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Les salariés en politique un enjeu émergent

À la une | publié le : 05.06.2017 | Nicolas Lagrange

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Les salariés en politique un enjeu émergent

Crédit photo Nicolas Lagrange

Difficile de s’impliquer en politique quand on est salarié du privé. Une situation qui pourrait évoluer, sous l’impulsion de grandes entreprises et de mouvements politiques. À condition de surmonter de nombreux écueils.

Quels seront les profils de nos 577 députés, à l’issue des élections législatives des 11 et 18 juin ? Une chose est sûre : l’hémicycle devrait accueillir une proportion non négligeable d’élus dont les professions n’étaient jusque-là pas représentées. Il est vrai que de nombreux parlementaires sortants ont jeté l’éponge. Et qu’un grand nombre de citoyens sans mandat électif ont proposé leurs services… rencontrant cette fois un écho plus favorable. Au sein de La République en marche, par exemple, ou de 577 Les Indépendants de la droite et du centre, un mouvement porté par Jean-Christophe Fromantin, député-maire de Neuilly et ex-chef d’entreprise : « Il faut déverrouiller l’idée selon laquelle la politique serait réservée aux professionnels de la politique, aux fonctionnaires et aux professions libérales. Quand je me suis présenté aux législatives et aux municipales en 2007 et 2008, on me disait que j’étais illégitime. Aujourd’hui, la bascule est en train de se produire. D’ailleurs, sur la centaine de candidats de notre mouvement, un tiers sont entrepreneurs, un tiers salariés, et le tiers restant regroupe des responsables associatifs, des jeunes retraités et des fonctionnaires. »

Davantage de salariés exerçant des mandats politiques ? Plusieurs grands patrons défendent cet objectif, pour diversifier la représentation politique mais aussi favoriser une meilleure prise en compte des contraintes des entreprises. Car les chiffres sont éloquents : la dernière Assemblée, élue en 2012, comptait 200 fonctionnaires et 78 professionnels libéraux, bien au-delà de leurs poids démographiques respectifs… Sans compter les professionnels de la politique et les retraités, un certain nombre d’élus relevant de ces deux catégories. A contrario, on ne croisait dans les travées du Palais-Bourbon que 15 ingénieurs, un représentant de commerce et un salarié agricole ! Si le profil des maires est plus diversifié, un tiers d’entre eux est retraité, pour un âge moyen de près de 57 ans. Et l’on ne compte que 3 % d’ouvriers à la tête des municipalités et 0,3 % dans les conseils départementaux… alors que les cols bleus représentent près de 12 % de la population. Le médiatique Philippe Poutou, salarié de Ford et candidat à la présidentielle, constitue donc l’exception.

Pas toujours bienveillant

De fait, s’engager en politique peut être un chemin semé d’embûches pour des salariés du privé, même si les dispositions légales, enrichies par la loi du 31 mars 2015, prévoient quelques garanties (lire l’encadré). Première difficulté : le regard de l’employeur, de la hiérarchie voire des collègues, pas toujours bienveillant. Deuxième frein : l’articulation compliquée entre l’activité professionnelle, l’exercice du mandat et la vie personnelle. Si un conseiller municipal est surtout sollicité le soir ou le week-end, un conseiller départemental ou régional doit s’absenter en journée. C’est un droit reconnu pour tous les salariés élus, certes, mais pas toujours simple à exercer. Idem pour les mandats exercés à temps plein, au Parlement ou dans des grandes collectivités, plus accessibles aux fonctionnaires via le détachement, aux retraités, aux chefs d’entreprise et aux professionnels libéraux. Tandis que les salariés peuvent craindre un retour difficile dans l’entreprise.

Pour lever ces difficultés, le P-DG de Michelin, Jean-Dominique Senard, conseiller municipal de Saint-Rémy-de-Provence dans les années 1990, est le premier grand patron à réagir. En décembre 2014, il prend publiquement position pour valoriser l’engagement politique des salariés de son groupe et instaure plusieurs dispositions supralégales. Edgard Added, président du groupe RH&M, prolonge l’initiative avec un think tank, le Cercle de l’excellence RH, et un Manifeste pour l’engagement citoyen des entreprises et de leurs salariés, publié en septembre 2015. Une contribution signée par une dizaine de patrons de grands groupes, dont ceux de Michelin, Atos, ADP, Bouygues ou Saint-Gobain. À la clé, 18 propositions, dont la possibilité d’abonder les RTT de salariés exerçant des mandats politiques ou la création d’un fonds inter-entreprises pour compenser les pertes de salaires éventuelles. Près de deux ans plus tard, plusieurs dispositifs intéressants ont vu le jour (lire page 26).

Impacts économiques

« Il s’agit de démarches très positives, estime François Hommeril, président de la CFE-CGC. Elles contribuent à une meilleure représentativité de nos différentes assemblées, à une meilleure connexion avec le réel et avec les entreprises. Mais certains groupes seraient bien inspirés de manifester le même engouement pour faciliter les carrières syndicales. » Une remarque partagée par Yves Veyrier, secrétaire confédéral FO, qui estime en outre que « l’entreprise doit s’assurer de la neutralité de sa démarche. Oui, il faut améliorer l’accès des salariés à des mandats politiques, mais sans aller jusqu’à les inciter ouvertement ou les influencer. Le cadre légal mériterait sans doute d’être précisé pour réduire les risques de conflit d’intérêts. » Le président de CroissancePlus, Jean-Baptiste Danet, est d’accord : « Faciliter, oui. Inciter, non ! » L’entreprise doit-elle valoriser toutes les formes d’engagement politique ? Le point fait débat. Plusieurs chartes insistent sur la neutralité absolue de l’entreprise et sur sa bienveillance systématique à l’égard des salariés intéressés par la chose publique. Mais le président du Cercle de l’excellence RH, Stéphane Roussel, justifie que l’employeur puisse refuser certaines demandes d’aménagement, au nom de son droit de regard sur la cohérence du projet du salarié avec les valeurs de l’entreprise. Le plus souvent, c’est l’exercice des mandats politiques comportant un certain niveau de responsabilité qui est encouragé par les chartes internes. Plus rarement les mandats de conseillers municipaux. Quant à l’engagement à temps partiel dans un mouvement politique, aucune entreprise ne le facilite, à notre connaissance. Probablement par crainte d’être suspectée d’entrisme ou de soutien politique.

Autre interrogation : quid des PME ? Doivent-elles, elles aussi, aider leurs salariés à exercer des mandats politiques ? « On ne peut imposer de nouvelles contraintes aux PME, considère Jean-Baptiste Danet. Bien sûr, ce serait préférable que les salariés engagés ne soient pas seulement ceux des grands groupes, car ils ont souvent une vision différente. Dès lors, il faudrait peut-être imaginer des systèmes de compensation pour éviter que les absences des salariés soient préjudiciables aux petites entreprises. » Une suggestion que ne rejette pas François Hommeril : « Une PME peut redouter une désorganisation et des impacts économiques. Il faut pouvoir l’aider financièrement. Parallèlement, il faut davantage valoriser l’engagement des salariés, quelle que soit la taille des entreprises. Or, les vocations resteront rares tant que les salariés n’auront pas la certitude que leur mandat sera automatiquement pris en compte dans leur évolution de carrière. »

Pour booster l’engagement politique des salariés et vaincre les réticences des employeurs, le mouvement Nous citoyens propose de financer un congé pré-électoral de trois mois pour les salariés candidats recueillant au moins 5 % des suffrages, et d’appliquer une exonération de charges sociales au retour du salarié pendant deux ans. D’ores et déjà, la limitation à trois mandats pour une même fonction, promise par Emmanuel Macron, accélérera peut-être le renouvellement de la représentation politique. Mais une seule mesure ne saurait suffire. Et il faudra vérifier, en cas de renouvellement avéré, si les ouvriers, employés et agents de maîtrise ont réussi à se faire une place, ou si les nouveaux venus en provenance de l’entreprise sont d’abord et avant tout des cadres, un cas de figure très fréquent aujourd’hui.

Les droits des salariés candidats ou élus

Les salariés candidats à un mandat politique bénéficient, pour faire campagne, d’un congé de 20 jours ouvrables pour les mandats parlementaires et de 10 jours ouvrables pour les autres mandats (excepté les mandats municipaux dans les villes de moins de 1 000 habitants). Un congé non rémunéré, amélioré par la loi du 31 mars 2015.

Lorsqu’ils sont élus, les salariés bénéficient d’autorisations d’absence (non rémunérées) pour se rendre aux réunions et y participer. Ils disposent aussi d’un crédit d’heures (non rémunéré), dont le montant varie en fonction du mandat : de 7 heures par trimestre à 140 heures pour les conseillers municipaux, selon la taille de la commune, et entre 105 et 140 heures par trimestre pour les conseillers départementaux ou régionaux, selon le niveau de responsabilité. Ils peuvent également se former, à hauteur de 18 jours sur la durée de leur mandat, sauf impératif de service justifié par l’employeur. Ces « salariés-élus » perçoivent parfois des indemnités de fonction (d’un montant très variable). Lorsque ce n’est pas le cas, ils peuvent prétendre, en cas de baisse de leurs revenus, à une compensation versée par leur assemblée ou collectivité. En outre, les salariés élus bénéficient désormais d’une protection contre le licenciement pour la plupart des mandats politiques, au même titre que les représentants du personnel.

Enfin, pour les salariés exerçant à temps plein certains mandats politiques de premier ordre, et dont le contrat de travail est suspendu, la loi prévoit un droit à réintégration dans l’entreprise sur un poste analogue assorti d’une rémunération équivalente, un stage de remise à niveau, un congé de formation ainsi qu’un bilan de compétences. Des garanties qui ne s’appliquent pas au-delà de deux mandats. Les parlementaires sans emploi après leur mandat perçoivent une indemnité dégressive durant au plus trois ans, tandis que les autres ex-élus peuvent prétendre à une allocation différentielle durant un an, en cas de revenus plus faibles ou de chômage.

N. L.

Les entreprises s’ouvrent aux élus

Pour rapprocher les entreprises et le monde politique, le Medef organise chaque année des stages en entreprise, qui sont en fait de courtes immersions proposées aux parlementaires. Même chose avec les membres de l’association Entreprise et Progrès, et du Centre des jeunes dirigeants, qui ont accueilli près de 70 parlementaires durant trois à cinq jours entre 2014 et 2016. L’Institut de l’entreprise, qui avait créé un cycle de rencontres entre parlementaires et grands patrons a désormais d’autres priorités.

À l’Assemblée nationale et au Sénat, plusieurs groupes d’études (dont celui dédié au PME) permettent des échanges réguliers, tandis que plusieurs associations de parlementaires, plus ou moins marquées politiquement, revendiquent un lien étroit avec le monde de l’entreprise, à l’instar de Génération entreprise-Entrepreneurs associés. À partir de la rentrée, CroissancePlus va organiser cinq matinées thématiques afin de croiser les points de vue entre les entrepreneurs de son réseau et les parlementaires.

N. L.

Auteur

  • Nicolas Lagrange