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Débat

Les syndicats ont-ils raison de vouloir labelliser les fonds d'épargne salariale ?

Débat | publié le : 01.04.2002 |

Hormis FO, hostile à tout rapprochement capital-travail, quatre des cinq grandes confédérations ont créé un comité intersyndical ayant vocation à labelliser les fonds d'épargne salariale, notamment au regard de critères sociaux. Que penser de cette initiative ? La parole au dirigeant d'un fonds d'épargne salariale, à un consultant spécialisé dans le développement durable et à la patronne d'une agence de rating social.

« Cette implication syndicale devrait faciliter la mise en œuvre de systèmes d'épargne salariale. »

GUY CABESSA Président du directoire d'Interépargne.

La reconnaissance par quatre confédérations (CGT, CFDT, CFE-CGC et CFTC) du rôle de l'épargne salariale comme instrument de gestion sociale et comme complément de rémunération est un pas décisif pour son développement. Désormais, l'épargne salariale sera un élément de la politique sociale au même titre que le salaire ou la prévoyance… La création d'un plan d'épargne d'entreprise (PEE) relèvera d'une négociation paritaire. La rémunération des salariés sera examinée dans sa globalité et plus uniquement cantonnée au seul salaire.

Cette reconnaissance est également la concrétisation des efforts entrepris depuis près de trente ans tant par les entreprises que par les sociétés de gestion qui ont sans cesse modernisé leur approche, leurs méthodes, les informations diffusées aux salariés, pour faire du PEE un outil efficace et reconnu comme tel, au service des entreprises et des salariés. L'intérêt de la création d'un PEE n'est en effet plus à démontrer pour l'entreprise : déduction du versement du bénéfice imposable et exonération des cotisations sociales et des taxes sur les salaires, soit un impact financier près de deux fois supérieur à l'octroi d'une prime.

La création du comité intersyndical de l'épargne salariale montre la volonté des syndicats de s'impliquer totalement dans la négociation. Ces derniers n'en étaient d'ailleurs pas absents. Depuis la création du dispositif, les représentants des salariés siègent au conseil de surveillance qui définit, dans chaque entreprise ou dans chaque groupement d'entreprises, l'orientation de gestion des fonds.

Cette implication des syndicats devrait faciliter la mise en œuvre de ces systèmes dans les entreprises, rassurer encore, s'il en est besoin, le salarié et l'inciter à faire des versements complémentaires pour tirer un plus grand profit du dispositif. Le salarié saura que l'épargne salariale constitue un élément d'augmentation de ses revenus, au même titre qu'une augmentation de salaire, lui permettant de satisfaire un projet personnel, de financer l'acquisition de sa résidence principale, voire de préparer sa retraite dans un cadre fiscal privilégié. L'entreprise, de son côté, saura qu'elle négocie avec des interlocuteurs représentatifs et reconnus. L'opération y gagnera en transparence et en efficacité.

La création du comité intersyndical signifie aussi une plus grande intervention des syndicats dans la gestion de l'épargne salariale, notamment financière. Elle se traduit aujourd'hui dans la volonté exprimée de labelliser les fonds communs de placement deux-mêmes. Quoi de plus normal, alors même qu'elle constitue un élément de plus en plus significatif de leur épargne ? Faut-il pour autant privilégier les gammes de fonds dits d'économie solidaire, de développement durable, les fonds éthiques ? Si ces derniers sont particulièrement adaptés à la démarche paritaire, à la nécessité de gérer l'épargne dans une optique à long terme, si ces fonds n'ont pas à rougir de leur performance boursière, parfois supérieure à celle des autres fonds, il ne faut pas oublier la nécessité, pour sécuriser l'épargne des salariés, d'une diversification large des actifs. Veillons à ne pas introduire des rigidités qui existent peu aujourd'hui.

« Les syndicats vont être directement confrontés aux contraintes économiques. »

ALAIN JAUNET Directeur associé de BMJ Développement durable.

La mise en lumière de la dimension sociale dans la problématique de la responsabilité sociale des entreprises est une nouveauté due à l'accord signé par les quatre confédérations syndicales sur l'orientation de l'épargne salariale. Jusque-là, la réflexion a largement été impulsée par les questions environnementales. La fonction RH, hormis de notables exceptions, est restée en retrait du débat engagé. L'accès à des sources de financement stables passera bientôt par la prise en compte de la politique sociale. Si, par le biais de ces investissements, les organisations syndicales vont être confrontées plus directement à la réalité des contraintes économiques, les entreprises vont devoir apprendre à clarifier leur discours sur les intentions, les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus dans ce domaine.

Pour les gestionnaires RH, il ne s'agira plus simplement de fournir certains éléments comptables ou d'apporter une contribution au rapport annuel. Ils devront communiquer sur des aspects jusque-là réservés à la sphère codifiée du débat social interne pour être évalués de l'extérieur par un tiers. Ces enjeux pourraient rapidement devenir déterminants non seulement à l'égard des acteurs de « l'investissement socialement responsable », mais aussi à celui de l'univers financier classique qui intègre progressivement des critères sociaux dans ses arbitrages.

Si chacun des partenaires accepte de jouer son rôle, la fonction RH sera interpellée sur sa capacité à se réapproprier une vision à moyen-long terme des équilibres sociaux et à contribuer à la réflexion stratégique par une identification et une promotion des avantages concurrentiels liés au capital humain de l'entreprise. Ces conditions sont nécessaires à la cohérence du discours. À défaut, il se réduira à de bonnes intentions et à un catalogue de mesures hétérogènes. Comme on le voit déjà dans certains rapports environnementaux ou de développement durable, le champ libre laissé aux spécialistes de la communication évite rarement les stéréotypes et les affirmations sommaires.

D'autres effets sont à attendre concernant la capacité à recueillir, à traiter et à présenter des informations répondant aux demandes de ces nouveaux interlocuteurs, notamment sur des notions comme l'« employabilité » ou la relation de l'entreprise avec son environnement social. De plus, la consolidation de ces informations, dans l'hypothèse d'implantations internationales, ne manquera pas de poser des problèmes conceptuels.

Le recul à l'égard des activités opérationnelles, la faculté à projeter les effets du temps, la capacité à prendre en compte les interactions des interventions de l'entreprise sont des caractéristiques de la fonction RH qui semblent en faire un acteur naturel de la responsabilité sociale. Elle est par nature et par exercice au centre du débat sur les valeurs. Saura-t-elle saisir l'opportunité d'être le pivot des structures et des démarches qui se mettent en place ou se verra-t-elle amputée d'une dimension essentielle de sa mission ?

« Est-ce le rôle des syndicats d'octroyer des laissez-passer socialement responsables ? »

GENEVIEVE FERONE Présidente d'Arèse.

En décidant de devenir des acteurs directement impliqués dans la sélection des fonds éligibles dans le cadre de la loi Fabius sur l'épargne salariale, les syndicats souhaitent exercer un contrôle politique dans les entreprises sur le volet des retraites, des rémunérations, ainsi que sur les indicateurs de responsabilité sociale.

La création du comité intersyndical de l'épargne salariale est une avancée positive des syndicats dans le monde complexe de la gestion d'actifs. Cet acte majeur témoigne d'une vision moderne du rôle que les organisations syndicales doivent jouer dans l'entreprise et la société. Cet engagement n'est pas nouveau. Aux États-Unis, au Canada, dans les pays scandinaves, en Suisse, les syndicats ont déjà investi le champ des fonds de pension tout en affirmant leurs valeurs, notamment le respect et la défense des droits syndicaux.

L'octroi de ce label syndical est un montage politique très habile mais fragile. En effet, cette appropriation du terrain de l'épargne salariale à travers un système de contrôle soulève quelques remarques sur les limites et les difficultés de sa mise en œuvre. Les syndicats sont incontestablement des partenaires institutionnels privilégiés de l'entreprise représentant l'intérêt des salariés.

Pour autant, ils ne les représentent pas entièrement. D'autres associations et collectifs, tels que des associations d'actionnaires salariés, réussissent une percée significative dans des nouveaux modes d'expression.

Est-ce également le rôle des syndicats de basculer de l'autre côté de la barrière et d'octroyer des laissez-passer « socialement responsables » ?

Selon les principes du développement durable où tous les acteurs ont droit de cité, les clients, les fournisseurs, les actionnaires salariés, petits porteurs ou institutionnels, les collectivités locales, les ONG, les gouvernements pourraient aussi, demain, décider de délivrer des blancs-seings aux professionnels de la gestion.

Ce débat sur la légitimité agite l'industrie balbutiante de l'investissement socialement responsable. Les agences anglo-saxonnes de notation sociale et environnementale subissent le feu de ces interrogations sans oublier la grande question existentielle : qui contrôle les contrôleurs, qui note les noteurs ?

Une autre difficulté provient de la complexité de la sélection des entreprises socialement responsables. Ce métier suppose la mise en œuvre d'outils d'analyse pertinents, récurrents et systémiques sur l'ensemble du périmètre des activités des entreprises et d'un véritable travail en amont de hiérarchisation d'indicateurs que l'actualité bouscule souvent, obligeant parfois à des arbitrages délicats. Comment peut-on comparer un plan social, un niveau de rémunération, un programme de formation, le travail des enfants et le harcèlement moral ? Il n'existe aucun modèle d'appréhension de la réalité sociale universelle tant il est délicat de capter les différences culturelles, politiques, réglementaires, historiques, contractuelles dans une grille d'interprétation unique.

L'action concertée des syndicats a cependant le grand mérite d'activer une pédagogie indispensable sur ces sujets et d'encourager le recours en toute transparence aux meilleurs professionnels de la gestion et de la notation.