Laurent d’Auria, délégué syndical +libres, majoritaire à Canal+. Quand on sait que les salariés qui gagnent moins de 2 000 euros par mois doivent se serrer la ceinture maintenant, cela scelle le divorce. »

Communication financière.

Pour Loïc Dessaint, de Proxinvest, « dans les conseils d’administration des sociétés cotées, on ne se penche pas sur la politique RH. La masse salariale est considérée comme un coût, une ligne du budget à gérer chaque année ». Hors de question de faire participer toutes les parties prenantes à la création de richesse : les entreprises versent des dividendes avant même d’avoir créé des profits, comme Total qui a maintenu son dividende à 2,44 euros par action alors que son résultat net est passé de 13 à 5 milliards. Et ce « car l’action a vocation a être utilisée comme instrument de communication financière. Les directions ont l’impression que si elles baissent leurs dividendes, cela donne au marché le signal qu’elles sont moins confiantes », traduit l’expert de la finance.

À l’inverse, ne pas trop augmenter les salariés semble lancer des signaux positifs au marché. « C’est une façon pour les entreprises de dire aux actionnaires qu’elles font attention aux coûts. Or à moyen terme, c’est dangereux car cela joue inévitablement sur la motivation des salariés », estime Loïc Dessaint. Parmi les trois leviers permettant d’associer les salariés au développement de l’entreprise, le premier, l’augmentation salariale, est donc en berne. Le deuxième, la participation, – obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés –, et l’intéressement, courant dans les grandes entreprises, jouent un peu. « Dans tous les cas, le salarié est favorisé à travers la participation », ne manque pas de souligner Denis Falcimagne, d’Entreprise et Personnel. Sauf que chez Vivendi, les quatre syndicats représentatifs, +libres, la CGT, la CFDT et la CFE-CGC ont déposé une requête le 5 avril 2017 au tribunal de grande instance de Nanterre contre la direction qui « a refusé d’appliquer l’accord d’intéressement 2016 », indique Laurent d’Auria, représentant de +libres*. Or l’intéressement et la participation représentent entre un et un mois et demi de salaire pour les plus petites rémunérations de l’entreprise. « Depuis une dizaine d’années, c’était devenu un élément primordial du package salarial », rappelle le délégué syndical.

La carotte de l’actionnariat salarié

Enfin, le troisième levier est le seul qui semble intéresser un minimum le conseil d’administration : le don d’actions ou l’actionnariat salarié, avec la question latente de l’augmentation de la part des employés dans le capital. Fin 2015, le personnel de Total détenait 4,9 % du capital de l’entreprise ; 3,26 % pour celui de Vivendi et 1,28 % pour celui de Sanofi. De quoi nourrir l’argumentation des directions pour justifier l’augmentation des dividendes : grâce à l’actionnariat salarié, le personnel bénéficie aussi de cette hausse. C’est devenue la carotte privilégiée pour faire avancer les salariés. D’où « les nombreuses décotes proposées aux salariés pour les encourager à devenir actionnaires », éclaire Loïc Dessaint, l’expert en finances. « Sanofi aimerait passer la barre des 2 % d’actionnariat salarié alors que ce qui nous importe, nous, ce sont les augmentations de salaire », peste Sandrine Caristan, employée en R& D sur le site montpelliérain de Sanofi. Chaque année, la direction envoie un fascicule aux salariés à l’issue des NAO qui synthétise les différents éléments de rémunération, « pour noyer le poisson du zéro pour cent d’augmentation collective », selon elle.

D’autant plus que miser principalement sur les dividendes représente un risque pour le salarié. « Si le groupe se plante et que son patrimoine n’est pas diversifié, il peut tout perdre : son emploi et son patrimoine », met en garde Loïc Dessaint. Et cela représente même, à plus long terme, un risque pour l’entreprise elle-même si « la distribution des bénéfices aux actionnaires se décide au détriment des investissements », prévient-il. Reste que l’un des avantages de l’actionnariat salarié est d’accorder un poste au conseil d’administration de l’entreprise aux représentants des salariés actionnaires, qui s’intègrent alors à la gouvernance. à défaut de décider, ils peuvent se montrer actifs et réaliser des contre-propositions au « tout dans les dividendes ». « Nous avons délaissé l’actionnariat salarié, confesse Laurent d’Auria, délégué syndical de la filiale de Vivendi. Mais maintenant que tous les autres éléments de rémunération sont en panne, nous allons nous y pencher sérieusement. »

Simulacre de négociations.

Si la redistribution de la valeur ajoutée aux actionnaires et la rémunération du dirigeant choque particulièrement chez Sanofi, cela ne pèse en rien dans les négociations, selon les représentants syndicaux de tout bord. « Nous objectons l’argument du partage de la valeur ajoutée mais la direction n’accorde aucune importance à la juste répartition entre les salariés et les actionnaires, déplore Jean-Marc Burlet, délégué syndical de la CFE-CGC du géant pharmaceutique. Le vrai argument que l’on utilise est celui des résultats de l’entreprise : ils ne peuvent pas rien nous accorder compte tenu de ces bons résultats. » Les représentants syndicaux dénoncent à l’unisson un simulacre de négociations : deux réunions ont eu lieu les 20 décembre 2016 et 18 janvier 2017. « Le 25 janvier, un message informait les salariés qu’au terme de ces échanges, la direction et les syndicats ne sont pas parvenus à se mettre d’accord, un texte rédigé avant même la fin des négociations », râle Olivier Genieys, délégué syndical Sud Chimie, qui fait partie du collectif Antisanofric.

Tout comme Sandrine Caristan qui regrette de ne pas disposer de quoi rehausser le salaire de tous les membres de son équipe, qui a été performante dans son ensemble, avec l’enveloppe d’augmentations individuelles qui lui est concédée. « Des salariés s’entretuent pour quelques dizaine d’euros de plus par mois », regrette-t-elle. Elle a seulement pu octroyer 37,5 euros bruts par mois d’augmentation à l’un et 58 euros à l’autre avec son enveloppe de 0,92 %. Tous deux raillent la direction, qui a publié sur l’intranet une vidéo sous forme de dessin animé « pour expliquer que pour Sanofi, ce qui compte, c’est le « cash flow » : nous l’avions bien remarqué, on nous prend pour des neuneus ! », rit jaune Sandrine Caristan. Chez le roi du pétrole, le « cash flow » est aussi le maître mot, selon éric Sellini, représentant de la coordination CGT Total. « Le dividende est sanctifié, tout est fait pour qu’il soit augmenté alors que des mesures drastiques de réduction des coûts et de rigueur salariale pèsent sur le personnel. Nous le déplorons systématiquement lors des négociations mais nous ne sommes pas entendus », regrette-t-il. Chez les trois fleurons tricolores, le même sentiment d’impuissance règne face aux montants des augmentations salariales décidés à l’avance.

En chiffres

Distribution des dividendes en 2016 :

Total : 5,9 milliards d’euros

Sanofi : 6,6 milliards d’euros

Vivendi : 5,5 milliards d’euros

Rémunération annuelle des PDG :

Total : Patrick Pouyanné : 4,8 millions d’euros (2016)

Sanofi : Olivier Brandicourt : 16,8 millions d’euros (2015)

Vivendi : Arnaud de Puyfontaine : 3,7 millions d’euros (2016)

Résultat des NAO 2016 :

Total : entre 0,7 % pour les cadres et 1 % pour les employés/ouvriers d’augmentation collective.

De 0,9 et 1 % de la masse salariale en fonction des catégories d’augmentation individuelle.

Sanofi : 0 % d’augmentation collective, 1,3 % d’augmentation individuelle.

Vivendi : 0 % d’augmentation collective, 0 % d’augmentation individuelle.

Part du capital détenue par les salariés à fin 2015 :

Total : 4,90 %, Sanofi : 1,28 %, Vivendi : 3,26 %

* Le dossier est jugé le 2 mai 2017.

Auteur

  • Rozenn Le Saint