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Vie des entreprises

Les précautions juridiques à l'embauche

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.03.2001 | Joël Colbeaux

Revers de l'embellie du marché du travail, les entreprises sont confrontées à un turnover grandissant. Pour se prémunir du « nomadisme » de leurs collaborateurs, elles s'attellent aujourd'hui à les fidéliser. Inventaire des techniques juridiques – clauses défensives ou incitatives du contrat de travail – les plus couramment utilisées.

Pour protéger l'entreprise contre les agressions des concurrents (parfois des clients) qui veulent débaucher ses meilleurs éléments, la seule arme juridique reste le contrat de travail. Souvent perçu comme une simple formalité, celui-ci est négligé par les employeurs qui mesurent mal la portée des obligations contractuelles.

Or la sécurité de l'entreprise en matière d'emploi passe par la réhabilitation du contrat de travail : la liberté contractuelle, parfois bridée par le droit du travail, offre un arsenal de techniques juridiques pour éviter qu'un turnover trop élevé n'affaiblisse les moyens humains de l'entreprise. L'inventaire des principales clauses défensives permet d'en mesurer leur efficacité mais aussi leurs limites (A). Toutefois, ces clauses défensives ne peuvent à elles seules contenir les risques de déperdition des compétences. Le contrat peut aussi comporter des clauses attractives ou incitatives (B).

A. – Les clauses défensives

Destinées à protéger les intérêts de l'entreprise, ces clauses restreignent la liberté du salarié de travailler pour le compte d'un autre employeur.

L'objectif des clauses défensives est d'alourdir les conditions de départ du salarié en mettant en jeu sa responsabilité contractuelle, de telle sorte que le salarié se trouve le plus souvent contraint d'indemniser son employeur (exemple : clause de dédit formation).

Elles doivent être légitimes, c'est-à-dire indispensables, justifiées et proportionnées au but recherché. Cela résulte de l'article L. 120-2 du Code du travail (loi du 31 décembre 1992), au terme duquel « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». La jurisprudence actuelle illustre l'application de ce principe essentiel qui conditionne, de manière générale, la validité des clauses défensives (voir à ce propos la jurisprudence relative à la clause d'exclusivité : Cass. soc., 11 juillet 2000 Marchal c/Pimouguet).

Bien qu'il n'existe pas d'inventaire exhaustif de toutes les clauses contractuelles défensives, il est possible de les classer selon la technique employée :

a) Les clauses dissuasives créent une obligation à la charge du salarié lors de la rupture du contrat de travail (dédit formation, non-concurrence).

b) Les clauses restrictives limitent les possibilités de rompre le contrat de travail (stabilité d'emploi).

1° La clause de dédit formation

Elle impose au salarié de demeurer au service de l'entreprise pendant une certaine durée en contrepartie d'une formation. En cas de non-respect du délai, le salarié s'engage à rembourser une fraction du coût de la formation.

Sa licéité est reconnue par la jurisprudence : « Les clauses de dédit formation sont licites dans la mesure où elles constituent la contrepartie d'un engagement pris par l'employeur d'assurer une formation entraînant des frais réels au-delà des dépenses imposées par la loi ou la convention collective et où elles n'ont pas pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner » (Cass. soc., 17 juillet 1991, Jourdan/Fidal).

Toutefois, la loi l'interdit dans les cas suivants : formation professionnelle réalisée en partie en dehors du temps de travail ou coïnvestissement (C. trav., art. L. 932-1) et contrat de qualification (C. trav., art. L. 981-10).

En pratique, la clause doit être précise sur les points suivants : la nature de la formation suivie ; le coût de la formation ; les conditions de l'engagement du salarié, notamment le point de départ de l'obligation ou sa durée, qui doit rester raisonnable compte tenu de la nature de la formation et du profit que peut retirer l'entreprise de la formation dispensée.

Elle doit en outre préciser les cas de rupture dans lesquels elle s'applique (en principe la démission) et les modalités d'amortissement de la formation : linéaire (coût de la formation divisé par nombre de mois fixé par la clause), dégressive (pourcentage de remboursement plus fort dans les premiers mois). À noter que cette indemnité est considérée comme une clause pénale et qu'elle peut être réduite par le juge sur le fondement de l'article 1152 du Code civil.

2° La clause de non-concurrence

Cette clause limite les possibilités du salarié de s'engager au service d'un autre employeur ou de créer sa propre entreprise en cas de rupture du contrat de travail. Elle peut être assortie d'une clause de non-débauchage qui interdit au salarié de débaucher lors de son départ des salariés en poste au profit d'une autre entreprise concurrente ou non. Les conditions de validité sont bien connues et s'inscrivent dans le principe de légitimité fixé à l'article L. 120-2 du Code du travail :

a) La clause doit être limitée dans le temps ou l'espace (condition alternative et non pas cumulative).

b) Le champ professionnel objet de l'interdiction ne doit pas conduire l'intéressé à changer de métier (pas d'atteinte excessive à la liberté du travail).

c) Elle doit être justifiée par la protection des intérêts légitimes de l'entreprise (Cass. soc., 14 mai 1992, Godissart/Soulhiol – pas de clause de non-concurrence pour un laveur de vitres).

Au-delà, elle doit être conforme aux dispositions de la convention collective, notamment en ce qui concerne la durée et l'éventuelle contrepartie pécuniaire. L'on ne saurait trop conseiller d'observer la plus grande rigueur dans la rédaction d'une clause de non-concurrence et d'indiquer dans le contrat lui-même la justification même de la clause.

La clause de non-concurrence se révèle un instrument juridique puissant dont l'efficacité dépend, d'une part, de la « traçabilité » du salarié après son départ de l'entreprise, à condition que les concurrents soient bien identifiés, et, d'autre part, de la « menace » que comporte la clause notamment par la mise en jeu de la responsabilité du nouvel employeur, une fois que celui-ci aura été informé de l'existence de la clause et de la possibilité d'obtenir sous astreinte la cessation de l'emploi du salarié.

3° La clause de stabilité d'emploi

Cette clause a pour objectif de limiter le droit de résiliation du contrat de travail en imposant une durée minimale d'exécution. Elle est licite sous réserve de respecter le principe de légitimité (C. trav., art. L. 120-2). Le plus souvent, la renonciation du salarié à démissionner dans le délai fixé par la clause trouve sa contrepartie dans l'engagement de l'employeur de ne pas procéder au licenciement de l'intéressé (sauf pour faute grave ou faute lourde).

Ce dispositif est souvent mis en œuvre en cas de reprise d'entreprise par l'acquéreur qui souhaite conserver à son service les hommes clés. En pratique, il est conseillé de motiver la clause pour mettre en évidence l'intérêt légitime de l'entreprise ou l'intérêt commun à maintenir pendant une durée minimale le contrat de travail.

La durée de l'engagement est variable et dépend des raisons qui justifient la stabilité de l'emploi. Elle excède rarement une à deux années. En cas de rupture anticipée, l'employeur qui ne respecte pas l'obligation doit au salarié – outre le préavis, l'indemnité de licenciement, etc. – une indemnité égale aux salaires restant à échoir (Cass. soc., 2 février 1999, Plâtres Bichart).

À notre connaissance, il n'existe pas de jurisprudence appliquant la même sanction en cas de rupture à l'initiative du salarié. La solution est-elle symétrique ?

Même si le contrat fixe le montant des dommages et intérêts dus en cas de rupture anticipée par l'employeur ou le salarié, il s'agit d'une clause pénale qui peut être révisée à la baisse par le juge (C. civ., art. 1152).

Si les moyens juridiques de lutter contre le « nomadisme » professionnel existent, leur efficacité dépend de la volonté de l'employeur lésé de faire appliquer la clause dans tous ses effets, en saisissant le conseil de prud'hommes, juge naturel du contrat de travail, ce qui en rebute certains.

Le risque de contentieux est d'autant plus important que, dans certaines secteurs d'activité, se développe la pratique du « rachat » de ces clauses : le nouvel employeur n'hésite pas à verser au salarié qu'il a recruté une prime à l'embauche pour dédommager l'ancien employeur. D'où la tentation de retenir le salarié par d'autres moyens.

B. – Les clauses incitatives

À l'inverse des clauses défensives qui rendent le salarié débiteur de certaines obligations lors de la rupture du contrat de travail, les clauses incitatives créent à son profit un avantage destiné à rendre attractive l'exécution du contrat de travail.

Nous nous attarderons sur deux exemples intéressants : les clauses instituant une prime de fidélité stay bonus et les indemnités contractuelles de licenciement golden parachute.

1° La prime de fidélité (stay bonus)

Cette prime est versée au salarié qui est toujours au service de l'entreprise à une date fixée par le contrat de travail : son montant est suffisamment attractif pour inciter le collaborateur à ne pas démissionner. Ce mécanisme se retrouve souvent dans les opérations de rachat d'entreprise au profit de certains salariés choisis (hommes clés) ou pour maintenir des équipes entières de collaborateurs.

Ces primes antidémission présentent l'inconvénient d'être soumises à cotisations sociales, ce qui ne les rend pas attractives… pour l'entreprise. En revanche, elles sont d'une réelle efficacité sous réserve de faire en sorte que leur versement ne soit pas trop éloigné dans le temps.

2° L'indemnité contractuelle de licenciement (golden parachute)

Classique dans les contrats de cadres supérieurs, la clause ouvrant droit à une indemnité supplémentaire de licenciement tend à se développer.

Elle offre deux avantages essentiels. D'une part, elle sécurise le salarié qui acceptera plus facilement de démissionner de son précédent emploi pour rejoindre l'entreprise, surtout si la clause s'applique au cours des deux premières années (les plus fragiles).

D'autre part, elle n'est pas soumise à cotisations sociales (sauf CSG et CRDS), ni à impôt sur le revenu dans les limites fixées par la loi (deux années de salaires plafonnées à 2 350 000 francs).

En revanche, elle présente trois inconvénients majeurs :

a) Elle crée un « effet d'aubaine » en faveur de celui qui aurait démissionné mais qui saisit l'occasion d'une proposition de modification – souvent mineure de son contrat de travail – pour être licencié suite à son refus.

b) Lorsque la clause exclut son versement en cas de licenciement pour faute grave ou lourde, elle constitue un « pousse-au-crime » en favorisant la surqualification du motif de licenciement pour éviter de payer l'indemnité.

c) Elle est considérée par la jurisprudence comme une clause pénale, et donc sujette à réduction par le juge (C. civ., art. 1152).

Un contrat de travail, si défensif ou attractif soit-il, ne suffira pas à retenir un salarié qui ne trouve pas dans l'entreprise des conditions de travail décentes et un plan de rémunération motivant. Il s'agit là d'un autre débat…

Auteur

  • Joël Colbeaux