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Vie des entreprises

Arthur contre Andersen : l'audit divorce du conseil

Vie des entreprises | DECRYPTAGE | publié le : 01.05.1999 | Sandrine Foulon

Encore réunis, mais pour peu de temps, sous l'égide d'Andersen Worldwide, Andersen Consulting, pôle conseil, et Arthur Andersen, qui mène l'activité d'audit, sont en passe de se séparer. Une histoire de famille, qui est surtout une affaire de gros sous. Car le conseil est beaucoup plus rentable que l'audit.

Ce sera vraisemblablement le divorce de l'année aux États-Unis. Ou du moins l'un des plus coûteux, puisque des milliards de dollars sont en jeu. Il ne s'agit ni des frasques d'un acteur célèbre ni de celles d'un homme politique en vue, mais d'une affaire commerciale des plus sérieuses. La Cour d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, située à Paris, doit se prononcer sur le « divorce » demandé fin 1997 par les Andersen. Face à face, Arthur Andersen, l'un des géants mondiaux de l'audit, et Andersen Consulting, le roi du conseil. Le Norvégien Arthur Andersen n'imaginait certainement pas, en 1913, lorsqu'il créa son cabinet de services comptables et d'audit aux États-Unis, que celui-ci deviendrait l'un des Big Five. Ni que cette success story déclencherait une telle affaire de famille.

Tout a commencé en 1989 lorsque Arthur Andersen a décidé de formaliser l'activité conseil, sous le nom d'Andersen Consulting. Idée géniale puisque « AC » connaît un développement fulgurant depuis dix ans. Derniers résultats connus : en 1998, Andersen Consulting, fort de 65 000 collaborateurs, a réalisé un chiffre d'affaires mondial de l'ordre de 8,3 milliards de dollars, en progression de 25 %. Mais, entre Arthur Andersen et Andersen Consulting, la clientèle y perd parfois son latin. « Il ne se passe pas une semaine sans qu'un client, confondant l'audit et le conseil, nous félicite pour notre campagne publicitaire, alors que nous, les auditeurs, n'avons pas le droit de faire de la publicité », explique-t-on chez Arthur Andersen.

Querelles de « partners »

La maison mère a-t-elle anticipé un départ d'un pôle conseil de plus en plus revendicatif ? Toujours est-il que les 1 000 et quelques partenaires associés d'Arthur ont décidé, en 1994, de développer une activité de conseil complémentaire, sous le nom d'Arthur Andersen Management, AAM. Bien évidemment, Andersen Consulting n'a guère apprécié ce concurrent interne. « La création d'Arthur Andersen Management est antérieure à cette volonté de couper les ponts et peut l'expliquer, précise un ancien d'Arthur Andersen. Mais le conflit est surtout une question de gros sous.

Depuis longtemps, les partners d'Andersen Consulting se sentent lésés. Le chiffre d'affaires d'un partenaire du conseil est deux à trois fois plus élevé que celui d'un associé de l'audit. Mais tous doivent reverser une partie des bénéfices au pot commun, Andersen Worldwide. D'où ce sentiment de déséquilibre. » Conclusion féroce : « Andersen Consulting a crû de manière spectaculaire, avec des marges importantes. À côté, l'audit fait pantouflard. » La cohabitation des deux Andersen est vite devenue difficile. Notamment en France, où les consultants d'AC et d'AAM se croisaient dans les couloirs de la tour d'Arthur, à la Défense. À l'étroit dans ces locaux, Andersen Consulting France a donc décidé de quitter le domicile conjugal pour s'installer à Paris, avenue George-V. Mais cette séparation de fait n'a aucune commune mesure avec la décision irrévocable prise à Chicago fin 1997. Celle de demander le divorce, auprès de la Cour internationale d'arbitrage, chargée de démêler le différend entre Arthur Andersen et Andersen Consulting. « Les sociétés optent pour cette instance au détriment des tribunaux classiques parce qu'elle leur garantit une certaine souplesse, une expertise et, surtout, une confidentialité. Elles ne sont pas tenues de déballer leur linge sale en public. À la limite, ce procès n'aurait même pas dû être médiatisé », explique un avocat spécialisé dans l'arbitrage. Aux sièges de Neuilly (Arthur Andersen) et de l'avenue George-V (Andersen Consulting), qui partagent le même goût pour les mezzanines, le verre et le métal, ne règne apparemment aucun esprit revanchard. Polytechnicien et arthurien depuis plus de vingt ans, Benoît Genuini, 44 ans, porté à la présidence d'Andersen Consulting France en 1995, entend garder de bonnes relations avec ses « cousins germains » d'Arthur Andersen. Quant à son homologue, Olivier Chatin, 42 ans, associé et directeur d'Arthur Andersen Management, arrivé chez Arthur à sa sortie de HEC, il conserve sur le sujet un silence de circonstance. « Nous sommes assez régulièrement bombardés de mémos nous enjoignant de ne pas communiquer sur ce divorce », explique un auditeur d'Arthur Andersen.

Bataille pour le nom

À charge, donc, pour la Cour internationale d'arbitrage de se prononcer sur les liens juridiques et financiers des deux structures et sur le dédommagement réclamé par Arthur Andersen. « Cette situation n'avait plus de sens, précise Benoît Genuini. Nous sommes abrités sous le même réseau international.

Nous partageons toujours une partie des investissements. Cela signifie que nous finançons une activité qui veut s'établir comme notre concurrent. » La Cour d'arbitrage devra aussi se prononcer sur le droit d'utilisation d'un nom tant convoité : celui d'Andersen. Pourtant, comme le souligne Serge Audouin, président du Syntec conseil en management, « Andersen Consulting bénéficie d'une telle notoriété dans le monde qu'il n'aurait pas de mal à se trouver un autre nom. Qu'il se nomme Novartis, Aventis ou Tartempion, cela ne freinera pas sa croissance ». Andersen Consulting France, 2 000 consultants, a effectivement connu en 1998 une progression de 47 %, soit un chiffre d'affaires de près de 2,3 milliards de francs.

Concurrence à la marge

De son côté, Arthur Andersen Management France (210 collaborateurs) a progressé de 35 % en 1998, avec 135 millions de francs d'honoraires. « Depuis le début, nous oscillons entre 45 et 60 % de progression, relève Olivier Chatin. Cette année, nous tablons plutôt sur 50 %. Nous sommes partis après les autres mais, à ce rythme, nous les aurons rapidement rattrapés. » Prudent, le jeune pôle conseil de la maison affirme ne pas vouloir rivaliser avec Andersen Consulting. « Nous sommes concurrents à la marge, poursuit Olivier Chatin. Tous les pôles conseil, notamment dans les Big Five, essaient de faire de l'intégration de système, ce qui n'est pas notre cas. Nous ne souhaitons pas occuper le créneau des missions à gros montants qui dépassent les 100 millions de francs, mais plutôt nous différencier et nous positionner comme le leader des missions de stratégie opérationnelle, très proches du terrain, qui restent dans des fourchettes de moins de 10 millions de francs. » Mais il suffit de feuilleter les rapports d'activité des deux entités pour s'apercevoir qu'elles se disputent les mêmes clients ; par exemple Total, pour ne citer que lui, sur des missions qui peuvent, certes, s'avérer de nature très différente.

L'outsourcing en plein essor

Dans les deux structures, les domaines d'intervention – stratégie, reconfiguration des processus et des organisations, systèmes d'information, conduite du changement, etc. – sont assez similaires. À chacun, ensuite, d'apposer sa marque. AC revendique une offre complète, baptisée dans son jargon business integration. « Nous combinons quatre compétences afin de proposer à chaque client le spectre le plus large possible. Nos consultants sont des “réalisateurs”, capables de concrétiser les conseils prodigués », précise Benoît Genuini. Le géant du conseil a ainsi accompagné Total dans la mise en place d'un service de commerce électronique qui lui permet de dialoguer avec ses grands comptes ; ou encore le Crédit agricole, qui recourt désormais à la télévision numérique pour offrir ses services aux clients. Dans certains cas, AC va jusqu'à prendre en charge la maintenance des ERP, soit les progiciels intégrés de gestion. Pionnier en son temps, le cabinet continue également à miser sur une activité en plein essor : la gestion des services externalisés de ses clients. Au niveau mondial, l'outsourcing a généré en 1998 un chiffre d'affaires de 1,2 milliard de dollars. Cette activité occupe 9 000 salariés d'AC qui travaillent pour 140 clients dans le monde. Toute la comptabilité du groupe pétrolier BP France est ainsi assurée par soixante-cinq salariés d'Andersen Consulting.

De son côté, AAM met en avant le vaisseau amiral Arthur Andersen pour séduire le chaland. « Quelle que soit la mission, nous pouvons toujours nous appuyer sur nos fiscalistes, nos avocats, nos auditeurs…, relève Olivier Chatin. Cela nous a permis de remporter des marchés face à des concurrents plus spécialisés. » « À l'origine, et pour tous les Big Five, ce sont les auditeurs qui ont choisi de développer des activités de conseil. Et celles-ci héritent de l'image de rigueur, de réglementation de l'audit. C'est un plus pour la clientèle, même si la manière d'opérer du conseil est indépendante de celle de l'audit », souligne Serge Audouin. En pleine croissance, Arthur Andersen Management vit donc sereinement sa cohabitation avec son grand frère de l'audit. Mais le plus cocasse serait qu'AAM rêve, à son tour, d'indépendance. Même si, comme le fait remarquer Benoît Genuini, le patron d'Andersen Consulting, « l'histoire ne se reproduit jamais à l'identique »…

Les règles d'or du « partnership »

Andersen Worldwide n'est pas une holding mais une société coopérative, structure de coordination internationale. Chaque cabinet, juridiquement et « capitalistiquement » indépendant, verse ainsi sa quote-part au réseau. « Les investissements sont décidés de façon commune et financés par les différents cabinets, explique Aldo Cardoso, président d'Arthur Andersen France.

Les versements sont proportionnels à la taille, à leur capacité contributive… Plus un cabinet est grand, plus il participe à ces plans de charge. » Le jeune patron (42 ans) de toutes les activités d'Arthur reste attaché au principe du « partnership ». « Tous les associés sont détenteurs d'actions dans la structure. Chaque partner a une obligation de mise de fonds lors de son arrivée et il contribue ensuite année par année au fonctionnement du cabinet. Lorsqu'un associé s'en va, il cède ses parts sans aucune plus-value. Pour nous, ce mécanisme présente l'avantage de ne pas créer de clivages en interne et de pouvoir faire entrer de nouveaux associés sans générer d'inégalités.

Dans certains cabinets qui envisagent une introduction en Bourse, les nouveaux se trouvent désavantagés : au fur et à mesure que le cabinet grandit, ils sont tenus de verser toujours plus pour moins de capital. »

Auteur

  • Sandrine Foulon