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Vie des entreprises

Weinberg, l'homme qui fédère Printemps, Fnac, Conforama…

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.05.2001 | Cathérine Lévi

D'une série d'enseignes prestigieuses acquises par François Pinault, Serge Weinberg, le président de Pinault-Printemps-Redoute, entend faire un groupe cohérent, doté d'une forte culture. Coopérations, mobilité entre les enseignes, dialogue social, rien n'est négligé pour forger l'identité de PPR.

Chiffre d'affaires en hausse de près de 27 %, bénéfice en progression de 22 % : en présentant, il y a quelques semaines, les résultats de son groupe, Serge Weinberg, le président du directoire de Pinault-Printemps-Redoute, arborait la mine d'un patron heureux. Mais le numéro un de PPR compte d'autres motifs de satisfaction. Car ce groupe jeune, créé en 1994 par François Pinault après l'acquisition de la Fnac et contrôlé par son fondateur, commence à prendre forme. Présent dans 55 pays et fort de 110 000 salariés, PPR est aujourd'hui organisé en quatre pôles : grand public (Printemps, Conforama, Fnac…), services financiers (Finaref notamment), professionnel (Rexel, Guilbert, Pinault Bois Matériaux…) et branche luxe avec Yves Saint Laurent et le dernier arrivé, l'italien Gucci. Ce patchwork d'entreprises rachetées par l'insatiable tycoon breton se structure peu à peu en un ensemble cohérent. « Quand je suis arrivé il y a cinq ans, le groupe en tant que tel était quasiment inexistant sur le plan des ressources humaines. Il fallait tout construire », confirme François Potier, le DRH corporate (du groupe). Un enjeu majeur pour PPR, qui a placé les ressources humaines au cœur de ses réflexions stratégiques.

1 CRÉER UNE IDENTITÉ DE GROUPE

Les 110 000 salariés du groupe font partie d'une seule et même entité : PPR. Le principe est clairement affiché dans le groupe de François Pinault. Mesure à valeur de symbole, un premier plan d'actionnariat salarié VIA (value in action) a été lancé en juin 2000 dans 15 pays. Il a concerné 75 000 salariés. En 2001, l'expérience va être renouvelée à une plus grande échelle. Les collaborateurs ont acquis 0,65 % du capital, et l'objectif est d'atteindre 2 à 4 %. Farouchement attaché à cette notion de groupe, Serge Weinberg n'est pas pour autant un adepte de la centralisation. Pas question de toucher à la sacro-sainte autonomie des enseignes, indispensable dans les métiers de services.

« Dans la galaxie PPR, nous sommes une fédération de PME. Une majorité de nos magasins compte de 150 à 200 personnes. La force de notre entreprise réside dans notre management de proximité », fait ainsi valoir Michel Perchet, DRH de la Fnac. Mais toutes les entreprises du groupe doivent aller dans la même direction. À chacune de construire sa propre politique de ressources humaines, à partir des grandes lignes fixées par le siège. Une structure allégée puisque une centaine de personnes seulement entourent Serge Weinberg, place Henri-Bergson à Paris. « Nous ne voulons pas plaquer des modèles, mais donner du sens », précise François Potier, le DRH. Les enseignes doivent intégrer les valeurs communes – voir vrai, parler vrai, porter l'ambition au plus haut, avoir le sens du temps, dominer la complexité – dans leur propre culture. Le livret d'accueil des nouveaux salariés de Pinault Bois Matériaux présente ainsi, côte à côte, les valeurs du groupe et les valeurs de l'enseigne. Ce souci de cohésion de groupe se décline de façon très concrète dans l'organisation d'actions et de programmes. La mécanique commune est désormais bien lancée. Mais cette « politique PPR » n'est pas toujours acceptée de gaieté de cœur dans des enseignes à forte culture, habituées à leur indépendance et, souvent, à un style de management plus traditionnel.

2 MULTIPLIER LES PROJETS TRANSVERSAUX

Travailler ensemble. Tel est le mot d'ordre de Serge Weinberg, qui veut tirer parti de la force de frappe du groupe. Tout a commencé par la création de clubs interenseignes, chacun animé par un patron de filiale (on en compte 16 au total), qui échangent expérience et savoir-faire sur des sujets d'intérêt commun. Par exemple, l'aménagement des magasins, l'informatique, la qualité du service. PPR repère les meilleurs projets concernant les ventes, la logistique, la distribution ou les achats, et s'ils sont jugés rentables, crée une société ad hoc. On en compte une dizaine en phase d'incubation ou déjà sur les rails : les chèques-cadeaux (Kadéos), les cartes interenseignes, une place de marché électronique pour les acheteurs, un service après-vente partagé, un centre d'expertise e-commerce (PPR Interactive). Ces start-up facturent leurs services aux différentes enseignes du groupe ou se lancent sur le marché. Il s'agit de petites structures qui recrutent leurs collaborateurs aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du groupe.

Serge Weinberg a d'ailleurs nommé il y a un an un patron de la transversalité, Yves Barraquand, avec rang de directeur général adjoint, chargé d'assurer la promotion des initiatives à l'intérieur du groupe. Pour chaque dossier de coopération, l'autre personnage clé est le chef du projet qui travaille avec un comité de pilotage, comprenant aussi bien les présidents d'enseigne que des membres du personnel. « C'est un chef d'entreprise, un commerçant, un chief evangelist comme dans le high-tech américain », affirme Yves Barraquand. Car il doit convaincre les salariés de donner de leur temps, alors que chacun est confronté à des exigences fortes de résultat dans son activité, et de s'impliquer dans des groupes transversaux où il ne s'agit plus seulement d'échanger mais de partager. Une vraie révolution dans un univers encore cloisonné où les responsables restent attachés à leur autonomie commerciale. Prochaine étape, toutes les activités susceptibles d'être mises en commun, selon le modèle anglo-saxon du share service center, seront concernées. De quoi inquiéter certains syndicats comme la CGT qui y voient là un risque, à terme, de réduction des effectifs.

3 ENCOURAGER LA MOBILITÉ D'UNE ENSEIGNE À L'AUTRE

Autre moyen de partager les expériences et d'insuffler un esprit commun, la mobilité entre les enseignes est fortement encouragée. Le principe vaut à tous les niveaux de responsabilité. Plusieurs cadres dirigeants ont ainsi franchi des frontières, hier encore totalement hermétiques, à l'instar de Per Kaufmann, l'ancien d'Ikea récemment nommé à la tête de Conforama après avoir été le patron de France Printemps. De tels changements sont pourtant à opérer avec prudence : « Ils peuvent donner lieu à des jeux de chaises musicales et favoriser les stratégies d'acteurs », observe un consultant en management.

Les transferts des cadres sont généralement compliqués. « En 1997, lorsque nous nous sommes lancés, c'était, culturellement difficile, car les enseignes pouvaient craindre de perdre leurs talents. Il fallait rompre avec les habitudes », reconnaît Bénédicte Lefebvre du Preÿ, directrice du développement des ressources humaines du groupe. À l'époque, seulement une vingtaine de cadres changeaient d'enseigne chaque année. Aujourd'hui, ils sont 150. Une goutte d'eau en comparaison avec les 1 400 personnes qui bougent annuellement dans le groupe.

Pour lever les obstacles d'ordre culturel, PPR a créé un journal interne, Moove, qui diffuse des offres d'emploi émanant de toutes les enseignes. Une version intranet vient de voir le jour. Pour répondre, inutile de solliciter l'avis de sa DRH, les règles de confidentialité sont strictement observées ! Il suffit de prendre contact avec la personne chargée du dossier et de prévenir son supérieur hiérarchique lors de la signature du contrat dans la société d'accueil. Une bouffée d'oxygène pour les cadres qui veulent évoluer. C'est le cas de Valérie Lovocat, 38 ans, qui est passée de La Redoute, où elle formait des décoratrices de magasins, au Printemps Italie, où elle s'occupe d'aménagement intérieur. Mais certains cadres restent réservés. « La mobilité peut être un accélérateur de carrière, mais tout cela a un côté un peu forcé. Il faut laisser les gens vivre, estime un cadre du Printemps. Une mobilité trop poussée peut être synonyme de perte de savoir-faire, ce qui est préjudiciable aux clients. »

PPR souhaite également développer la mobilité parmi les employés, en s'appuyant sur un dispositif d'emploi collectif qui traitait jusqu'à présent exclusivement les reclassements subis. Une plaquette présentant l'ensemble des métiers et des fonctions du groupe vient d'être diffusée parmi le personnel. Si certains DRH ont pu se sentir bousculés par ces changements, ils sont dorénavant convaincus de leur utilité. Il est vrai que beaucoup sont arrivés récemment dans le groupe et n'ont pas de réflexes protectionnistes. Mais la mobilité est aussi un argument pour attirer des talents. « Nos collaborateurs sont fiers de savoir qu'ils appartiennent à un groupe et qu'ils ont de réelles possibilités d'évolution de carrière, explique Philippe Valade, DRH de Finaref, société implantée dans le Nord. Nous en profitons pleinement puisque toutes les enseignes sont présentes localement. »

4 INTÉGRER ET FIDÉLISER LES JEUNES

Serge Weinberg veut capitaliser sur la diversité des métiers du groupe pour attirer et fidéliser les jeunes. Une bonne façon de combler le déficit d'image dont PPR souffre encore et de compenser le faible attrait de la distribution auprès des plus jeunes. « Le principe de petites communautés indépendantes au sein d'une grande structure fonctionne bien aujourd'hui », indique Bénédicte Lefebvre du Preÿ. Arnaud Gonnet, 33 ans, directeur produits et catalogues de Somewhere, une société de la galaxie Redcats, le confirme : « C'est intéressant pour un jeune qui a de l'ambition et veut élargir ses missions de savoir qu'il existe de telles opportunités dans le groupe. » Il est bien placé pour le savoir puisqu'il va être prochainement promu à la tête de Vert Baudet Grande-Bretagne (VPC).

Pour affirmer son identité corporate, PPR, qui a accueilli l'année dernière 350 jeunes diplômés, participe avec ses différentes enseignes à une trentaine de forums et manifestations, de la course Edhec au Train de l'emploi, organisé récemment par le Monde. Mais la fidélisation des jeunes ne passe pas uniquement par des opportunités de carrière. Elle suppose une écoute attentive de leurs préoccupations et une reconnaissance de leur contribution. Dans ce domaine, peu d'enseignes rivalisent d'imagination. Pour créer un nouvel état d'esprit, la DRH de PPR encourage la mise en place de manifestations et de groupes de travail composés exclusivement de jeunes issus de toutes les enseignes. L'enjeu est stratégique : la moitié des effectifs du groupe ont moins de 35 ans ! PPR a ainsi organisé Entre nous 2000, une journée d'échanges et de réflexion pour les 350 jeunes embauchés. L'opération va être réitérée en juin prochain.

Autre initiative, la création de SynerJY, un club d'échanges où les jeunes managers de la fonction RH comparent les pratiques en vigueur dans chaque enseigne et développent des projets motivants pour leur génération : stages internationaux, actions de solidarité et de mécénat, accueil et intégration dans le groupe… Serge Weinberg vient enfin de porter sur les fonts baptismaux le Shadow Comex, un comité exécutif junior qui réunit une quinzaine de jeunes issus de toutes les enseignes trois fois par an pour débattre de sujets communs. Au menu de la réunion de juillet prochain : la mutualisation des moyens du groupe. « La participation au Shadow Comex est une source de motivation pour les jeunes, estime Arnaud Gonnet. Elle nous permet de nous informer sur la stratégie du groupe et de nous exprimer. » Serge Weinberg en attend des retombées d'informations en provenance du terrain, un regard neuf et un discours sans langue de bois…

5 AMÉLIORER LE DIALOGUE SOCIAL

François Potier et son équipe s'attaquent aussi au chantier du dialogue social, qui ne doit pas être la pièce manquante du puzzle. « Le groupe a une vraie volonté d'améliorer le dialogue afin que tout le monde aille dans le même sens », concède Régine Wolf, déléguée syndicale CGC à La Redoute. Mais le passage de la théorie à la pratique est un vrai travail d'Hercule, car le groupe PPR offre un savant mélange de cultures et de pratiques qui s'accordent mal entre elles. « Il n'y a pas deux conventions collectives identiques », explique ainsi Nathalie Lafont, directrice du développement social du groupe. Rien que pour les 35 heures, aujourd'hui bouclées dans toutes les enseignes, plus de 60 accords différents ont été signés. Celui de Conforama joue sur la réduction du temps de travail hebdomadaire, tandis que celui de Finaref privilégie l'annualisation.

Autre frein, l'extrême diversité du paysage syndical, où CGT et CFDT sont majoritaires : toutes les organisations sont représentées au sein du groupe, mais pas dans chaque enseigne. Sur les grands dossiers, les syndicats parlent rarement d'une seule voix, comme l'ont montré les négociations sur la réduction du temps de travail. Globalement, le dialogue social partait d'un niveau très faible. À l'image des relations archaïques qui prévalent dans la distribution entre patronat et syndicats, où ces derniers font facilement de la surenchère face à un management paternaliste et très hiérarchique.

Rien d'étonnant, donc, à ce que les mentalités évoluent lentement. « Il a fallu taper du poing sur la table pour avoir à La Redoute une écoute et une reconnaissance du syndicalisme, affirme Régine Wolf. Mais aujourd'hui, nous avons enterré la hache de guerre. » Même sentiment de décrispation chez Finaref. « Quand je suis entré il y a deux ans et demi dans l'entreprise, il n'y avait aucun dialogue social, explique Philippe Valade. Aujourd'hui, nous abordons de multiples sujets. L'accord sur les 35 heures s'est bien passé. Nous n'hésitons pas, par principe, à adhérer aux idées des syndicats, si nous les jugeons bonnes. »

En revanche, les relations restent très conflictuelles à la Fnac et à France Printemps, comme l'ont illustré les négociations sur la réduction du temps de travail. Un vrai travail de bénédictin. « Nous sommes partis d'un état de non-dialogue, comme dans les grands magasins en général, regrette Hélène Rouchet, la DRH du Printemps. Chez nous, les 35 heures ont seulement été signées par la CGC et la CFTC, deux syndicats minoritaires qui ont demandé un référendum. Réalisé fin mars, il a mis un terme (avec 63,63 % de oui !) à un round de 32 réunions, étalées sur dix-huit mois. »

Nathalie Lafont, la directrice du développement social de PPR, compte beaucoup sur la mise en place du tout jeune comité européen (paraphée par la CFDT et la CGC, mais retoquée par FO et par la CGT), dont la première réunion s'est tenue fin mars pour « promouvoir un dialogue plus adulte et aborder avec les partenaires sociaux des sujets ouverts concernant les ressources humaines, la stratégie et l'organisation ». Avec 14 membres étrangers sur 20, le dialogue pourrait sortir du carcan hexagonal. « C'est intéressant et positif, reconnaît Michel Rodriguez, délégué syndical CFDT de France Printemps et membre de l'instance européenne. Encore faut-il voir si la pratique sera conforme aux déclarations de bonnes intentions et quelle sera la marge de manœuvre de cette instance. »

Même prudence de la part de Christophe Fauchard, secrétaire fédéral à la Fédération du commerce CGT, qui s'en rapporte à l'expérience du comité de groupe. « Les élus de cette instance n'ont aucun moyen et se rencontrent trop rarement pour s'informer des projets du groupe et être de vrais partenaires dans les changements sociaux entraînés par projets transversaux. » Le comité européen sera donc un vrai test. Mais, comme le fait remarquer Hélène Rouchet, « la cohésion sociale se construit sur le terrain des relations avec les syndicats, mais elle passe aussi par la qualité des échanges dans les équipes ».

6 FAIRE ÉVOLUER LE MANAGEMENT

« Serge Weinberg est très exigeant, y compris avec lui-même. Il a placé la qualité du management au cœur de ses préoccupations », estime Alain Van Groenendael, P-DG du pôle crédit et services financiers de PPR, arrivé dans le groupe en juin 2000. Rien de surprenant. Pour Alain Luchez, DRH de Pinault Bois et Matériaux, « la culture managériale doit être le trait commun du groupe ». L'objectif du président de PPR est de casser les hiérarchies traditionnelles pour les faire converger vers une culture de leadership valorisant l'animation et la motivation des hommes. Mais le mode de fonctionnement vertical et autoritaire est aussi le reflet d'une culture de résultat, forte dans la distribution, qui incite les responsables à mettre la pression sur leurs équipes. Or Serge Weinberg regarde naturellement de très près la performance économique des enseignes. Une contradiction difficile à gérer pour les managers opérationnels, qui explique peut-être que les choses n'aillent pas toujours aussi vite qu'on le souhaite au siège…

Les projets du groupe, qu'il s'agisse des coopérations transversales, de l'intégration des jeunes ou de la mobilité entre enseignes, sont autant de courts-circuits pour les hiérarchies en place. Celles-ci révèlent d'ailleurs des résistances au changement, à des degrés variables selon les entreprises. Ce qui est parfaitement ressenti sur le terrain. « Il y a un discours moderne axé sur l'éthique et la transversalité. Dans les faits, il y a encore beaucoup de petits chefs », observe un cadre de France Printemps.

Pour conduire le changement, Serge Weinberg sait manier la carotte et le bâton. Jusqu'au plus haut niveau. Afin de fédérer ses 800 cadres dirigeants autour des valeurs communes et de stimuler les talents, le groupe a récemment créé une université d'entreprise et mis en place une gestion des hauts potentiels. La DRH du groupe a également concocté un package financier attractif assorti de stock-options. Le président du groupe PPR est particulièrement sensible au fonctionnement de son comité exécutif, où se retrouvent tous les présidents d'enseigne. Plus que de professionnels du secteur, il entend s'entourer de gestionnaires « créatifs et humanistes ». Laurence Danon, ingénieur des Mines et normalienne, a ainsi été récemment nommée à la tête de France Printemps, sans rien connaître de la distribution. Avant de rejoindre le groupe, elle était directrice générale de Bostik Findley Adhesives. Mais quand le président de PPR se trompe dans ses choix, il n'hésite pas à remercier ceux qui ne font pas l'affaire.

Hyperprofessionnel, peu sensible aux courtisans, selon les cadres dirigeants qui travaillent avec lui, Serge Weinberg ne prend pas ses proches en traître. Il leur fixe des objectifs très clairs… et les évalue personnellement. « Pour réussir, avec lui, il faut être rapide et travailler beaucoup. Il peut épuiser son public », estime l'un de ses proches. Comme le remarque le DRH François Potier, chez PPR, « l'avenir appartient à ceux qui vivent le changement plutôt qu'à ceux qui lui résistent ».

Entretien avec Serge Weinberg :
« En France, depuis trente ans, il y a toujours eu plus de réglementation au profit de ceux qui ont un emploi »

Énarque policé, tout juste quinquagénaire, Serge Weinberg a plus qu'un air de ressemblance avec Laurent Fabius. Cet ancien haut fonctionnaire, resté six ans seulement dans le giron de l'État, a d'ailleurs occupé le poste de chef de cabinet du patron actuel de Bercy lorsque ce dernier était ministre du Budget, en 1981 et 1982. Les comparaisons s'arrêtent là. Aujourd'hui, Serge Weinberg est devenu une pièce maîtresse du groupe Pinault, qu'il a rejoint en 1990. Sa progression a été fulgurante. Après avoir assuré la présidence de Rexel, il a été nommé par François Pinault à la tête du directoire du groupe PPR en train de naître. Avec une main de fer dans un gant de velours, il s'efforce de transformer un conglomérat très hétéroclite en un ensemble cohérent. Loin d'être un pur financier, il est très soucieux de la qualité du management et manifeste un sens aigu de l'organisation.

Comment manager un groupe aussi diversifié que le vôtre ?

Ayant moi-même été à la tête d'une filiale du groupe, Rexel, j'ai rapidement été convaincu des mérites d'une décentralisation authentique qui consiste à ne pas tout savoir, à ne pas tout contrôler, mais à se concentrer sur les leviers essentiels.

Je ne suis pas favorable à un jardin à la française, avec des alignements bien rationnels.

En effet, la réussite d'une entreprise de services repose essentiellement sur la motivation des hommes, qui ne peut être suscitée réellement qu'au sein des équipes opérationnelles. Le fondement de notre politique de ressources humaines est là.

Mais le choix de la décentralisation ne doit pas pour autant faire obstacle à la mobilisation de moyens et à la mise en œuvre de pratiques qui tirent parti de notre taille. C'est la raison pour laquelle nous cherchons aujourd'hui à décloisonner notre structure traditionnelle, en mettant en place des actions transversales à nos enseignes, dans les domaines du service aux clients, de la logistique, des achats, ou… des ressources humaines. Les formations de dirigeants, la mobilité interenseignes et un comité exécutif juniors sont des initiatives importantes parmi d'autres lancées au niveau du groupe.

Cette transversalité est-elle bien acceptée par les responsables de vos différentes enseignes ?

Il n'y a pas d'enjeux de pouvoir qui bloquent les initiatives transversales. Par exemple, nous souhaitons « donner de l'air » aux salariés qui peuvent bouger d'une entreprise à une autre sans consulter leur supérieur hiérarchique. Plutôt que de prendre le risque de voir partir des gens de qualité, je préfère bousculer la hiérarchie. Elle est ainsi amenée à évoluer.

Au-delà, y a-t-il des règles du jeu communes à l'ensemble du groupe ?

Je suis très attaché à la diversité des hommes et des profils, mais les enseignes doivent évoluer vers un certain style de management, de principes et d'attitudes cohérents avec l'identité du groupe. Plutôt que de valeurs communes, je préfère parler de comportements. L'authenticité du dialogue est, par exemple, un élément fondamental de la confiance entre nous. Et lorsque je recrute un dirigeant d'enseigne, je regarde moins son pedigree que la façon dont il peut contribuer à faire bouger l'entreprise. À ce niveau de responsabilité, la dimension managériale, c'est-à-dire la capacité à motiver les hommes, est beaucoup plus importante que la technicité. Un dirigeant doit être moins un spécialiste qu'un meneur d'équipe.

Quel regard portez-vous sur les 35 heures et comment les avez-vous mises en œuvre ?

Compte tenu de la diversité de nos conventions collectives, le groupe a simplement fixé un cadre commun de discussion. Avec un postulat : la réduction du temps de travail est faite pour créer de l'emploi et non pour donner plus à ceux qui ont déjà. La difficulté c'est que la loi a imposé l'issue de la négociation au lieu de la laisser au libre choix des négociateurs.

Dès lors, l'idée que l'on pouvait échanger durée du travail contre salaire ne tenait pas la route. Résultat : on a créé une contrainte supplémentaire et, in fine, le coût horaire du travail a fortement augmenté.

Même si les entreprises se sont efforcées de limiter ce surcoût en jouant sur la modération salariale et les gains de productivité, cela en profitant d'une conjoncture porteuse. En outre, les 35 heures reposent sur une vision totalement dépassée, sur une conception de la pénibilité du travail qui ne correspond plus au vécu des salariés dans une société où le tertiaire occupe une place prépondérante. On aurait pu imaginer, par exemple, que les efforts des entreprises soient consacrés à augmenter la durée moyenne du travail des salariés à temps partiel subi plutôt qu'à la réduire globalement, ou à donner plus de pérennité aux emplois précaires.

Les 35 heures ont pourtant contribué à créer de l'emploi ?

Certes, mais personne n'a fait la démonstration du nombre d'emplois qu'il aurait été possible de créer avec un marché du travail moins régulé. J'ai la conviction très forte, confirmée par beaucoup d'économistes, y compris de gauche, que plus un marché du travail est lourdement réglementé, plus il joue contre l'emploi. Je ne suis pas un libéral à tous crins, je constate simplement que dans ce domaine la réglementation n'a pas fait ses preuves.

Un chômage à 9 %, cela reste un taux très élevé. Et la responsabilité en est collective. Il y a en effet une remarquable continuité des politiques sociales depuis trente ans : toujours plus de réglementation… au profit de ceux qui ont déjà un emploi.

Que pensez-vous du positionnement du Medef et de la « refondation sociale » ?

Le fait que le Medef affiche une doctrine claire permet à tous les acteurs sociaux de se positionner. Il n'y a aucune raison pour qu'il n'affiche pas ses options libérales. On a trop souffert dans ce pays d'avoir un patronat en situation de compromis historique. Ce n'est pas un consensus mou sur des thèmes périphériques qui peut créer les conditions du changement dans notre pays. Un sujet comme les retraites, qui pose à sa manière le problème de la durée du travail et de son allongement éventuel, ne peut pas être traité à la marge. Je crois, au contraire, à la dynamique du débat parce que le patronat a une attitude cohérente et que les rôles des uns et des autres sont bien campés. Il peut bien sûr, après cela, y avoir des discussions sur des choix tactiques, mais il ne faut pas les confondre avec le fond.

La réforme de l'État intéresse-t-elle les entreprises ?

Bien sûr. Nous avons souvent le sentiment que, faute de pouvoir se réformer lui-même, l'État fait porter à la partie la plus souple du corps social, c'est-à-dire aux entreprises, tout l'effort d'adaptation. Paradoxalement, plus elles subissent de contraintes de la part du législateur, plus elles font évoluer leurs structures. C'est si vrai que les gains de productivité sont très élevés dans notre pays. Mais cet immobilisme étatique, qui n'est ni de gauche ni de droite, est très préoccupant. L'efficacité de l'État passe par la réforme.

Ce n'est donc pas une question de dogme libéral. Je ne vois pas pourquoi les termes de productivité et d'efficacité seraient bannis dans la sphère publique.

On confond en France mission de service public et organisation des services publics. Je pense, ayant été moi-même fonctionnaire il y a bien longtemps, que mes anciens collègues ne sont pas, loin de là, hostiles à la réforme et qu'ils souffrent du regard qui est aujourd'hui porté sur eux. Encore faut-il trouver le chemin de la réforme. Elle implique une détermination sans faille au plus haut niveau de l'État.

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Catherine Lévi

Auteur

  • Cathérine Lévi