logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

Des avantages à la dérive

À la une | publié le : 07.03.2018 | Audrey Pelé

Image

Des avantages à la dérive

Crédit photo Audrey Pelé

Conditions de travail, rémunérations, responsabilités, tous les critères qui forgent/forment l’écart entre cadres et non-cadres sont remis en question. Il reste que les entreprises en font toujours un outil de promotion en interne.

Poste cadre basé au siège social à Niort ». Cette offre d’emploi pour le poste de chargé d’études et de veille marketing à la Maif ne cache rien du statut qui sera conféré au candidat retenu. L’heureux élu rejoindra ainsi la cohorte des quelque trois millions de cadres français. « Il y a des sociétés pour lesquelles c’est important de mentionner ce statut dans les annonces car cela valorise le poste. C’est, par exemple, le cas dans les secteurs de l’industrie, la construction et les banques-assurances mais c’est moins vrai dans les services où un grand nombre de salariés sont cadres », souligne David Beaurepaire, directeur d’activité de Cadreo.com, un site de recrutement en ligne réservé aux cadres.

Mais que recouvre réellement cette notion de cadre aujourd’hui remise en question ? Dans l’imaginaire collectif d’abord, il est souvent un salarié avec une position qui procure certains avantages : une voiture de fonction, un bureau individuel, une assistante… « Tous les privilèges liés au statut (retraite particulière, couverture maladie spécifique…) ainsi que les éléments distinctifs (avoir son bureau, son assistante personnelle…) disparaissent de manière progressive depuis une vingtaine d’années », confirme Philippe Burger, associé responsable capital humain chez Deloitte. Cécile Cloarec, DRH, Communication et Développement Durable chez FM Logistic Groupe (25 000 salariés), se souvient d’une époque révolue. « Il y a bien longtemps, il y avait des cantines pour cadres et non cadres dans les entreprises mais ça n’existe quasiment plus. Ce qui est en train de disparaître ce sont bien les éléments visibles du statut de cadre comme la place de parking où il est écrit Direction. Les signes de différences hiérarchiques sont en train de s’effacer ». Pour le DRH, l’enjeu est même de « gommer » les différents statuts dans sa société, de ne pas faire de distinctions entre cadres et non-cadres afin de laisser « la place à l’initiative de chacun, au travail en équipe sans barrières entre les gens ». Résultat, on décloisonne et cela passe souvent par des aménagements en open-space dans lesquels on recherche la cohésion entre les salariés. Pour Cécile Cloarec, pas de bureau individuel mais un travail en open-space à côté de son assistante, des stagiaires ou des cadres seniors.

Des équipes agiles.

Chez Eurécia, une PME spécialisée dans l’édition de logiciels RH et management, la cinquantaine de salariés cadres et non-cadres ont leurs bureaux côte à côte. « Le nec plus ultra aujourd’hui, c’est le patron qui n’a pas de bureau mais ce n’est pas si simple ! En tout cas, chez nous, l’open-space permet une meilleure proximité et efficacité des équipes, affirme Pascal Grémiaux, CEO & fondateur (et en charge des recrutements) d’Eurécia. Nous travaillons dans une ancienne grange rénovée en loft industriel. Mes collaborateurs ne m’ont pas demandé des bureaux fermés mais plutôt des salles de réunion, d’avoir des lieux plus confinés pour discuter de manière confidentielle ».

L’autre apanage statut de cadre était d’exercer des responsabilités d’encadrement ou de management. Or pour David Beaurepaire, « 40 % des cadres n’encadrent plus. Ils ne se définissent donc pas par des missions d’encadrement. Les cadres sont devenus davantage des experts que des managers et cela est lié aux organisations qui évoluent et sont de plus en plus plates ». Fini le modèle hiérarchique traditionnel, place au management plus transverse où tous les salariés peuvent s’exprimer et prendre des initiatives, voire manager même s’ils ne sont pas cadres ? « Il y a de moins en moins de cadres qui managent effectivement des collaborateurs de l’entreprise. Aujourd’hui, on parle de plus en plus d’équipes agiles. On est bien passé d’organisations très hiérarchiques à des organisations en réseau d’équipes plus horizontales », assure Philippe Burger. Comme dans beaucoup d’entreprises, chez FM Logistic, certains cadres n’encadrent pas les profils d’ingénieur méthodes-process, de chef de projet ou de responsables d’études. Des postes qui correspondent notamment à leur niveau de qualification (études/expérience), leur capacité d’analyse ou de prise de décision. À l’inverse, les non-cadres de la société peuvent être en situation de management. Le DRH du groupe l’affirme « être cadre ne veut pas dire manager ». « Nous avons des chefs d’équipes non-cadres dans des situations de management quotidien comme des opérateurs ou des caristes. Ils n’ont pas le statut cadre car leur poste ne correspond pas au niveau de qualification le justifiant mais ils sont bien en situation de management d’équipe », explique encore l’intéressée. Les cadres n’encadrent pas tous mais bien sûr cela dépend des organisations. Chez In Extenso, une société spécialisée dans l’expertise comptable, c’est obligatoirement un manager. L’entreprise aux 4 800 collaborateurs compte 620 cadres et la mention de « manager » a été rajoutée à leur titre l’année dernière. « Nous avons une structure pyramidale et nos agences sont réparties sur 240 lieux différents. Nous partons du principe que le rôle du cadre, qui peut avoir 6 ou 7 personnes sous sa responsabilité, c’est de manager ses équipes, explique Philippe Autran, le DRH d’In Extenso. Chez nous, les cadres ont un rôle plus prépondérant qu’avant. Ils doivent encadrer les équipes : les écouter, les guider dans le travail, et former les collaborateurs qui deviendront à leur tour cadres et donc managers ».

Des salariés fluctuants.

Côté rémunérations, l’écart est de moins en moins net entre cadres et non-cadres. La dernière étude de l’APEC sur les salaires dans les fonctions cadre, parue en septembre 2017, révèle que le salaire annuel brut médian des cadres en poste (salaire fixe + part variable) est de 48 000 euros. Toutefois « leurs salaires sont très dispersés, illustrant la diversité des cadres en France : 80 % d’entre eux sont compris dans une fourchette de 34 000 à 85 000 euros. Quant au salaire moyen, il est de 56 000 euros ». Et même si les cadres sont généralement mieux payés que les non-cadres, la frontière est parfois ténue. Un agent de maîtrise expérimenté peut souvent atteindre un niveau de rémunération proche de celui d’un cadre. Et quand il passe cadre, à la vue de ses responsabilités plus élevées, de ses horaires plus flexibles, du fait qu’il aura moins de RTT qu’avant, il risque d’être un peu déçu. Malgré tout, le statut cadre reste un marqueur dans la définition de la politique salariale. Les entreprises s’y référent toujours pour faire leurs grilles salariales. « Il n’y a pas d’homogénéité dans ces grilles qui sont propres à chaque entreprise. Les salaires des cadres sont aussi fixés au regard des conventions collectives et enfin de ce qui se passe sur le marché », précise Frédéric Béziers, Directeur Général chez Hays.

Concernant le temps de travail, les cadres sont le plus souvent au forfait jours et n’ont, théoriquement, pas d’horaires. « Statistiquement, le cadre a une durée de travail en entreprise supérieure à celle d’un non-cadre. Mais dans les organisations, on commence à réfléchir à la façon d’adapter leur temps de travail, analyse Deloitte. Aujourd’hui, c’est une notion compliquée car il y a un arsenal juridique contraignant. Le forfait-jour se développe et en même temps le droit du travail revient sur le sujet. Les cadres doivent faire les 35 heures alors que justement ils ont besoin de gérer leurs temps en fonction des demandes et besoins qui sont de plus en plus fluctuants ». Et le forfait jour n’est pas toujours l’apanage des cadres. Chez Eurécia, par exemple, cadres et non-cadres ont la même base horaire. « Chez nous, tout le monde est aux 35/39 heures, je trouvais que le suivi du forfait-jours était trop complexe à gérer. La question des horaires ne se pose donc pas et c’est préférable car cela pourrait augmenter les clivages, les frustrations, s’il y avait des différences entre cadres et non-cadres sur ce sujet », argumente Pascal Grémiaux.

Travailler sans hiérarchie.

Est-ce de là à dire que le statut de cadre ne ferait plus rêver ? Si on en croit les professionnels du recrutement, il aurait perdu de sa superbe, notamment auprès des jeunes générations qui n’en font plus un critère déterminant. « La génération X, les enfants des baby-boomers, y accordait de l’importance car ils ont grandi avec cette différence de statuts, la génération Y beaucoup moins », constate David Beaurepaire, chez Cadreo.com. Même sentiment encore pour Philippe Autran qui constate que la qualité de vie au travail et les avantages sociaux sont davantage regardés par tous les candidats chez In Extenso que le statut. Chargé d’études au sein du Cereq, Jean-Paul Cadet qui a co-réalisé il y a quelques années une étude sur « le passage cadre » parle aussi d’un « brouillage » concernant le statut. Avec la montée en compétences des emplois et les nouvelles générations de plus en plus diplômées, beaucoup sont devenus cadres d’office ou alors, rapidement, après leur sortie du système scolaire. « Le statut cadre est devenu à la fois plus accessible et en même temps moins distinctif. Cette banalisation a également été engendrée par l’attribution du statut à un nombre croissant de professionnels qui évoluaient auparavant de l’autre côté de la frontière cadres/non-cadres, souvent dépourvus de responsabilités en matière d’encadrement. Ce sont ceux qu’on appelle les cadres techniques, les cadres de premier niveau, les assimilés cadres… analyse-t-il. On ne sait plus alors avec précision à quoi correspond le statut ».

Mais même si être cadre semble de moins en moins un enjeu premier, Jean-Paul Cadet estime que pour des raisons historiques, cela reste néanmoins un symbole dans l’entreprise. « Le statut cadre garde un sens pour la gestion des RH car le passage cadre est toujours un outil de promotion dans l’entreprise surtout pour gérer des mobilités internes vers des emplois d’encadrement ou d’expertise, mais aussi, parfois, pour reconnaître la professionnalisation ou le développement professionnel d’un salarié dans un poste au cours du temps. Il garde aussi une signification pour les salariés puisqu’il reste souvent une référence pour se représenter au moins leur évolution de carrière, à défaut de constituer un idéal à atteindre forcément ». Même en perte de vitesse, le statut cadre reste une représentation qui fait sens. Beaucoup d’experts pensent toutefois qu’il pourrait bien disparaître. Mais quand et pour être remplacé par quoi ? Personne n’est capable de le dire. « Soit nous serons tous cadres ou alors on supprime ce statut. Cette distinction est devenue artificielle et peut être source de conflits voire discriminatoire », conclut le DRH d’Eurécia.

Auteur

  • Audrey Pelé