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Vie des entreprises

OK pour 35 heures, mais pas touche à mon samedi !

Vie des entreprises | REPORTAGE | publié le : 01.05.1999 | Catherine Leroy

Au vif déplaisir des salariés de l'industrie, les négociations sur les 35 heures conduisent à banaliser la semaine de six jours et le travail du samedi. Devant la résistance de leur personnel, les entreprises sont contraintes de recourir à des équipes de fin de semaine ou de faire appel au volontariat.

D'accord pour la semaine de 35 heures, mais pas pour celle de six jours ! Enfin ouvertes dans les groupes industriels, constructeurs automobiles en tête, les négociations sur la réduction du temps de travail se heurtent à l'obstacle du samedi. Chez PSA, l'affaire semblait entendue. Tous les syndicats, à l'exception de la CGT, devaient signer au début de l'année. Ils se félicitaient déjà des « avancées » sociales de l'accord : un savant cocktail comportant réduction du temps de travail, 3 000 créations d'emploi et maintien des rémunérations. Les représentants syndicaux avaient émis quelques réserves sur les conséquences de la flexibilité demandée par la direction. Mais PSA s'acheminait vers un accord en bonne et due forme, plusieurs mois avant Renault, l'ex-vitrine sociale de l'automobile. La base en a décidé autrement. Dans le collimateur des salariés, l'annualisation du temps de travail, qui se traduit par des semaines de trois, quatre, cinq ou six jours, et donc par une banalisation du travail le samedi. Dans les usines Peugeot et Citroën, ce n'est pas une nouveauté. Mais, jusqu'alors, la direction avait toujours fait appel à des volontaires, payés en heures supplémentaires.

Autant dire que le tour de passe-passe proposé par le successeur de Jacques Calvet, Jean-Martin Folz, consistant à troquer ces compléments de salaire contre une diminution de la durée du travail, a été perçu comme un passage en force. Devant la résistance des salariés, la direction accepte de revoir son projet. Le travail du samedi matin sera strictement limité aux nécessités de la production et ouvrira droit soit à une majoration de salaire de 4 %, soit à un jour de repos pour deux samedis matin travaillés. Si la CGT campe sur ses positions, les autres syndicats acceptent de signer le texte.

Bilan mitigé à Douai

Quelques jours plus tard, lorsque les négociations sur les 35 heures arrivent en phase finale chez Renault, les partenaires sociaux ont en tête les déboires de PSA. Bien décidées à faire la preuve, cette fois-ci, de leur détermination à limiter les effets de l'annualisation, la CGT et la CFDT organisent des débrayages. Les organisations syndicales sont d'autant plus remontées qu'elles dressent un bilan mitigé de l'accord de flexibilité mis en place en 1997 à Douai pour faire face à la montée en charge de la Mégane. Signé par FO, la CFDT et la CGC, ce texte introduit, à la production, le travail le samedi matin une fois par mois. « Quand la direction a proposé de diminuer les horaires quotidiens et de les reporter sur le samedi, on s'est dit que ce serait facile de faire sauter ces samedis lors de la mise en place des 35 heures », remarque Éric Monpach, de la CFDT. Aujourd'hui, sans renier l'accord de 1997, il reconnaît qu'il a pu avoir un « impact négatif » sur la vie privée des salariés. « Quand on travaille six jours sur sept, on ne peut pas récupérer en une seule journée », ajoute Daniel Silvert, de la CGT, qui note, dans le bilan médical de l'usine, vingt-sept décès en 1998 (dont six suicides) contre onze en 1997, sans compter une augmentation sensible des malaises. « On s'interroge, même si on ne peut pas tout mettre sur le compte de l'organisation du travail, souligne Lydie Librizzi, de la CFTC, qui déplore une détérioration de la vie familiale. Le samedi travaillé pose des problèmes aux couples et aux parents, notamment aux divorcés, qui ne peuvent récupérer leurs enfants que le samedi après-midi quand ils en ont la garde. »

La leçon a porté. L'accord signé le 1er avril par cinq des six syndicats de Renault limite le recours au travail du samedi à quatre mois dans l'année. Chaque semaine de six jours ouvre droit à la récupération d'une journée capitalisable. La CFDT a assorti son paraphe d'une mise en garde, soulignant qu'elle sera « particulièrement attentive aux craintes exprimées par les salariés sur les questions du travail le samedi, de l'amplitude des horaires, des charges de travail » et qu'elle « n'exclut pas des actions lors des négociations décentralisées ».

Même malaise syndical chez Bosch Techniques d'automation SA, à Bonneville, en Haute-Savoie. Signataire de l'accord sur les 35 heures, également conclu en juin 1998 par la CGT et la CFE-CGC, la CFDT ne cache pas son embarras : « La direction a fait savoir qu'il fallait signer l'accord, sans quoi l'avenir du site était en danger, s'excuse Pierre Jay, de la CFDT. L'accord, qui a permis d'embaucher quatre-vingts personnes, serait impeccable si on enlevait le samedi. » Les salariés concernés sont amenés à travailler quinze samedis matin dans l'année avec, en compensation, dix-huit jours de congés supplémentaires. En cas de travail le samedi après-midi, des heures supplémentaires sont prévues. Malgré ces compensations, les salariés n'ont guère apprécié la manière dont on leur a imposé le travail du samedi : « La direction a consulté les 600 salariés de l'entreprise alors que le travail du samedi ne concernait que les 200 personnes de l'atelier. Du coup, c'est passé. »

Aujourd'hui, même s'il n'y a pas de mouvements sociaux dans l'entreprise, le climat est au mécontentement. « La pilule serait peut-être mieux passée si tout le monde avait été concerné et pas seulement les ouvriers de l'atelier, qui ont l'impression d'être les seuls à faire les frais de l'opération. » Jamel en a gros sur le cœur. Auparavant, il lui était arrivé de venir travailler une ou deux fois le samedi, en heures supplémentaires. « Aujourd'hui, c'est le client qui commande. Quand il y a du travail, tu viens. Quand il n'y en a pas, tu restes chez toi. Il y a un sentiment de précarité, ça ne va pas. » Sans compter la pénibilité. « Il y a des mois où l'on travaille deux samedis. On n'arrive pas à récupérer. Se lever à 4 heures du matin pendant six jours, avoir une journée de repos et repartir sur l'équipe le lundi après-midi, c'est très dur. Et puis, ça pose des problèmes pour la vie de famille. » Quant aux jours de compensation, ils ne peuvent être pris que lorsque le « chef est d'accord ».

Les salariés commencent à réaliser que les 35 heures ont une contrepartie. Ne pouvant guère rogner sur les salaires, les entreprises sont en effet conduites – pour préserver leur compétitivité – à échanger la réduction du temps de travail contre l'extension de la durée d'utilisation des équipements ou des heures d'ouverture au public, ou encore contre une meilleure réactivité aux fluctuations du marché. C'est dire si des bras de fer comme ceux de Renault ou de PSA risquent de se reproduire.

Il y aura toujours des volontaires

Selon les statistiques de l'Insee, près d'un salarié sur deux a travaillé occasionnellement ou régulièrement le samedi en 1998, notamment dans les secteurs du commerce, de la santé, du tourisme, des banques et, de façon générale, dans les services. « Dans ces secteurs, constate Pierre Boisard, chargé de recherche au Centre d'études de l'emploi (CEE), le samedi n'apparaît pas comme un enjeu social fort. Alors que dans l'industrie, hors feu continu, le week-end non travaillé, samedi et dimanche, est considéré comme une conquête ouvrière. Tout ce qui remettrait en cause cet acquis social est rejeté d'emblée. Surtout si c'est imposé. » Confirmation de Valère Jung, secrétaire générale de la Fédération CFTC de la métallurgie : « Nous ne sommes pas figés sur cette question. Nous ne disons pas : “Il faut ou il ne faut pas travailler le samedi.” Par contre, ça ne doit pas être une obligation. Si l'on met sur la table les tenants et les aboutissants et que l'on donne aux gens des contreparties, il y aura toujours des volontaires pour travailler le samedi. »

L'accord sur les 35 heures aux Chantiers de l'Atlantique a ainsi connu bien des vicissitudes. Une consultation effectuée auprès de 1 800 salariés, quelques jours avant sa ratification, recueille 1 500 avis négatifs. Et le 10 mars dernier, le jour de sa signature, un débrayage organisé à l'appel de la CGT (majoritaire dans l'entreprise) et réunissant entre 1 500 et 2 000 salariés (sur 3 850) retarde de quelques heures son approbation par la CFDT, FO et la CGC. En dépit d'une durée du travail ramenée de 38 heures 30 à 32 heures 40 ou 34 heures 40, du maintien du salaire, de la création de 250 emplois en CDI et de la transformation de 170 intérimaires en permanents.

Avant les 35 heures, il y avait les VSD

DRH des chantiers de Saint-Nazaire, Philippe Bouquet-Nadeau explique la réaction négative du personnel par « l'inquiétude face à des modifications d'organisation profondes ». À l'origine, la direction avait prévu de faire tourner les équipements du lundi au samedi dans le cadre du travail posté. Mais, devant le refus des salariés de travailler le samedi, elle décide d'avoir recours à une équipe de suppléants. « Il ne nous faut pas beaucoup de volontaires pour le VSD, juste un chœur de travailleurs expérimentés que l'on pourra compléter avec les embauches. »

Avant les 35 heures, le travail du samedi était bien souvent cantonné à ces fameux VSD, autrement dit aux équipes de fin de semaine, composées de volontaires ou de salariés recrutés à cet effet. « Les solutions basées sur le volontariat permettent de contourner le problème social », observe Pascal Charpentier, chercheur au GIP Mutation industrielle, qui distingue deux cas de figure. Lorsqu'il s'agit de faire travailler les salariés un samedi de temps en temps – et la tendance actuelle est justement à l'augmentation du travail occasionnel le samedi –, « l'appel au volontariat est le compromis le plus facile et le plus efficace. Comme les gens ont besoin d'argent, tout le monde y gagne. Il y a une rencontre entre l'offre et la demande de travail ».

Éviter que le samedi soit réservé aux précaires

L'entreprise de VPC Quelle France a prévu, dans son accord sur les 35 heures, la possibilité de travailler le samedi matin sur la base du volontariat avec paiement des heures majoré de 25 %. « On ne peut pas organiser l'entreprise pour avoir une meilleure productivité, être plus performant, sans proposer une plus-value aux salariés », estime le DRH de Quelle, Khelaf Bouacha. « Nous faisons appel au volontariat parce que nous n'avons pas besoin de tout le personnel de l'entreprise le samedi. Si nous avions dit que cela entrait dans le cadre de l'annualisation, nous aurions essuyé un refus. Une entreprise doit connaître sa population, ses contraintes d'organisation et proposer un accord qui soit gagnant-gagnant. » Quelle n'a d'ailleurs eu qu'un recours limité aux samedis travaillés : de trois à cinq selon les services pour la période juillet 1998-avril 1999.

« S'il s'agit, en revanche, de pérenniser le travail du samedi ou du week-end, la solution du volontariat n'est pas tenable à terme, indique Pascal Charpentier. Car les équipes de fin de semaine risquent de se marginaliser dans l'entreprise. Et les salariés finissent par en avoir assez d'être décalés par rapport aux rythmes familiaux et sociaux. » C'est la situation qu'a connue l'usine Canson d'Annonay où une équipe de fin de semaine avait été mise en place en 1988 sur la base du volontariat. La direction a dû trouver d'autres solutions lorsque les salariés n'ont plus supporté le travail du samedi. Dans le cadre d'un accord sur l'annualisation du temps de travail conclu en 1994, l'entreprise a réparti la contrainte sur l'ensemble des salariés en mettant en place des équipes en cinq-huit.

Devant la résistance des salariés de l'industrie à la banalisation du travail le samedi, le VSD risque fort de devenir une porte d'entrée quasi obligée pour les nouvelles recrues. Pour Jean-Yves Boulin, chercheur au CNRS, le travail du samedi est aussi un « enjeu d'égalité entre les différentes catégories de salariés. Il faut éviter que salariés à temps partiel et précaires y soient affectés en priorité ».

Le compromis laborieux des fonderies Bouhyer

En 1994, avec la reprise du marché, Michel Naud, le président de la fonderie Bouhyer d'Ancenis (Loire-Atlantique), décide d'allonger la durée de fonctionnement des installations de 8 à 9 heures par jour et de cinq à six jours par semaine. En échange, les salariés travailleraient quatre jours par semaine à raison de 36 heures au lieu d'un peu plus de 38 heures, avec maintien du salaire. En prime, 50 à 75 embauches seraient effectuées en CDI.

Mais les salariés doivent accepter de travailler deux samedis sur trois. Refus catégorique. La direction décide donc de faire appel au volontariat. Reste à appâter les candidats. « Les gens voyaient ce qu'ils allaient perdre avec le travail du samedi, en revanche ils ne voyaient pas ce qu'ils pourraient faire de jours de congés supplémentaires en semaine. » Michel Naud propose une compensation salariale : une majoration de 20 % pour le samedi matin et de 40 % pour l'après-midi. Le 14 avril, FO et la CFDT signent. Le lendemain, la CGT bloque l'usine. Soumis à référendum, l'accord est rejeté. « Ils n'avaient pas compris que l'on faisait appel au volontariat », soutient Michel Naud. La direction fait parvenir un exemplaire de l'accord avec ses implications concrètes à tous les salariés et leur demande de choisir leur organisation du travail. 41 souhaitent conserver l'ancien horaire, 129 acceptent de travailler quatre jours par semaine, un samedi sur deux, et 32 acceptent l'horaire sur quatre jours incluant le samedi après-midi.

La situation est débloquée. En 1996, la conjoncture s'inversant, un accord Robien volet défensif est conclu. La semaine est ramenée à 34 heures en moyenne. La direction en profite pour alléger les horaires du samedi. Aujourd'hui, seule une quinzaine de personnes ne travaille pas ce jour-là.

Auteur

  • Catherine Leroy