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Médiation : renouer les liens dans l’entreprise

À la une | publié le : 06.11.2017 | Lucie Tanneau

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Médiation : renouer les liens dans l’entreprise

Crédit photo Lucie Tanneau

Dans le crédit, la consommation ou l’énergie, la médiation est à la mode. L’entreprise n’y échappe pas. Un moyen de faciliter ou d’apaiser, les relations entre collègues, qui pourrait devenir un mode de gestion des organisations. À une condition : que la profession s’organise !

Outre-Rhin il aura fallu, après trois ans de conflits, l’intervention d’un médiateur pour que les pilotes de Lufthansa et la direction de la compagnie aérienne allemande se mettent d’accord. Les salaires seront revalorisés de 8,7 % d’ici à 2019. Alors que plus personne n’y croyait, l’avocat Gunter Pleuger a réussi à trouver un terrain d’entente. Dans l’Hexagone, c’est le député Laurent Grandguillaume qui a été appelé à la rescousse, l’an dernier, pour aider VTC et chauffeurs de taxis à sortir d’un face-à-face parfois violent. Au printemps dernier, en Picardie, un médiateur de la Dirrecte est intervenu au sein de l’usine Whirlpool, secouée par un PSE. Un accord a finalement été signé par les trois organisations représentatives et la direction. La médiation serait-elle la panacée ?

Ni pompier ni sauveur.

Oui, assurent en chœur les professionnels du secteur… « Sauf que les cas qui sortent dans la presse sont rarement de la médiation », prévient Gaëlle Walker. La déléguée régionale de l’Association nationale des médiateurs en Rhône-Alpes y voit plusieurs inconvénients majeurs : « Les médiateurs appelés dans ces cas-là sont non formés, experts du domaine, et rendent un avis avec une série de propositions ». Tout le contraire des règles en vigueur chez les médiateurs. Car depuis 2009, bien que peu structurée, la profession a sa déontologie. Parmi les principes de base : la confidentialité. Un autre mauvais point pour ces affaires décidément trop médiatisées. « Dans ces dossiers, les médiateurs interviennent en pompiers, ce n’est pas notre rôle », soulève Jean-Louis Lascoux, un des plus anciens de la discipline, qui a posé les bases de la médiation professionnelle dès 1999 et fondé l’École professionnelle de la médiation et de la négociation (EPMN) à Bordeaux. Ni pompier ni homme providentiel, le médiateur doit être neutre, indépendant et impartial. » La médiation est un processus de communication éthique, basé sur la responsabilité et l’autonomie des participants, en présence d’un tiers neutre, impartial et indépendant, visant à créer le lien, recréer le lien, prévenir, ou régler le conflit », selon la définition qu’en donne Guillaume Hofnung (Que sais-je La médiation, Éditions PUF).

De la famille à l’entreprise.

Encouragée en France par la loi du 8 février 1995 relative à la médiation judiciaire, la médiation s’est immiscée dans tous les pans de la société : famille, culture, consommation, crédit… et entreprise. Des « médiateurs des entreprises » ont même fait leur apparition dans les services de l’État en 2010 pour faciliter les relations entre donneurs d’ordre et fournisseurs partout en France. En interne, dans les grandes entreprises mais aussi les PME, la médiation est un moyen de faciliter les relations entre collègues. « On pense souvent aux cas de harcèlement, mais la médiation peut aussi être utile quand deux salariés ne s’entendent plus ou en cas de problème entre un salarié et son chef de service », cite en exemple Philippe Charrier, responsable pédagogique du Master Justice, Procès, Procédures, Médiation de l’Université de Lyon 2. « Je suis intervenue dans une entreprise de luxe. Une collaboratrice, également déléguée du personnel, et son nouveau chef de service ne s’entendaient pas du tout et le service en pâtissait. Il était américain et elle le jugeait incompétent parce qu’il ne parlait pas correctement français. De son côté, il trouvait qu’elle profitait de ses heures de délégations », raconte Maud Neukirch de Maistre, médiatrice professionnelle depuis 2011 et auteure de « Conflits : Prenez l’avantage » (Éditions Eyrolles, 2015). « En les amenant à se parler vraiment, le chef de service a compris que la délégation faisait partie du droit français, et la salariée en question s’est rendu compte que son manager était compétent dans son domaine et maîtrisait mieux qu’elle le pensait notre langue ! »

La faiblesse des syndicats pousse à la médiation.

