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Repères

Les cadres veulent prendre le train

Repères | publié le : 01.06.1999 | Denis Boissard

Où sont les bons petits soldats d'antan ? Si les 35 heures ont une vertu salutaire, c'est celle de la douche froide pour les directions d'entreprise, nombre d'entre elles prenant à cette occasion conscience du fossé qui s'est creusé avec leurs cadres.

Avec effarement, elles constatent que ces salariés qu'elles croyaient hors norme ne sont pas les derniers à revendiquer un allégement de leur charge de travail et plus de temps libre pour leur vie extraprofessionnelle. Interrogés dans les sondages qui sont réalisés à l'occasion des négociations sur la réduction du temps de travail, une majorité d'entre eux n'ont d'ailleurs aucun complexe à répondre qu'ils souhaiteraient travailler moins. Une revendication relayée par les unions de cadres des quatre grandes confédérations syndicales (CFDT, CGT, FO et CFTC) qui, dans une déclaration commune, réclament une réduction effective du temps de travail des cadres, en affichant un objectif de 200 heures en l'an 2000. Rien de moins !

L'image d'Épinal du cadre dynamique, taillable et corvéable

et ne comptant pas ses heures, n'est plus – sauf exception – d'actualité. La récession de 1993 est passée par là. Enfant chéri de l'entreprise dans les années 70 et 80, le cadre sait désormais qu'il n'est plus à l'abri des purges, qu'il est devenu – comme n'importe quel salarié – jetable et interchangeable au gré des fluctuations des marchés et des changements brutaux de stratégie auxquels il est d'ailleurs de moins en moins associé. Frappé tour à tour par le dégraissage des sièges sociaux, l'écrasement des lignes hiérarchiques, le recentrage des entreprises sur leur cœur de métier et l'externalisation des activités périphériques, aujourd'hui menacé par la suppression des doublons consécutive aux opérations de fusion et d'acquisition, l'ex-bon élève n'est plus, comme hier, disposé à s'investir corps et âme dans l'entreprise.

Il est vrai que son statut s'est banalisé

Débarquant en masse sur le marché du travail, les diplômés des universités et des grandes écoles se sont vu reconnaître la qualification de cadre en raison de leur expertise à des postes de commerciaux, de chercheurs, de consultants ou de fonctionnels, alors même qu'ils n'exercent aucune fonction d'encadrement. Parallèlement, le management par objectifs et l'individualisation des relations du travail se sont progressivement diffusés au reste du personnel, si bien que les cadres ne sont plus aujourd'hui les seuls collaborateurs auxquels l'entreprise assigne des obligations de résultat, ou auxquels elle octroie des bonus salariaux pour rémunérer la performance. La distinction entre cadres et non-cadres ne se justifie plus par une opposition des tâches entre conception et exécution, mais par une différence de degré d'autonomie et de responsabilité. Autant dire que la frontière est de plus en plus ténue.

Naguère bichonnés, les cadres sont enfin réduits depuis quelques années à la portion congrue des revalorisations salariales. Depuis 1994, observe l'Insee, leurs rémunérations décrochent par rapport à celles des autres catégories de personnel.

Bref, le compromis classique qui lie l'entreprise au cadre

– une totale disponibilité en échange d'un emploi « sécurisé », d'une évolution de carrière, d'une rémunération attrayante et d'un traitement différencié de celui des autres salariés – est aujourd'hui caduc, au moins pour les cadres moyens. Même s'il reste bien évidemment d'actualité pour tous les cadres qui continuent à cumuler intérêt du travail, espoirs d'évolution et situation financière avantageuse.

Faute de pouvoir garantir à tous des perspectives alléchantes et une réelle différenciation statutaire, les entreprises devront se résoudre à lâcher du lest sur la charge de travail qu'elles imposent à leurs cadres non dirigeants. Difficile d'exiger toujours plus d'assiduité tout en rognant sur les prérogatives de la fonction. Après s'être sentis floués par le discours mobilisateur des entreprises autour de leurs valeurs et de leur projet, beaucoup de cadres n'ont manifestement aucune intention de laisser passer le train de la réduction du temps de travail.

Auteur

  • Denis Boissard