logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Démission provoquée : licenciement non fondé

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.06.1999 | Jean-Emmanuel Ray

Si l'employeur ne peut plus « prendre acte » de la rupture du contrat, longues absences sans justification ou refus de travail constituant désormais des motifs de licenciement, le salarié qui prend l'initiative du départ peut – dans certains cas – en imputer la responsabilité à l'employeur.

La « prise d'acte » de la rupture du contrat par l'employeur a disparu de la scène juridique. Mais en ces temps de modifications généralisées, cette rupture du troisième type connaît une renaissance certaine côté salarié. Prenant l'initiative du départ, il en impute la responsabilité à l'employeur : l'application de l'ensemble du régime du licenciement est alors douloureuse pour ce dernier.

Des enjeux importants

En cas de contestation sur la nature juridique de la rupture, l'entreprise n'a pas le choix. Si elle invoque une démission, elle doit pouvoir prouver la volonté sérieuse et sans équivoque du salarié de quitter définitivement l'entreprise : « La prise d'acte par l'employeur d'une démission qui n'est pas réelle s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse » (Cass. soc. 17 février 1999, n° 867 D).

En l'absence de lettre exprès (Cass. soc. 9 décembre 1998, n° 5146 P + B : « À l'issue de la réunion d'hier soir au cours de laquelle j'ai exprimé mon total désaccord, j'ai l'honneur de vous donner ma démission. ») ou d'attitude constante et dépourvue de toute ambiguïté (Cass. soc. 7 avril 1999, n° 1643 D : « J'en ai marre de travailler dans ce b… et je ne reviendrai jamais », suivie d'un arrêt maladie : absence de démission), le qualificatif de démission doit être écarté. Et comme la bonne vieille prise d'acte a disparu côté patronal, il ne peut s'agir que d'un licenciement.

Ce dernier n'ayant été précédé d'aucune procédure, il est irrégulier. Plus grave : en l'absence de lettre énonçant un motif légitime de rupture, il est présumé dénué de cause réelle et sérieuse. Les juges peuvent enfin y voir un licenciement abusif en raison d'une mise en œuvre vexatoire. De quoi faire réfléchir le directeur financier et le directeur commercial voyant ses meilleurs éléments se saisir de cette occasion inespérée avant de passer à la concurrence. Mais aussi le juriste en droit social, par exemple en cas de départ consécutif à un déménagement de l'entreprise : s'il s'agit d'une véritable modification du contrat, le salarié prenant acte de la décision patronale gagnera effectivement sur tous ces tableaux. Mais pour peu que la mobilité ait lieu dans le même secteur géographique, pour reprendre la dernière jurisprudence de la chambre sociale (Cass. soc. 4 mai 1999, n° 1899 P + B), il s'agit alors d'un simple changement dans les conditions de travail. « Le seul refus écrit du salarié est alors insuffisant à établir la rupture du contrat à l'initiative de l'employeur », indiquait-elle le 13 janvier 1999, sous l'intéressant attendu de principe : « Il appartient au salarié qui demande des indemnités de rupture d'établir qu'il a été licencié » (n° 227 D). Il serait en effet singulier que soit créé un autolicenciement, automatiquement largement indemnisé.

En cas de situation incertaine sur le plan juridique, le salarié que dix mois de vie professionnelle agitée n'effraient pas peut choisir la prudente voie de la résolution judiciaire du contrat devant les prud'hommes : « Prononcée aux torts de l'employeur, elle produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse » (Cass. soc. 7 avril 1999, n° 1641 D). L'employeur, pour sa part, prendra soin de motiver toute lettre de rupture, même s'il s'agit de prendre acte d'une vraie-fausse démission (Cass. soc. 5 janvier 1999, n° 82 D).

Une rigueur parfois excessive

Nul ne conteste la nécessité de la sévère requalification d'une démission provoquée dans des conditions souvent humiliantes : ainsi pour une entreprise ayant coupé les lignes téléphoniques de son salarié, puis ne le payant plus (Cass. soc. 30 mars 1999, n° 1478 D). « La rupture par le salarié du contrat, résultant du non-respect par l'employeur de ses engagements contractuels, s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse » (Cass. soc. 16 février 1999, n° 939 P). Le principe peut paraître parfois excessif. « Manquer à ses engagements contractuels » ? Au-delà du débat sur l'étendue de cette notion (tout ce qui est dans le contrat n'est pas forcément contractuel, mais, à l'inverse, le non-versement d'une prime de treizième mois conventionnelle permettrait sans doute de prendre acte), il existe des engagements fondant la relation de travail, et d'autres moins importants. Ainsi, « la rupture résultant d'un manquement à l'obligation de payer la rémunération due s'analyse en un licenciement » (Cass. soc. 7 avril 1999, n° 1679 D).

Ne faudrait-il donc pas aligner le régime de la fausse démission-vrai licenciement sur la jurisprudence en matière de grève payée ? En ce domaine, seul « un manquement grave et délibéré de l'employeur à ses obligations essentielles, contraignant ainsi collectivement les salariés à une cessation du travail » (Cass. soc. 29 mai 1996, n° 2405 P), permet aux vrais-faux grévistes d'être intégralement payés.

FLASH

• Harcèlement moral

« Pendant des mois, la nouvelle direction avait adressé à la salariée des reproches incessants qui l'ont perturbée et déstabilisée, reproches qui ont culminé par l'envoi d'une lettre d'avertissement énonçant son instabilité comportementale. La démission ayant donc été provoquée par le comportement fautif de l'employeur, la rupture s'analysait en un licenciement. » D'où versement des indemnités de rupture, défaut de cause réelle et sérieuse, conclut un arrêt du 13 janvier 1999 (n° 268 D). Si certains salariés souffrent du délire de la persécution, les cas avérés doivent être sévèrement sanctionnés.

• Grève et points

Compris dans un mouvement de grève, le jeudi de l'Ascension et le lundi de Pentecôte « ne pouvaient donner lieu à rémunération au profit des salariés grévistes ». L'arrêt du 14 avril 1999 (1755 P) intéressera les ex-grévistes de l'aéroport de Nice ou de la SNCF. L'attendu de principe est clair : « Sauf preuve contraire de sa part, le gréviste ne peut prétendre au paiement de sa rémunération pendant toute la durée du mouvement, peu importe que cette période comprenne des jours fériés, chômés et payés aux salariés qui continuent l'exécution de leur contrat. »

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray