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Vie des entreprises

Contractualisation des objectifs (suite)

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.06.2001 | Jean-Emmanuel Ray

Désormais très strict, le droit de la modification du contrat de travail fait de la rémunération des commerciaux un casse-tête en empêchant l'employeur d'actualiser le calcul des primes d'objectifs sans l'accord du salarié. Pourquoi, alors, ne pas passer par la négociation annuelle sur les salaires ?

Rien de vraiment nouveau depuis la bonne vieille rémunération au rendement : si le contrat de travail est caractérisé par une obligation de moyens, rien n'empêche d'intéresser financièrement le salarié à ses propres résultats. Mais comment articuler cette indexation devant nécessairement être actualisée avec le désormais très rigide droit de la modification du contrat ?

1 Évolution de l'activité et rigidité du contrat

« La clause par laquelle l'employeur se réserve le droit de modifier, en tout ou partie, le contrat de travail est nulle comme contraire aux dispositions de l'article 1 134, alinéa 2 du Code civil, le salarié ne pouvant pas renoncer aux droits qu'il tient de la loi » : l'arrêt du 27 février 2001 a autant surpris les directeurs commerciaux que conforté des directions juridiques jusqu'ici bien isolées. Objet déterminé ou déterminable du contrat, clause purement potestative ou loi des parties ne pouvant être modifiée sans l'accord de tous : on imagine mal en droit des obligations une convention permettant à l'une des parties d'en modifier à son gré les stipulations, a fortiori en droit du travail, comme le souligne l'arrêt précité.

Mais alors, comment faire pour motiver financièrement des commerciaux vendant par exemple hier des milliers de trottinettes alors qu'aujourd'hui ce marché s'effondre ? Si leur accord individuel total est nécessaire, n'est-ce pas offrir aux meilleurs d'entre eux un droit annuel à l'auto-licenciement par ailleurs largement indemnisé ? Car leur refus de vendre désormais des rollers à un taux de commission différent ne peut constituer une cause réelle et sérieuse, et a fortiori une faute (suppression de l'équivalent d'un fixe : prise d'acte requalifié en licenciement, Cass. soc., 17 avril 2001). Rappelons qu'en matière de rupture, cette fois, l'insuffisance de résultat invite le juge à vérifier « si les objectifs fixés étaient réalistes et si le salarié était en faute de ne pas les avoir atteints » (Cass. soc., 13 mars 2001) : or, si elle se place sur le terrain disciplinaire, l'entreprise ayant réduit une prime pourrait se voir reprocher une sanction pécuniaire illégale. Risquant de devenir un ticket départ annuel, la bonne vieille contractualisation individuelle des objectifs semble donc appartenir au passé.

2 Passer par la négociation collective annuelle obligatoire ?

Idée a priori farfelue, s'agissant de populations ayant parfaitement intégré le refrain de 1967 : « et moi, et moi, et moi ».

a) Même sur la base de règles collectives, quel syndicat va légitimer une pratique d'individualisation contenant a priori la promesse de son affaiblissement futur ?

b) Si un avenant réduit ou supprime une prime d'objectifs, le ou les syndicats majoritaires pourront faire usage de leur droit d'opposition, fragilisant encore davantage le pauvre signataire.

c) En cas de blocage total de la négociation de révision, il ne restera à l'employeur que la déclaration de guerre sociale que constitue la dénonciation globale de l'accord collectif initial.

d) En cas de fusion ou de restructuration, l'article L. 132-8 du Code du travail indique que, en l'absence d'accord de substitution au bout de quinze mois, il y aura maintien des avantages individuellement acquis, c'est-à-dire « procurant au salarié présent (avant la fusion) une rémunération correspondant à un droit déjà ouvert, dont il bénéficiait à titre personnel » (Cass. soc., 13 mars 2001).Ce qui est le cas d'une prime d'objectifs… et nous ramène au problème précédent puisqu'il y aura alors incorporation de la prime au salaire contractuel. Droit de la modification : le retour.

Il existe cependant quatre bonnes raisons de réfléchir à ce passage d'une renégociation individuelle annuelle à la négociation collective annuelle obligatoire :

• Les salaires effectifs étant légalement au menu de la négociation collective annuelle, il paraît difficile, particulièrement depuis l'arrêt en forme de rappel à l'ordre du 28 novembre 2000, d'en évacuer totalement les primes d'objectifs, lesquelles se démocratisent à vue d'oeil en particulier avec les 35 heures.

• Cette négociation intervenant tous les ans, une actualisation régulière sur ce rythme est possible.

• En application de l'article L. 132-7, un avenant pourrait ainsi faire évoluer chaque année les taux de commission et autres primes d'objectifs, désormais conventionnelles, sans que puisse être évoquée l'hypothèse d'une modification du contrat lui-même, avec la menace d'un plan social à la clef depuis la jurisprudence Majorette.

• Particulièrement en ce domaine où le reproche de « la tête du client » est omniprésent, légalité doit aujourd'hui se conjuguer avec légitimité : une contractualisation collective va en ce sens. Et, in fine, la performance d'une entreprise est toujours collective.

FLASH

« Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. »

L'arrêt du 2 mai 2001, notant que le courrier en cause ne contenait aucuns propos injurieux, diffamatoires ou excessifs (mais aussi absence d'atteinte à la vie privée ou divulgation d'informations confidentielles), écarte à juste titre du débat le droit d'expression direct et collectif visé à l'article L. 461-1 du Code du travail évoqué à tort par l'arrêt Clavaud.

Il doit être rapproché de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (CEDH, 29 février 2000) et de celle de la CJCE (6 mars 2001) ; Même évolution dans les trois cas : le salarié-citoyen des années 60 a cédé la place au citoyen- -salarié (cf. loi du 31 décembre 1992 : C. trav., art. L. 120-2). Avec la montée en puissance, au même rythme et pour les mêmes raisons, des principes du respect de la vie privée et du secret des correspondances, cette évolution augure mal de la licéité de chartes Internet interdisant de façon générale et impersonnelle toute utilisation extraprofessionnelle de ce Minitel-téléphone de demain.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray