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Vie des entreprises

Jean-Paul Bailly a sorti la RATP des grèves à répétition

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.05.1999 | Frédéric Rey

Arrivé au terme de son mandat à la RATP, Jean-Paul Bailly affiche un bilan flatteur. Depuis un accord de 1996, le dialogue social est décentralisé et les arrêts de travail intempestifs sont en chute libre. Les 35 heures sont en bonne voie. Reste un sacré cactus : la réforme du régime de retraite maison.

Jean-Paul Bailly, champion de la longévité ! Les patrons de la RATP sont souvent assis sur un siège éjectable. Du moins depuis dix ans. Christian Blanc a claqué la porte en 1992, à la suite d'un désaccord avec le gouvernement sur la question d'un service minimal. Son successeur, Francis Lorentz, a été débarqué au bout d'une année. Tandis que le discret Bailly, pur produit de la maison, va achever en juin son mandat de cinq ans. Il se paie même le luxe d'être favori pour un second tour. Le plus surprenant dans cette histoire, c'est que les syndicats de la RATP sont les meilleurs avocats pour réclamer son renouvellement. Jean-Paul Bailly aurait-il réussi à dompter les relations sociales dans une entreprise traditionnellement frondeuse ? « C'est un homme très à l'écoute, qui sait prendre en compte nos revendications », reconnaît Jean-François Llos, responsable des autonomes, bien implanté parmi les conducteurs de métro. « Il a réussi à responsabiliser les organisations », estime Christian Lacroix, administrateur salarié cégétiste.

Deux faits marquants sont à mettre à l'actif du PDG de la RATP. Tout d'abord, la remontée de la courbe de fréquentation du métro et des bus grâce à une amélioration de la qualité des services et à une nouvelle politique tarifaire. Entre 1997 et 1998, 2,8 % de voyageurs supplémentaires ont pris « leur seconde voiture ». Au niveau social, c'est surtout la signature en juin 1996 d'un accord innovant qui a remis à plat l'attribution des moyens octroyés aux organisations syndicales et créé un outil de prévention des conflits : l'alarme sociale. Une sorte de super préavis mis à profit pour éviter l'arrêt de travail, repris par Air France dans son accord avec les pilotes. Le bilan globalement positif de son application fait de la RATP une vitrine sociale des entreprises publiques. « Lorsque je regarde la SNCF d'aujourd'hui, souligne Gilles Sacchi, responsable de la CFDT RATP, j'ai l'impression de voir la Régie des années 80. »

1 DÉCENTRALISER LE MANAGEMENT

Il y a encore dix ans, la RATP était un mastodonte public au management et à la politique sociale hypercentralisés. En 1990, Christian Blanc y insuffle souplesse et autonomie. Le mammouth a été réorganisé en plusieurs départements (métro, bus, RER, matériel roulant ferroviaire, etc.) comportant des unités décentralisées fonctionnant de façon autonome.

Chaque ligne de métro, par exemple, est une petite entreprise libre d'organiser le recrutement, la formation et le déroulement de carrière de ses agents. Les patrons des unités disposent notamment d'une marge de manœuvre sur le montant et la répartition des primes, lesquelles représentent 10 % de la rémunération (la moyenne des salaires s'élève à 14 500 francs brut, avec un minimum de 8 000 francs). Jean-Paul Bailly, qui a été le directeur des ressources humaines de Christian Blanc, a poursuivi l'œuvre de son prédécesseur.

L'accord de 1996, relatif au droit syndical et à l'amélioration des relations sociales, a conforté cette décentralisation en organisant le dialogue social au niveau des établissements. Et il a surtout modifié le paysage syndical. Jusqu'alors, le système d'attribution des moyens avait pour effet pervers de favoriser l'émiettement syndical et la surenchère à la veille de chaque élection des instances représentatives du personnel. Les grandes confédérations étaient morcelées en trente-quatre « sous-syndicats » catégoriels (maintenance, conducteurs de métro, machinistes, maîtrise, encadrement). L'accord de 1996 a limité le nombre d'interlocuteurs aux sept familles syndicales (CGT, CFDT, CGC, CFTC, FO, syndicats indépendants, Coordination des syndicats autonomes). Toutes les organisations ont approuvé cette réforme, sauf la CGT, qui estime avoir perdu 50 % de ses moyens. « Cette restructuration des relations était une étape indispensable avant la mise en place de l'alarme sociale, estime Jean-Paul Bailly. Dans une entreprise où les responsabilités n'étaient pas déconcentrées, son principe était absolument inapplicable. »

2 SORTIR DE LA GRÉVICULTURE

La nécessité d'améliorer le dialogue social à la RATP a toujours été l'une des principales préoccupations de ses dirigeants. L'histoire de l'entreprise a été régulièrement émaillée de conflits durs, en 1988, en 1992 et en 1995, qui sont autant de mauvais souvenirs pour les usagers. Dans cette maison, à forte culture ingénieuriale, l'excellence de la technique a longtemps primé sur une bonne pratique des relations sociales qui ont conservé un vieux goût de lutte de classes. Cet archaïsme a frappé Josette Théophile, la directrice des ressources humaines, dès son arrivée : « C'était la répétition d'une pièce vieille d'un siècle, mais avec des syndicats qui en avaient perdu le texte et les costumes. »

Illustration de ce blocage : le nombre de préavis déposés chaque année était impressionnant. En 1994, leur nombre frôle les 500. L'entreprise est engluée dans la culture de la grève, seul moyen possible de régulation sociale mais qui ne satisfait personne. « Nous en arrivions à une situation caricaturale, souligne Bernard Gitler, administrateur salarié. On ne connaissait parfois même pas la teneur du désaccord, qui n'était jamais formalisé. » C'est Christian Blanc qui va, le premier, prendre le taureau par les cornes et proposer de nouvelles pistes, notamment à travers l'expérience de la médiation. Jean-Paul Bailly reprend le flambeau et lance en 1995 les premières discussions sur ce thème lorsque survient l'annonce du plan Juppé pour la Sécurité sociale.

Pendant plus de trois semaines, pas un bus ni un seul métro ne sortent du garage. La paralysie totale de la région parisienne, en décembre 1995, a encore accentué la prise de conscience d'un nécessaire changement. Plusieurs facteurs ont joué ; notamment la résurgence du sempiternel débat sur le service minimal. Et surtout, pour la première fois, la direction ne cède pas d'un iota sur le paiement des jours de grève. Les salariés grévistes ont seulement eu le choix entre prendre leurs jours de congé ou supporter financièrement le conflit pendant plusieurs mois.

Après la crise, la lucidité reprend le dessus. En six mois, les négociations débouchent sur un accord. Résultat : le nombre de préavis déposés a fortement régressé. Même lors des journées de grève, les comportements changent. Ainsi, en pleine négociation sur les 35 heures, l'arrêt de travail du 7 avril dernier a essentiellement affecté les lignes 2 et 9 du métro, fiefs de la CGT, mais seulement entre 9 heures et 14 heures. « Avant, la règle consistait à stopper le trafic surtout aux heures de pointe, là où ça fait le plus mal », rappelle Josette Théophile. « Notre organisation n'était pas la dernière à déposer des préavis, avoue Jean-François Llos, responsable des autonomes, aujourd'hui nous sommes moins excessifs. » Dans le cadre de l'alarme sociale, les deux parties formalisent leur position. « C'est aussi simple que cela, ajoute le syndicaliste. Les directeurs nous ouvrent plus facilement leur porte et tout le monde compare le coût d'une grève avec celui d'une autre réponse. » L'alarme sociale, moins conflictuelle, a également permis une régulation des rapports, « ce qui nous rapproche aujourd'hui des modèles allemand ou scandinave », souligne, avec un brin de fierté, Bernard Gitler, administrateur salarié.

3 PRATIQUER LA CONCERTATION TOUS AZIMUTS

Jean-Paul Bailly croit à la vertu du travail en groupe. Il teste cette méthode la première fois en 1995 en conviant les syndicats à une journée de travail à l'extérieur de l'entreprise. Ni réunion de négociation ni grand-messe, elle doit permettre de dépassionner le débat en offrant la possibilité aux deux camps de prendre de la distance avec leur rôle traditionnel. Cinq groupes paritaires sont alors constitués sur le service public, le dialogue social, le progrès partagé, l'emploi et la protection sociale. Il faut dire que le PDG de la RATP connaît bien les leaders syndicaux, avec lesquels il lui arrive de travailler main dans la main. Comme lorsque le FN a eu, en 1997, la velléité d'implanter une organisation au sein de la RATP. Direction et syndicats ont fait cause commune.

Exemple de concertation réussie : les négociations préalables à l'ouverture de Meteor, quatorzième ligne de métro, entièrement automatisée. Les discussions avec les conducteurs, caste qui dispose d'une force de frappe non négligeable au sein de la RATP, ont été engagées trois ans avant la mise en service de ce métro high-tech. Elles ont abouti à la signature d'un accord maintenant un niveau d'effectifs identique à celui des lignes traditionnelles grâce au redéploiement du personnel vers d'autres activités, notamment l'accompagnement des voyageurs. Le compromis trouvé n'a pas oublié les conducteurs. Ceux qui sont affectés sur cette ligne et exercent ces nouveaux métiers bénéficient d'un meilleur déroulement de carrière, en accédant directement au rang d'agent de maîtrise. « Sans cela, nous n'aurions jamais admis cette nouvelle ligne », souligne Jean-François Llos. « C'est l'ensemble de l'organisation et des métiers de la ligne qui a été repensé, souligne Jean-Paul Bailly. Mais le principal succès de Meteor est d'être parvenu à mener à terme une négociation décentralisée sur des principes aussi fondamentaux. »

La concertation bat également son plein sur le dossier explosif du régime de retraite de l'entreprise. Avant chaque rendez-vous avec la commission Charpin, la direction rencontre les syndicats et leur en fait ensuite un compte rendu. « Nous avons le sentiment que Bailly a bien fait passer le message sur la spécificité de notre régime et sa pérennisation, souligne Gilles Sacchi, de la CFDT, il nous donne l'impression de bien défendre notre statut. »

4 S'ENGAGER SUR LES PROBLÈMES D'INSÉCURITÉ

Injures, crachats, jets de pierre… Depuis une dizaine d'années, les 10 000 conducteurs et machinistes de la Régie sont de plus en plus exposés à la violence. En 1997, 720 agressions ont été recensées. Le dépôt de bus de Pavillon-sous-Bois, en banlieue nord, bat tous les records. Jean-Paul Bailly a compris très vite l'impact de cette délinquance sur le personnel. Dès 1988, il avait mis en place une procédure d'accompagnement juridique des salariés agressés. « Les agressions sont la principale cause des arrêts spontanés de travail. Les victimes ne se remettent pas toujours psychologiquement de cette violence, ce qui peut entraîner des décisions d'inaptitude », explique Christian Lacroix, administrateur salarié, qui s'est vu confier par le PDG une mission sur la prise en charge des victimes d'agressions.

Le sentiment de ras-le-bol contre l'insécurité déborde les syndicats qui ne parviennent pas toujours à canaliser les mouvements de colère. « Les agents ont l'impression que tout le monde se désintéresse de leur sort », explique Christian Lacroix. Jean-Paul Bailly veut montrer qu'il n'en est rien. Il préside tous les six mois une table ronde sur la sécurité. 800 postes supprimés dans le secteur de la maintenance vont être transformés en emplois de sécurité. Un millier de vigiles, matraque à la ceinture, sillonnent déjà le réseau. Enfin, en septembre, la Régie ouvrira un institut d'accompagnement post-traumatique qui proposera un soutien psychologique immédiat aux salariés agressés.

Mais la politique de la maison n'est pas uniquement curative, elle est aussi préventive. « Notre vocation n'est pas seulement de transporter plus, mais aussi de mieux faire vivre la ville, explique Jean-Paul Bailly. En 1996, l'entreprise a décidé d'investir 3 millions de francs pendant cinq ans dans une fondation pour lutter contre toutes les formes d'exclusion. Des efforts sont faits en direction des jeunes des cités. Chaque année, la RATP permet à 60 000 d'entre eux de partir en vacances ou d'accéder à des bases de loisirs. L'entreprise est aussi à l'origine des « grands frères », ces médiateurs chargés de faciliter les relations entre jeunes et machinistes dans les bus. La direction s'est aussi engagée sur la création d'un millier d'emplois jeunes d'ici à la fin de l'année dans ce domaine sensible.

Mais Jean-Paul Bailly a d'autres dossiers autrement plus périlleux à affronter. Et, au premier chef, la refonte du régime de retraite de l'entreprise. La première tentative amorcée par le gouvernement Juppé a avorté après cinq semaines de conflit. La méthode utilisée par Lionel Jospin fait montre d'une plus grande prudence. Mais le sujet est tellement sensible auprès des salariés de la RATP qu'une réforme intempestive pourrait venir troubler la paix sociale que Jean-Paul Bailly s'est efforcé de construire.

Entretien avec Jean-Paul Bailly
« Si les retraites ne sont pas négociées dans les entreprises publiques, l'explosion de 1995 se reproduira »

Pour Jean-Paul Bailly, la première fois n'a pas été la bonne. Alors que Christian Blanc en faisait son favori pour lui succéder, le gouvernement Bérégovoy lui préfère en 1992 l'ancien patron de Bull, Francis Lorentz. Mais, à l'échéance suivante, Jean-Paul Bailly prendra sa revanche. Homme du sérail, il a toujours disposé de nombreux appuis à l'intérieur de l'entreprise. Polytechnicien et titulaire d'un master d'une université américaine, il est entré à la Régie en 1978. Directeur des ressources humaines quand Christian Blanc présidait l'entreprise, il poursuit aujourd'hui le travail de modernisation lancé par son prédécesseur. Mais cet ingénieur de 53 ans sait aussi oublier les dossiers techniques ou stratégiques pour s'intéresser aux relations sociales ou au rôle spécifique que doivent jouer, selon lui, les services publics dans la ville.

Quel bilan tirez-vous de l'accord de 1996 sur l'amélioration du dialogue social, qui a créé une procédure d'alerte à la RATP ?

Ce protocole marque incontestablement un tournant dans les relations sociales de l'entreprise. Nous avons vraiment progressé dans le dialogue, la compréhension et le respect mutuel des différents partenaires. La vague d'attentats de l'été 1995, puis les grèves du mois de décembre, ont provoqué un véritable électrochoc dans les esprits, une prise de conscience de la nécessité de faire de la RATP une référence parmi les entreprises à statut chargées d'un service public. Pour la première fois, les syndicats ont signé un texte précisant que le dialogue n'a pas seulement pour objectif le progrès social dans l'entreprise, mais aussi la qualité du service au voyageur, au client. C'est une avancée majeure.

Qu'est-ce que l'accord a changé dans les relations sociales ?

Cet accord a structuré le dialogue social en définissant les thèmes à aborder et le niveau auquel ces questions doivent être posées. D'où un dialogue plus approfondi et plus concret. Auparavant, le directeur général de cette maison passait son temps – au moins une fois par semaine – en réunion intersyndicale, ce qui n'empêchait pas les gens de se lamenter sur l'absence de dialogue social.

Aujourd'hui, je n'interviens qu'exceptionnellement dans la conduite de la négociation. Cela dit, notre procédure d'alerte – « l'alarme sociale » – a ses limites. C'est le cas lorsqu'un mouvement d'ampleur nationale, comme en décembre 1995, ne peut trouver de réponse au niveau de l'entreprise. C'est aussi le cas lorsque des agents sont agressés. Les réactions se traduisent par des arrêts inopinés qui s'adressent autant à la direction de la RATP qu'aux autorités politiques.

Que pensez-vous de la façon dont la commission Charpin aborde la question des retraites, notamment celles du secteur public ?

Cette méthode très progressive est la seule possible face à un sujet qui est incontestablement difficile et délicat, en particulier à la RATP. Nous avons en effet une majorité de notre personnel pour qui la continuité du service public est une véritable contrainte dans la vie. Les roulants et les agents dans les stations, qui représentent 60 % de notre personnel, travaillent dans une organisation en trois-huit aussi bien en semaine que les week-ends et les jours fériés.

Pour compenser ces conditions particulières de travail, ces exploitants bénéficient d'un régime favorable avec la possibilité de partir en retraite à partir de 50 ans, et surtout d'un système de bonification qui leur permet de gagner des annuités, en moyenne une année tous les cinq ans (avec un cumul maximal de cinq ans).

Les agents ont le sentiment qu'il s'agit d'un contrat global dans lequel les contraintes de vie personnelle, les éléments de salaire, le temps de travail et les conditions de retraite forment un tout. Parce que la remise en cause d'un de ces éléments du contrat est extrêmement sensible, et parce que chaque régime et chaque entreprise a de très fortes spécificités, je suis de ceux qui souhaitent, si le dossier est effectivement ouvert, qu'un temps de concertation et de débat existe au niveau des entreprises.

N'est-ce pas plus risqué pour vous ?

Au contraire. Si ce temps décentralisé de débat et de concertation n'existe pas, l'explosion de la fin 1995 se reproduira. Lors de la concertation avec la mission Charpin, nous avons travaillé en totale transparence avec nos organisations syndicales. Il faut œuvrer pour aboutir à un diagnostic qui soit le plus partagé possible. C'est une étape indispensable avant de prendre toute décision sur ce sujet délicat.

Les 35 heures sont-elles un enjeu à la RATP ?

Il est loin d'être évident que la réduction du temps de travail soit la priorité des salariés de la RATP. Il y a déjà une partie importante du personnel, notamment les roulants, qui travaillent légèrement en dessous de 35 heures. Ceux-là se demandent si le jeu en vaut la chandelle, cette négociation entraînant nécessairement des contreparties dans l'organisation du travail. D'une manière plus générale, je pense que c'est moins l'effet mécanique de la réduction du temps de travail que les opportunités de création de nouveaux services qui généreront de nouveaux emplois.

Allez-vous bénéficier, comme EDF-GDF, d'aides publiques de l'État ?

Nous ne les avons pas demandées. Mais parmi le millier d'emplois qui pourraient être créés à l'occasion de la signature d'un accord, les 500 premiers le seront grâce à des modes de financement classiques comme la modération salariale et une organisation plus efficace du travail ; et les autres correspondront à une amélioration de l'offre, financée par des recettes supplémentaires et des subventions. S'il y a contribution publique, elle sera justifiée par un enrichissement de l'offre de services faite aux voyageurs.

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Frédéric Rey

Auteur

  • Frédéric Rey