logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Le télétravail, un avantage devenu un droit

Décodages | publié le : 06.11.2017 | Domitille Arrivet

Image

Le télétravail, un avantage devenu un droit

Crédit photo Domitille Arrivet

La réforme du télétravail, prévue dans l’une des ordonnances de modification du Code du travail est effective depuis sa publication au Journal Officiel le 23 septembre. D’une facilité négociée, le travail devient un droit individuel. Une avancée qui fait pour l’instant consensus.

Salariés, depuis quelques jours, vous bénéficiez d’un nouveau droit inaliénable : celui de télétravailler. Déjà consacré dans le Code du travail depuis 2012, cet aménagement, entré dans les mœurs des grandes entreprises mais parfois de plus petites, est sorti renforcé par les récentes ordonnances signées fin septembre par Emmanuel Macron. Il devient un droit. Avec application immédiate.

L’article L1222-9 de l’ordonnance apporte une modification majeure au « télétravail effectué par un salarié hors des locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication » : il instaure que le télétravail ne relève plus d’un contrat individuel mais est établi « dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe ». Plus besoin, donc, de signer un avenant au contrat de travail. Et pour donner accès au plus grand nombre, le texte de loi ajoute qu’en l’absence d’accord ou de charte, et lorsqu’il s’agit d’un recours au télétravail occasionnel, « le salarié et l’employeur formalisent leur accord par tout moyen ». En clair, pour les cas de télétravail non régulier, un simple mail suffit dorénavant pour instaurer la pratique.

Un refus désormais motivé.

Unanimement approuvé par les organisations patronales et les cinq syndicats représentatifs dans le cadre d’un accord national interprofessionnel, en juillet 2005, le télétravail progresse à grandes enjambées, principalement dans les grandes zones urbaines. Télétravail informel – que les employeurs accordent pour des raisons ponctuelles comme les grèves des transports ou les maladies d’enfant et qui concerne un salarié aux fonctions « télétravaillables » sur quatre, ou bien télétravail régulier formalisé, le dispositif a fait son chemin. Au cours des dernières années, le nombre de télétravailleurs a doublé, passant de 10 à près de 20 % des salariés éligibles. Désormais, l’ordonnance pousse le principe un cran plus loin, puisque le télétravail est devenu un droit.

Tout salarié qui souhaite accéder à un mode d’organisation en télétravail est autorisé à le demander à son employeur. Si celui-ci refuse, il « doit motiver sa réponse ». Pour Deborah David, avocate associée au cabinet Jeantet, cette avancée « participe d’une vraie réforme du modèle social français », dans la mesure où l’ordonnance 1387 définit un cadre, mais laisse à l’entreprise le soin de définir les contours du dispositif. Soit par accord d’entreprise, soit par une simple charte. « L’idée est de donner des outils très souples aux partenaires sociaux pour qu’ils puissent opérer un changement de modèle à leur rythme et s’approprier ce nouveau modèle social », analyse l’avocate. « C’est aussi un outil qui permettra aux salariés en butte avec la position rétrograde de certains managers – ceux qui considèrent que, quand on n’est pas au bureau on ne travaille pas – de s’imposer », ajoute-t-elle. Plus question de distribuer de façon discrétionnaire les autorisations pour travailler depuis son domicile. « Un refus systématique de la part d’un manager pourrait être porté à la connaissance des représentants du personnel, voire de l’Inspection du travail. L’entreprise devra alors démontrer qu’elle refuse pour des motifs de bon fonctionnement de l’activité », complète Deborah David.

Donnant-donnant.

Sans aller jusqu’à agiter le chiffon rouge et prédire de nouveaux conflits sociaux, Olivier Brun, dont la société de conseil Greenworking accompagne les entreprises et leurs salariés dans les modifications de l’environnement de travail, s’attend à la constitution de comités ad hoc entre les directions d’entreprise et les partenaires sociaux. « Mais il ne s’agira que de gérer l’exception de ceux auxquels on refuse le télétravail, et de définir les postes que l’on considère télétravaillables ou pas », estime-t-il.

Cette nouvelle conception du télétravail est résolument libérale. « L’ordonnance relève du donnant-donnant, estime Olivier Brun. En contrepartie d’un droit offert aux salariés, on allège la charge administrative des entreprises et les coûts obligatoires du télétravail. Plus d’accord obligatoire à négocier ; il suffit d’une charte. Plus d’obligation de financer le matériel et les coûts de connexion ; cette disposition restera à l’appréciation de l’entreprise. Autant d’éléments qui créaient des freins à la mise en place du télétravail », note l’expert. Pour lever les dernières barrières l’ordonnance apporte des précisions apparues nécessaires lors des concertations préalables avec les partenaires sociaux : « Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise, notamment en ce qui concerne l’accès aux formations syndicales, la participation aux élections professionnelles et l’accès à la formation », précise l’article. Il confirme également qu’un accident survenu sur le lieu du télétravail aux plages horaires prédéterminées entre l’employeur et l’employé « est présumé être un accident de travail au sens des dispositions de l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale ». « En sécurisant ces points flous et en simplifiant les process du télétravail, on va gagner du temps. Avant, il fallait un an pour négocier un accord. Maintenant il suffira d’un mois », se félicite le fondateur de Greenworking.

Un sujet consensuel.

Du point de vue des entreprises, ces nouvelles dispositions apparaissent équilibrées. « Ce sont des mesures de bon sens qui vont donner lieu à des concertations, se félicite Jean-Paul Charlez, DRH d’Etam et président de l’ANDRH qui a pris part aux consultations préalables. Cela va favoriser le dialogue social et bousculer les hiérarchies un peu rétives au télétravail parce qu’elles craignent une distension du lien social. Dans une entreprise, c’est toujours une bonne chose de s’accorder. »

Du côté des organisations syndicales, l’ordonnance télétravail n’a guère fait de vagues. Le sujet était relativement consensuel depuis son inscription dans le Code du travail. Dans une étude réalisée auprès de ses adhérents en avril 2017, l’ANDRH constate que le télétravail est une pratique très répandue (69 %). Celle-ci est formalisée dans 29 % des cas par un accord collectif et dans 70 % des cas par un avenant individuel au contrat de travail. À la CFE-CGC, dont les mandants sont concernés de près par le télétravail, on salue l’avancée qu’apporte l’ordonnance. « Ce sera bénéfique que le télétravail devienne un droit pour les salariés. Cela va amener un peu d’équité », juge Jean-François Foucard, secrétaire national délégué à l’emploi et à la formation. Jusqu’alors le télétravail était un peu à la tête du client. Mais les partenaires sociaux resteront vigilants dès que les premiers accords ou les premières chartes apparaîtront. « Nous allons militer pour que ce droit individuel soit formalisé dans un accord d’entreprise et non dans une charte. Nous estimons que les managers doivent se réapproprier l’organisation du temps de travail pour que le collectif reste performant. Ce que ne favorise pas la charte, car elle peut être écrite de façon unilatérale », avertit Jean-François Foucard.

À la Société Générale, qui fait figure de championne avec ses quelque 6 000 salariés télétravailleurs dans l’Hexagone, les premières interrogations apparaissent déjà. Certes, pour le moment, ni la DRH ni les salariés n’ont souhaité remettre en cause les accords télétravail signés en octobre 2016 par l’ensemble des organisations syndicales, et pour une durée indéterminée. Mais la CFDT espère que, suite à la publication du nouveau texte, la proposition télétravail ne deviendra pas moins avantageuse. « Nous reviendrons sur l’indemnisation des abonnements réseaux et sur l’accès aux tickets restaurant pour les jours télétravaillés. Ils nous avaient été refusés par la direction lors de la signature de l’accord. Pourtant, durant l’expérimentation que nous avions menée au préalable les salariés en bénéficiaient », souligne Monique Motsch, déléguée syndicale nationale de la banque. Chef de file CFDT sur la négociation télétravail, Nathalie Couchellou craint que l’arrivée de nouveaux télétravailleurs, occasionnels cette fois, soit pour la direction l’occasion de rogner sur les indemnisations. Maintenant que la fourniture du matériel n’est plus obligatoire, « on va nous demander en plus d’utiliser notre ordinateur personnel », redoute-t-elle.

Un outil pour attirer et fidéliser.

Un risque de transfert de charges sur le salarié qu’Olivier Brun écarte. « Pour leur bonne image, les entreprises n’auront pas intérêt à cesser d’indemniser les télétravailleurs pour leur équipement. Mais cela pourrait se transformer en une simple indemnisation forfaitaire pour le salarié qui utilise son propre matériel informatique et télécoms. »

L’avenir dira si les nouvelles dispositions produisent l’effet escompté. « Les entreprises ne sont pas totalement enthousiastes et motrices sur ce télétravail. Mais maintenant qu’il devient un droit pour les collaborateurs, elles vont y voir un outil d’attractivité pour recruter les jeunes générations, sensibles à l’argument du travail à distance, et réduire le turnover », prévoit Olivier Brun. Déjà, 67 % des DRH déclarent avoir observé une amélioration de l’engagement de leurs collaborateurs suite à la mise en place du télétravail, selon l’étude publiée au printemps dernier. « Le télétravail a tellement de succès que la direction de la Société Générale le présente presque comme un avantage offert aux collaborateurs », observe Nathalie Couchellou. En tout cas, les grandes entreprises qui n’avaient pas encore inclus le télétravail dans leur attirail de mesures RH vont devoir se hâter. Sous peine de perdre de leur attractivité.

Le chiffre
40 %

Dans les entreprises de plus de 300 salariés, un accord collectif a été signé dans 40 % des cas, selon l’étude ANDRH d’avril 2017. Sans grande surprise, dans les PME de moins de 50 salariés, le télétravail relève le plus souvent d’un avenant individuel au contrat de travail.

Auteur

  • Domitille Arrivet