Non résolu, ce type de conflit interpersonnel peut vite plomber l’ambiance dans un service, voire l’empêcher complètement de tourner. D’où l’intérêt de l’intervention d’un tiers, pour prendre le relais de chefs de service ou de professionnels RH dépassés par la situation. « Les managers sont de plus en plus des animateurs : ils ont du mal avec le côté disciplinaire. Avant, la régulation sociale passait par les collègues ou les syndicats, mais aujourd’hui vu l’état de décrépitude du monde syndical, le médiateur à un rôle à jouer pour apaiser les tensions », estime Philippe Charrier. Une analyse confirmée par les retours de terrain. « La médiation étant confidentielle, il n’existe pas de statistiques sur le nombre d’interventions en entreprise. Mais il y a dix ans, nous ne faisions que de la médiation commerciale. Or, aujourd’hui les conflits sociaux représentent 20 % de notre activité », note Sophie Henry. La déléguée générale du Centre de prévention et d’arbitrage de Paris attribue la forte croissance de la demande à la crise de 2008.

Autre accélérateur, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, (ou J21), votée en novembre 2016, promeut également les modes alternatifs de résolution des différends (lire encadré). « En judiciaire, les salariés sont souvent sortis de l’entreprise. En conventionnel, on intervient en prévention s’il y a des difficultés au sein d’une équipe ou entre équipes », indique Maud Neukirch, fondatrice du cabinet Avenir médiation. Elle est ainsi intervenue dans un conflit entre un animateur de télévision connu et sa chaîne : « Les parties ont réussi à trouver un accord pour se séparer en évitant un long et coûteux procès, dont ils n’auraient pas maîtrisé la solution », explique-t-elle. « De plus en plus d’entreprises pensent à nous en cas de conflits, mais c’est surtout la crainte d’un procès qui nous les amène », confirme Gaëlle Walker.

Un gros avantage financier.

Une procédure évitée, c’est le premier des avantages de la médiation qui en présente bien d’autres. En termes financiers, la médiation coûte beaucoup moins cher qu’un procès. « En moyenne 2 500 euros pour une médiation d’une dizaine d’heures, contre au moins 10 000 euros pour un contentieux », selon les professionnels. Et combien de mois, voire d’années gagnés ? En détail, une mission commence souvent par « un entretien d’information d’une heure et demie par partie, puis se poursuit par deux ou trois réunions plénières de trois heures chacune pour les amener à se parler », détaille Maud Neukirch. Des sessions assez courtes pendant lesquelles les salariés en conflit reformulent leurs rancœurs, afin de mieux se comprendre et de trouver une sortie de crise. C’est un autre atout mis en avant par les professionnels. « Le médiateur est un agent. Il n’apporte pas de recettes toutes faites, mais montre aux salariés qu’il existe d’autres modes de communication – ce qui n’est pas le fort de l’entreprise – afin qu’ils trouvent leur solution », observe Philippe Charrier. La confidentialité garantit la sérénité des échanges : les salariés peuvent refuser le principe de la médiation ou échouer à la fin du processus amiable. Dans ces cas-là, le médiateur avertira la direction de la fin de son intervention, sans qu’aucune des parties ne soit incriminée.

Pas de diplôme d’état.

« Les salariés ont tout intérêt à accepter la médiation, du moins à la tenter », assure Maud Neukirch. D’une part, « parce que si l’entreprise propose cette solution, c’est qu’elle veut les garder. D’autre part, parce que les gens ont besoin de conserver leur boulot », souligne la médiatrice. Lors de ses missions, bon nombre de participants – les « médiés » – ont besoin de se sentir écoutés. Pour l’entreprise, outre le fait qu’une procédure en justice est rarement bénéfique, le recours à la médiation montre qu’elle est ouverte au dialogue. « L’employeur a une obligation de sécurité sur la santé physique et mentale de ses salariés et la médiation, sans se substituer aux autres actions, participe à la prévention des risques psychosociaux », souligne le sociologue du travail Fathi Ben Mrad.

Reste que la médiation n’a pas franchi toutes les portes. Pour certaines entreprises, elle nécessite de briser un tabou : « demander aux dirigeants de reconnaître qu’il y a un problème dans leur entreprise, une tension, une ambiance détériorée est très difficile », observe Philippe Charrier. Un frein renforcé par la méfiance qui peut exister en interne, notamment du côté des syndicats. Aucune des grandes confédérations n’a d’ailleurs souhaité s’exprimer sur le sujet. « Avant, on sentait des réticences du côté des syndicats. Mais ils comprennent aujourd’hui l’intérêt du processus, et souhaitent même parfois accompagner la médiation », remarque Sophie Henry, du CMAP. Une présence aux côtés des salariés que certains médiateurs acceptent, d’autres pas.

En médiation, chacun a ses méthodes, ses écoles. C’est l’un des freins au développement de la médiation professionnelle. Un diplôme d’État de médiateur familial a été créé en 2005. Pour la médiation en entreprise, on en est encore loin.

Si dans les dossiers les plus médiatiques comme Uber on fait souvent appel à des stars, diplomates, députés ou avocats, pour les interventions plus anonymes, les entreprises ont le choix entre différents profils, coach, psychologue, juriste (voir page 26), professionnels adhérents du Réseau des médiateurs en entreprise, de l’Institut français de la médiation, de la Chambre nationale des praticiens de la médiation, ou encore de l’Association nationale des médiateurs… « Je me mets à la place d’un chef d’entreprise, il est difficile de s’y retrouver », concède Philippe Charrier qui est le premier à reconnaître que la médiation n’est pas la martingale pour dénouer les conflits. « Ce ne sont pas quelques séances qui peuvent radicalement changer les choses. Mais elles contribuent à introduire une nouvelle culture dans l’entreprise. » Celle du dialogue, de l’écoute, de la confrontation. Est-ce que les entreprises la réutiliseront en d’autres occasions ? C’est tout l’enjeu.

Changer l’entreprise, de l’intérieur.

Pour certains, la médiation aurait, en effet, la vertu de changer l’entreprise de l’intérieur. Médiateur depuis 15 ans, Jacques Revol a été appelé au chevet d’une entreprise lyonnaise dans le cadre de cette « médiation de projet ». « C’est un consultant qui a pensé à nous pour animer deux réunions entre le dirigeant, sa fille amenée à reprendre l’entreprise et trois cadres de service. Pour que tous puissent participer et imaginer ensemble la réorganisation future, un tiers neutre était nécessaire », explique-t-il. Les médiateurs ont ainsi distribué la parole et amené chacun à exprimer équitablement ses idées pour la suite. Même si elle reste rare, ce type de médiation de projet est une autre voie pour la médiation en entreprise, à la frontière entre management et dialogue social. Jean-Louis Lascoux, l’un des pères de la discipline, défend le terme d’ingénierie relationnelle. « On apprend aux gens à être mieux en relation les uns avec les autres, ça améliore toute l’organisation. » Dans le monde de la consommation, la médiation est devenue obligatoire en 2015. « Pour moi, elle devrait être présente dans toutes les entreprises, en interne ou en externe », estime-t-il, prédisant sa généralisation dans les organisations dans cinq ans, tout au plus. Le rendez-vous est pris.

Les autres MARC

Apparus dans les années 1970 aux États-Unis, les Modes alternatifs de résolution des conflits (MARC) sont des processus volontaires par lesquels les parties résolvent leurs différends avec l’aide d’un tiers, sans procédure judiciaire.

• La médiation vise à encourager les parties à trouver leur propre solution, grâce aux techniques de dialogue proposées par le médiateur. Un arbitre chargé de trancher le litige impose une décision, après avoir écouté les parties.

• La conciliation vise à trouver une solution entre les parties. Contrairement au juge ou à l’arbitre, sa solution ne s’impose pas aux parties, mais leur est fortement suggérée.

• Enfin, la négociation repose sur la recherche d’un accord, dans lequel chacune des parties tentera de faire basculer le rapport de forces en sa faveur pour préserver ses intérêts. La négociation raisonnée encourage les accords gagnant-gagnant.

Auteur

  • Lucie Tanneau