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Les bilans de compétences ont le vent en poupe

Décodages | Carrières | publié le : 22.02.2021 | Lucie Tanneau

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Les bilans de compétences ont le vent en poupe

Crédit photo Lucie Tanneau

2020 aura été une bonne année pour tous les prestataires spécialisés dans les bilans de compétences. Besoin accru de sens au travail ou lassitude, la crise sanitaire a incité beaucoup de salariés à s’interroger sur la suite de leur carrière. Et la nouvelle application Mon compte formation a facilité les démarches, boostant ce marché, largement ouvert par la loi de la formation professionnelle de 2018.

Marie, a terminé en octobre son CDD de deux ans dans une chambre consulaire du Grand-Est. Pour elle, pas question de le renouveler, le management lui a complètement fait perdre confiance en elle. Mais que faire ? Surtout dans le contexte de la pandémie de 2019 où quitter un poste peut paraître risqué. « J’étais perdue », raconte cette trentenaire. « Cela faisait plusieurs fois que je quittais un poste après deux ou trois ans, je me suis dit que j’allais avoir un CV à rallonge, mais je ne pouvais plus travailler là où j’étais », poursuit-elle. Le bilan de compétences lui semble être l’opportunité de se poser les bonnes questions pour envisager la suite de sa carrière. « J’en avais parlé en 2019 à mon employeur mais la directrice n’avait pas voulu me le laisser faire », regrette-elle. Elle le finance donc grâce à son compte formation et commence en octobre les séances, à distance, tout en s’empêchant de regarder les offres d’emploi dans sa ville pour se « laisser guider par les résultats ». Finalement, une ancienne collègue lui envoie une offre, et à la suite des entretiens, elle décroche le poste. Elle terminera donc son bilan début 2021, avec l’accord de son nouvel employeur.

Comme pour Marie, 2020, la pandémie et ses deux confinements, aura été le prétexte, pour beaucoup de salariés, de se poser des questions sur son métier et sa carrière. Il n’existe pas de chiffres exhaustifs sur les bilans de compétence réalisés en France – le nombre est stable depuis une vingtaine d’années, à 50 000 bilans par an selon la sociologue Aurélie Gonnet –, il est donc difficile d’affirmer qu’il existe une hausse de la demande, mais les organismes spécialisés confirment l’arrivée de nouveaux profils.

« La crise économique nous amène des personnes de l’hôtellerie-restauration par exemple, ou de la construction aéronautique, secteur qui fonctionnait mais qui est complètement dans le flou désormais, que l’on ne voyait pas du tout avant », cite en exemple Thomas Vergnaud, gérant de l’agence Akoyas, qui réalise des bilans de compétences dans les villes de Niort ainsi que de Poitiers et qui projette d’ouvrir sept nouvelles agences en 2021 « pour répondre à la demande ». « Dans le secteur de l’aide à la personne aussi, rapporte-t-il, la Covid est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : les salariés ont perdu les moments qui les rendaient heureux de faire leur travail, comme les sorties, et ils ne font plus que du soin, au détriment du bien-être qui leur tient tant à cœur », analyse-t-il. « On a plus de personnes des domaines de la santé et du social, souvent des personnes avec de l’expérience qui connaissent une usure et une crise de sens passé 40 ans », renchérit Nathalie Dechelette, la directrice du Centre interinstitutionnel de bilans de compétences d’Auxerre (30 collaborateurs, 500 bilans par an), qui compte trente ans d’expérience et parle de « changement de motivations » plus que de hausse chiffrée. « On reçoit plus de demande de la part de salariés de la grande distribution aussi », complète-elle.

Épuisement et quête de sens.

« On voit trois catégories de personnes amenées par la Covid », résume Yves Trochéris, fondateur en 2018, avec sa mère et sa sœur, de l’organisme Même pas Cap, des bilans de compétences 100 % digitaux, basé à Amiens (10 salariés, 25 coachs). « Des gens qui ne se posaient pas de questions mais qui craignent désormais la perte de leur boulot à cause de la pandémie ; des gens qui dépassent les 30 ou 40 ans et dont la quête de sens est accentuée par la crise, et des gens qui étaient en première ligne pendant toute l’année, notamment les infirmiers et aides-soignants qui se sentent épuisés, qui ne se voient pas continuer encore dix ans et qui se demandent ce qu’ils vont faire après », confirme-t-il aussi. « Ce sont vraiment de nouveaux profils », analyse le jeune entrepreneur.

« On sent chez les gens venus du secteur social un épuisement professionnel et une crise de sens », note Nathalie Dechelette, d’Auxerre. « On reçoit aussi nombre de personnes que la crise sanitaire a conduit à un changement de pensée et les effets du télétravail qui leur donne envie d’un meilleur équilibre vie professionnelle/vie personnelle », raconte-elle. Outre la crise économique redoutée, la Covid a en effet renforcé la quête de sens des travailleurs, notent les organismes contactés. C’est le cas de Clémentine, notaire-collaborateur dans le Var. À la suite du burn-out d’un collègue en 2019, et à son départ non remplacé, la salariée avait pensé à partir de son étude, à cause du surmenage. Elle était finalement restée, mais avec le confinement, elle est complètement à bout. « Je me suis retrouvée avec un patron qui ne voulait pas entendre parler de télétravail, mes deux enfants de 6 et 4 ans à garder, alors que mon conjoint est en déplacement toute la semaine, raconte-elle. On a été au clash avec mon patron : il m’a demandé de choisir entre mes enfants et mon travail ! » Clémentine choisit ses enfants et demande une rupture conventionnelle. Elle a quitté son étude en août et pensait tourner la page du notariat, dégoûtée. Un de ses amis s’apprêtant à faire un bilan de compétences, et elle se lance elle aussi dans la démarche, avec la volonté de changer de secteur et d’utiliser ses autres diplômes, notamment en gestion du patrimoine. « Entre septembre et décembre, le bilan de compétences m’a permis de me poser les bonnes questions sur mon rapport au travail, mes valeurs, mes façons de travailler… et de réaliser à quel point j’aime mon métier ! » Clémentine recherche donc une nouvelle étude, avec un patron compréhensif sur les notions d’équilibre de vie. Elle a été recrutée, avec de nouveaux collèges, en janvier 2021. « Mon secteur n’a pas été touché par la Covid, mais le contexte de l’an dernier a amené les entreprises à réfléchir au télétravail, ce qui ne se fait pas du tout jusqu’à présent, ou très peu, dans le notariat, et a donc amené de nouvelles envies, car les collaborateurs et les employeurs l’ont expérimenté, de manière forcée », éclaire-t-elle. « C’est vraiment ce contexte sanitaire avec les questions d’organisation engendrées, lié à ma situation de surmenage personnel et mon âge (mieux vaut se poser la question d’une reconversion à 40 ans plutôt qu’à 55 ! sourit-elle) qui m’ont poussé à faire un bilan de compétences », résume Clémentine.

Télétravail et chômage partiel facilitent les bilans.

« Nous avons enregistré une hausse de onze points des gens qui mobilisent le bilan pour faire le point ou pour répondre à un besoin de se recentrer sur leurs fondamentaux et sur eux-mêmes, détaille Nathalie Dechelette. Et une hausse de dix points de ceux qui ont envie de changer en identifiant un nouveau projet. » Pour elle, la hausse du nombre de demandes est significative à partir de juillet 2020. « Les mois d’avant, c’était les reports du premier confinement, mais juillet est un marqueur : quand les gens ont réalisé que la crise et les nouvelles façons de fonctionner allaient durer, ils se sont tournés vers le bilan de compétences, qui permet la construction d’un projet », raconte la directrice qui observe un « réel besoin de soutien » des personnes qui frappent à sa porte. « Beaucoup de gens très compétents sont en détresse et ont besoin d’écoute mais aussi de remobilisation pour l’avenir », expose-t-elle.

« Le chômage partiel donne aussi le temps de faire un bilan (d’une durée moyenne de 24 heures) », réagit Thomas Vergnaud, qui note une augmentation de 25 à 50 % de la demande (également due à un effort fait sur la communication externe, reconnait-il). D’autant que de nombreux organismes se sont mis au distanciel, crise oblige. « Le télétravail, qui offre une meilleure maîtrise de son emploi du temps sur temps de travail et en dehors, qui permet un gain sur le temps de transport, facilite aussi l’organisation des personnes qui pensaient à un bilan mais ne trouvaient pas le bon moment », explique le consultant. Pour Yves Trochéris, à Amiens, qui avait choisi de lancer une offre exclusivement digitale, la crise et le confinement ont aussi amené un nouveau public, pour qui il était auparavant inimaginable de se poser ces questions aussi profondes sans présentiel. « La Covid a mis tout le monde au digital : les gens ont été obligés de découvrir ce format à leur travail ou pour leurs courses. En 2019 on attirait principalement des 28-45 ans, alors que désormais, les anciens réfractaires au digital arrivent », se réjouit-il.

Ainsi, le bilan de compétences est devenu la deuxième formation la plus demandée sur l’appli moncompteformation.gouv.fr, derrière le permis de conduire. Un marqueur mais aussi une raison, alors que l’application gérée par la Caisse des dépôts et consignations, mise en ligne depuis le 21 novembre 2019 clarifie les offres ainsi que les acteurs de la formation et permet à chaque personne inscrite sur la plateforme de mobiliser directement un financement sans obtenir au préalable l’accord de son employeur. « Dès l’instauration de l’application nous avons constaté une hausse des demandes de bilans de compétences », confirme Thomas Vergnaud, à Poitiers. « Il y a eu un effet d’annonce et les gens ont repris conscience qu’ils avaient des droits », analyse-t-il. Surtout, depuis la loi Pénicaud de 2018 relative à la « Liberté de choisir son avenir professionnel » réformant l’apprentissage, la formation professionnelle et l’assurance-chômage ; le marché des bilans de compétences s’est largement ouvert, « puisqu’il suffit de disposer d’un numéro de déclaration d’activité d’organisme formateur », regrette David Zoute, le président de la Fédération française des professionnels de l’accompagnement et du bilan de compétences, qui dénonce la « multiplication des organismes en tous genres, débarqués avec des formations d’une durée qui ne correspond à rien » et des prix « exotiques ». « Avant 2018 le marché était relativement protégé, mais la loi de 2018 l’a largement ouvert et il devient difficile de survivre pour les acteurs qui ne font ni communication ni marketing », analyse le président de la fédération qui regroupe 135 adhérents. « Désormais le site Moncompteformation facilite la gestion, mais ce n’est pas lui qui amène les clients », prévient-il. « En 2020 une partie de nos adhérents notent la venue de clients par anticipation de la crise économique ou une quête de sens », répète-il aussi, « mais beaucoup d’autres font face à une baisse de demandes ».

2021 devrait donc être un bon cru pour les bilans de compétences, selon lui, « à condition que le Gouvernement n’ait pas l’idée de refaire une réforme de la formation et fasse du ménage parmi les prestataires présents sur l’application », raille-t-il. « Les personnes qui ont le plus besoin d’un bilan sont aussi celles qui ont le moins accès à l’information », regrette-il. « Les cadres hyper-formés sont au courant, les exécutants pas du tout. Et ce n’est pas le report de six mois pour transférer les heures DIF qui changera la donne », prévient-il. Le président de la fédération demande donc la participation de l’Ursaff ou des caisses de retraite (et pas seulement des anciens employeurs comme c’est le cas aujourd’hui, NDLR) pour que les candidats puissent obtenir plus facilement une attestation de nombre d’heures cotisées, et faire valoir leurs droits.

Auteur

  • Lucie Tanneau