logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Actu

“La formation tout au long de la vie reste le parent pauvre du système”

Actu | Entretien | publié le : 04.01.2018 | Jean-Paul Coulange

Image

“La formation tout au long de la vie reste le parent pauvre du système”

Crédit photo Jean-Paul Coulange

Le patron de l’établissement public en charge de la formation des adultes plaide pour une plus grande porosité entre l’enseignement supérieur et la formation professionnelle, entre la formation initiale et la formation continue ce qui fait la force et la réussite des systèmes nordiques comme celui du Danemark.

Qu’attendez-vous de la réforme de la formation professionnelle ?

Sur la méthode, tout d’abord, je trouve positif qu’une large concertation ait été engagée, comme pour l’accès à l’enseignement supérieur. Sur le fond, nous nous retrouvons dans les principes de la réforme. Par exemple, dans la priorité donnée à la qualité de la formation, avec la création d’une sorte d’agence de la qualité. On se retrouve aussi dans le lien qui est fait entre les deux réformes, en prenant le meilleur de la réforme de 2014 pour l’adapter aux réalités du moment. C’est notamment le cas pour le conseil en évolution professionnelle (CEP). Le Cnam forme au CEP, notamment les missions locales et nous voyons bien ce qu’il faut corriger. Concernant les outils, le compte personnel de formation (CPF) permet de renforcer l’actif ou le demandeur d’emploi en tant que prescripteur de sa formation. Tout ce qui va dans le sens d’une simplification, d’une meilleure lisibilité, via la monétisation, permettrait à cet outil de se développer.

Quel bilan tirez-vous du CPF ?

Le CPF est au milieu du gué. Il n’a pas encore obtenu les résultats escomptés. Mais c’est un outil beaucoup plus pertinent que le droit individuel à la formation. Il a vocation à être encore plus performant grâce à sa financiarisation. En matière de formation professionnelle, il y a deux publics essentiels, les actifs et les demandeurs d’emploi et il ne faut pas privilégier l’un en oubliant l’autre. Utiliser le CPF pour le retour à l’emploi est important, mais nous restons très attachés à l’accompagnement des actifs. Si on les oublie, cela aura beaucoup d’effets pervers sur la promotion sociale, c’est-à-dire le droit pour chacun d’avancer dans sa carrière, mais aussi en termes économiques, en n’accompagnant pas les mutations technologiques et sociales, grâce à une montée des compétences. Pour en finir avec les outils, tout ce qui va dans le sens d’une amélioration et d’une meilleure intégration de la VAE est souhaitable.

Pourquoi faut-il adapter la loi de 2014 qui n’a que trois années d’existence ?

Personne ne se retrouvait dans les listes d’éligibilité instaurées par la loi de 2014. Des diplômes étaient parfois éligibles dans une région et pas dans l’autre. C’est un système totalement incompréhensible. Pour le CPF, on parle d’adaptation, car l’outil en lui-même n’est pas remis en question. Sur le CEP, l’objectif est de le rendre encore plus performant. Lorsqu’on investit aussi massivement que l’État veut le faire dans la formation, il est légitime qu’il se dote des bons outils. Un certain nombre de modalités ou de diplômes ne sont pas accessibles à la formation professionnelle. Il faut une plus grande porosité entre l’enseignement supérieur et la formation professionnelle. Autre piste d’amélioration, le hors temps de travail auquel le Conservatoire est très attaché. Comme toutes les formes de transmission, il a vieilli. C’est pourquoi nous avons engagé douze chantiers sur le hors temps de travail pour faire bouger les lignes, comme pour la VAE. Dans un certain nombre de cas, les formations hors temps de travail ne sont pas soutenues. C’est pourtant un outil très pertinent qui mérite d’être mieux financé.

A-t-on eu raison de revenir sur l’obligation de formation pour les entreprises ?

Avant 2014, le retour sur investissement pour l’entreprise n’était pas clair. Il est logique que l’on souhaite démontrer l’efficience du système et que les entreprises bénéficient de plus de marges de manœuvre. La contrainte imaginée par le législateur n’est pas le mécanisme le plus opportun. Cela étant, remonter le curseur pour les demandeurs d’emploi entre dans une logique de redistribution. La formation professionnelle est trop au service des insiders, des salariés des grands groupes qui sont déjà protégés. Il faut booster la formation dans les TPE et PME afin qu’elle devienne un droit générique, indépendamment des situations sociales ou géographiques et le rôle de l’État, dans cette redistribution, est essentiel.

Malgré l’argent qui y est consacré, la France ne brille pas par son système de formation professionnelle.

La France est effectivement en retard par rapport aux pays nordiques au regard du nombre d’actifs ayant bénéficié de la formation professionnelle. La formation tout au long de la vie est le parent pauvre de notre système. Au Danemark, l’enseignement supérieur et la formation professionnelle construisent beaucoup de passerelles. Vous pouvez passer d’un système à un autre, renforcer vos connaissances académiques, puis améliorer vos compétences. Puisque plusieurs réformes, celles de l’entrée dans l’enseignement supérieur, de la formation professionnelle, de l’apprentissage, sont engagées en même temps, il est important que tous ces systèmes s’interpénètrent. Réduire les frontières entre la formation initiale et la formation continue et accroître l’agilité du système est une nécessité. Si un titre met dix-huit mois pour être reconnu et certifié, le bassin d’emploi aura changé et les compétences attendues seront différentes. Il faut trouver le bon compromis entre la reconnaissance de la formation et l’assurance de sa qualité.

Peut-on faire confiance aux partenaires sociaux pour réformer la formation professionnelle ?

Traditionnellement, la formation professionnelle est organisée autour des acteurs sociaux, sans négliger le rôle des régions et celui de l’État par son intervention massive auprès des demandeurs d’emploi. Depuis que s’est engagée cette réforme, et c’est rassurant, il y a un consensus pour que les lignes bougent. Chacun peut avoir des intérêts divergents, mais apporte sa contribution en fonction de ses besoins et de ses attentes spécifiques.

N’est-ce pas le mode de gestion paritaire qui est en jeu ?

Hérités de la loi de 2014, le Cnefop et les Crefop sont critiqués pour leur fonctionnement lourd. Mais ces différentes instances sont des lieux d’expression de l’ensemble des acteurs (organismes de formation, organisations syndicales, représentants des tutelles) qui accroissent la transparence du système de formation. Cette mise à plat est nécessaire. Si l’ensemble des organisations se sont retrouvées à l’occasion du document d’orientation, que les calendriers ont été acceptés, c’est le signe que les choses bougent. Il faut faire la part entre les intérêts spécifiques et l’intérêt général. Les entreprises ont besoin d’une adaptation, d’une montée des compétences ; les organisations syndicales comprennent bien, de leur côté, que le retour à l’emploi nécessite des marges de progression. L’envie d’avancer ensemble n’était pourtant pas acquise d’avance. On aurait pu imaginer qu’il y ait un refus de concertation de la part de certains. Mais pour faire un parallèle avec la concertation sur l’enseignement supérieur, toutes les organisations ont participé jusqu’au bout et ont apporté leur contribution. Ce qui rassemble est supérieur à ce qui divise.

Qu’attendez-vous de la réforme de l’apprentissage ?

L’apprentissage a connu une véritable révolution culturelle dans le post-Bac. Ça marche très bien au niveau 1 et 2, moins bien aux niveaux 3 et 4 alors que l’apprentissage est un levier d’inclusion sociale. Il doit être mieux valorisé et mieux intégré dans le système pré-Bac et les jeunes doivent être mieux accompagnés au moment de leur orientation. Les TPE-PME n’ont souvent pas les reins assez solides pour prendre des apprentis, sans intervention publique. Quant aux plus grandes, il y a sûrement des progrès à faire pour qu’il y ait davantage d’entreprises accueillantes. Quand on travaille en profondeur, on obtient de bons résultats comme dans les niveaux supérieurs.

Concernant la taxe d’apprentissage, la clarification apportée pour qu’elle ne serve qu’à l’apprentissage est une bonne chose. Les questions qui restent en suspens sont plutôt d’ordre réglementaire, comme le statut de l’apprenant et celui de l’apprenti, le rapprochement du contrat d’apprentissage et du contrat de professionnalisation, ou encore l’élargissement des périodes d’entrée en apprentissage.

Olivier Faron, administrateur général du Cnam

Ancien directeur de l’école normale supérieure de Lyon, Olivier Faron a été nomme à la tête du conservatoire national des arts et métiers en juillet 2013. Ce professeur des universités et chercheur en histoire a fait partie du cabinet de plusieurs anciens ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche (François Fillon et Laurent Wauquiez). Seul établissement d’enseignement supérieur français dédié à la formation des adultes, le Cnam accueille, chaque année, près de 65 000 élevés en France comme à l’étranger.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange