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Vie des entreprises

La gestion juridique du changement après la loi du 17 janvier 2002

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.06.2002 | Jean-Emmanuel Ray

Du fait des réorganisations et restructurations qui agitent les entreprises, le contrat de travail n'est plus à l'abri du changement. Il peut ainsi être affecté par une modification des horaires ou, plus sérieusement, par un reclassement préventif au licenciement. Deux changements dont le juge et le législateur ont récemment précisé les règles du jeu.

Déstabilisant l'ensemble de la société et particulièrement les plus faibles subissant cette insécurité sociale universelle, notre nouvelle religion laïque du changement permanent n'épargne pas le droit du travail. Même si demeurent des îlots de stabilité peu orthodoxes. Ainsi, depuis six ans, la jurisprudence judiciaire puis administrative a abandonné la vieille summa divisio modification substantielle/non substantielle au profit de l'opposition modification/simple changement des conditions de travail. Il était donc souhaitable d'unifier les termes : la loi de modernisation sociale de janvier 2002 avait tenté de le faire, retirant l'adjectif « substantielle » de l'article L. 321-1. Mais la censure du Conseil constitutionnel du 12 janvier 2002 (qui doit être approuvée sur le fond) maintient cette opposition terminologique loi/jurisprudence qui fait un peu désordre.

1° Horaires très flexibles

Le passage aux 35 heures l'a prouvé s'agissant en particulier de parents : concordance des temps familiaux oblige, la durée du travail (élément essentiel du contrat) est dans la vie quotidienne souvent moins importante que la régularité et la prévisibilité des horaires (cf. l'apparition légale des « raisons familiales impérieuses »). Or la Cour de cassation rappelle régulièrement que ceux-ci relèvent du pouvoir de direction, qu'il s'agisse de travailler désormais le samedi, jour ouvrable (Cass. soc., 17 octobre 2000), ou d'« une nouvelle répartition de l'horaire au sein de la journée » (Cass. soc., 9 avril 2002).

a) Modification des horaires et modification du contrat

« Le contrat de travail, qui ne comportait aucune clause relative aux astreintes, n'a pas été modifié par la mise en œuvre d'astreintes dès lors que la convention collective applicable au contrat en prévoyait la possibilité. » (Cass. soc., 13 février 2002.) Mais, pour être opposable, la convention collective en question doit avoir été communiquée dès l'embauche au collaborateur, l'employeur ne pouvant s'en prévaloir que si « le salarié a été informé de son existence au moment de son engagement, et mis en mesure d'en prendre connaissance » (Cass. soc., 6 novembre 2001), sans aller jusqu'à contractualiser tout son contenu.

Pour éviter tout refus, certaines entreprises incluent une clause contractuelle stipulant une évolution possible des horaires en fonction de leurs besoins. L'arrêt du 18 décembre 2001 a approuvé le refus d'une salariée de passer d'un horaire 5 heures-13 heures à 16 heures-minuit : « nonobstant la clause de variabilité des horaires, cette modification du contrat nécessitait l'accord du salarié ». Elle reprend ainsi son interdiction d'un « droit unilatéral et discrétionnaire de révision » déjà énoncé en matière de rémunération (Cass. soc., 7 novembre 2001).

À l'inverse, une contractualisation personnalisée (« le mercredi : 16h45 ») permet au salarié de refuser tout changement quel qu'en soit le volume : « ces horaires, expressément précisés à la demande du salarié et acceptés par l'entreprise, présentaient un caractère contractuel » (Cass. soc., 11 juillet 2001). Encore faut-il pouvoir se le permettre.

b) « C'est le jour et la nuit »

« Le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit, ou d'un horaire de nuit à un horaire de jour, constitue une modification du contrat que le salarié est en droit de refuser. Mme X devait désormais travailler selon un horaire de jour alors que, précédemment, elle commençait son travail à 18 heures. » (Cass. soc., 9 avril 2002.) Rappelons que depuis la loi de mai 2001 le travail de nuit commence en droit français dès 21 heures : ce qui peut viser certaines « nocturnes », CQFD. Et que s'il existe des « obligations familiales impérieuses […] le salarié peut refuser d'accepter ce changement sans que ce refus constitue une faute ou un motif de licenciement » (art. L. 213-4-3). Curieuse formulation pour une loi se voulant pourtant protectrice ; car interprétée a contrario, un salarié n'ayant pas un parent handicapé ou des enfants en bas âge devrait accepter ce que le législateur semble considérer comme un simple changement des conditions de travail, alors que pour la jurisprudence un tel bouleversement de l'équilibre contractuel peut toujours être valablement refusé.

c) Sanction d'un refus : la Cour de cassation a du cœur

« Le refus par le salarié d'un changement des conditions de travail, qui portait à la fois sur l'horaire quotidien et sur les tâches demandées, lesquels n'avaient pas varié pendant vingt ans, n'était pas de nature à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis et ne constituait pas une faute grave. » (Cass. soc., 9 avril 2002.)

La légitime personnalisation de la peine disciplinaire peut évidemment tenir compte de l'ancienneté du salarié, a fortiori en cas de privation des indemnités de rupture, elles-mêmes fonction de cette ancienneté.

d) Modification d'horaires et règlement de comptes

Comme dispose désormais le nouvel article L. 120-4, « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ». La responsabilité de l'employeur peut classiquement être engagée en cas de détournement du pouvoir : « Les motifs évoqués pour justifier le changement d'horaires et consistant à lui accorder son jour de congé un mercredi sur deux n'étaient pas réels. La décision avait d'autre part été prise dans le but de nuire à M. Y. qui, étant divorcé, avait la garde de ses deux enfants et souhaitait préserver son jour de repos chaque mercredi. L'employeur avait donc abusé de son pouvoir de direction. » (Cass. soc., 12 mars 2002.)

2° Modification du contrat et reclassement

Au-delà du nouveau « congé de reclassement » pour les entreprises de plus de 1 000 salariés (art. L. 321-4-3), les autres devant proposer le « pré-Pare », la loi de modernisation sociale a légalisé l'obligation de reclassement en cas de projet de licenciement économique. Le droit de licencier pour ce motif est désormais légalement lié à l'échec du reclassement. Plan de sauvegarde de l'emploi ou non, l'entreprise doit tenter en amont de reclasser le salarié « sur un emploi de même catégorie que celui qu'il occupe ou, à défaut et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure » (art. L. 321-1, al. 3).

Six conséquences :

a) Cet article légalise (involontairement) l'arrêt du 27 novembre 2001 : la procédure prévue par l'article L. 321-1-2 (lettre recommandée avec avis de réception, avec acceptation tacite au bout d'un mois) n'est pas ici applicable. L'employeur doit donc proposer par écrit les postes vacants en fixant une date limite de réponse, le silence valant refus. Il sera utile d'indiquer que ces propositions (ex. : lieu, horaires) ne valent pas contractualisation pour l'avenir.

b) Cette formulation va-t-elle remettre en cause la jurisprudence obligeant l'employeur à proposer au salarié tous les emplois vacants, y compris ceux très (trop) déqualifiés ? Dans l'arrêt du 15 mai 2001, elle avait par exemple reproché à une société de ne pas avoir proposé à un directeur administratif et financier un poste d'exécution. Conformément à son habitude, la Cour laisse le salarié seul juge de son intérêt : et il n'est jamais forcé d'accepter une déqualification. Pour sa part, l'employeur doit proposer tous les postes compatibles : dans certains cas (ex. : collaborateur à quelques mois de la retraite), le salarié finit par accepter, dans son intérêt bien compris. Mais la nouvelle formulation légale ne restreint-elle pas les propositions patronales à la catégorie (immédiatement) inférieure ?

c) « Les offres de reclassement doivent être précises et écrites » : cet ajout facilitera l'éventuel débat judiciaire, les juges pouvant demander les traces écrites des offres valables de reclassement faites individuellement à chaque collaborateur. Côté entreprise, le journal papier ou intranet listant tous les postes vacants est insuffisant ; et il convient de se ménager à la fois la preuve des postes proposés, mais aussi celle des éventuels refus.

d) Le tout en étroite coordination avec la phase Livre III d'information-consultation du CE qui doit lister précisément et dès la première réunion chacun des postes proposés au sein de l'entreprise, mais aussi du groupe ou de l'UES, au titre du reclassement interne (Cass. soc., 23 janvier 2002, désormais légalisé par la loi de modernisation sociale). Ce groupe « ne se confond pas avec le groupe juridiquement défini par l'article L. 439-1 du Code du travail relatif au comité de groupe, mais s'entend de l'ensemble formé par les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel » (Cass. soc., 31 janvier 2001). Le Conseil constitutionnel ayant rappelé dans sa décision du 12 janvier 2002 que « le législateur a entendu consacrer la jurisprudence », il semble que ces arrêts restent applicables, y compris l'arrêt Vidéocolor étendant l'obligation de reclassement au-delà des frontières nationales.

e) Sur le plan collectif, l'employeur doit également « déterminer les modalités de suivi de la mise en œuvre effective des mesures contenues dans le plan de reclassement prévu à l'article L. 321-4-1 […], l'autorité administrative étant associée au suivi de ces mesures » (art. L. 321-4, al. 7). Et, comme le législateur aime décidément les « plans », « la procédure de licenciement est nulle et de nul effet tant qu'un plan visant au reclassement des salariés s'intégrant au plan social [sic] n'est pas présenté aux représentants du personnel qui doit […] prévoir des actions en vue du reclassement interne des salariés » (art. L. 321-7, al. 6).

f) Effet Mathieu bien connu en droit du travail : mieux vaut être licencié par un puissant groupe que par ses sous-traitants. Car, en cas de non-reclassement fautif, la curieuse opposition antérieure est désormais constitutionnalisée.

Sur le plan individuel et en l'absence d'obligation de monter un plan de sauvegarde de l'emploi (ex. : « petits licenciements économiques »), seule l'indemnisation est possible ; pas la réintégration, comme pouvait le laisser penser la formulation légale (« Le licenciement économique ne peut intervenir que lorsque le reclassement… ») : le considérant 21 de la décision du Conseil constitutionnel est particulièrement clair à cet égard. Indemnisation faite comme par le passé au titre du défaut de cause réelle et sérieuse (cf. les deux circulaires DRT et, en dernier lieu, Cass. soc., 9 avril 2002), même si le licenciement lui-même a objectivement une cause réelle et sérieuse (suppression du poste à la suite, par exemple, de difficultés économiques).

À l'inverse, si le plan de reclassement est insuffisant s'agissant de « grands licenciements », la jurisprudence Samaritaine est désormais légalisée (art. L. 122-14-4, al. 3) : annulation des licenciements éventuellement prononcés, et donc poursuite du contrat de travail-réintégration (« la décision étant exécutoire de droit à titre provisoire »), du moins si les salariés concernés le souhaitent. Si ce n'est pas le cas, l'indemnisation passe avec la loi de modernisation sociale de six à douze mois au minimum de salaires bruts, somme dissuasive correspondant à la durée moyenne du chômage. Il n'est enfin pas du tout certain que, depuis cette modification substantielle du bon vieil article L. 122-14-4 qui évoquait seulement le défaut de cause réelle et sérieuse, l'arrêt du 12 décembre 2001 écartant le remboursement automatique des allocations chômage en cas de licenciement nul reste applicable. Ce cumul est de nature à faire réfléchir les directions se heurtant parfois des deux côtés à une immense inertie afin de faire monter les indemnités de départ.

FLASH
• Licenciement, préavis et privatisation de NTIC professionnelles

« L'employeur n'avait pas réclamé la restitution du téléphone portable lors du départ du salarié de l'entreprise, et les factures détaillées ne démontraient pas que le salarié avait utilisé ce téléphone pour son usage personnel. » (Cass. soc., 12 mars 2002.) Mais s'il était en dispense de préavis, quels coups de téléphone professionnels (du moins pour son ex-entreprise) avait-il pu passer ?

Plus généralement, le statu quo en matière d'équipement en NTIC pour un collaborateur en voie de licenciement (pour faute en particulier) peut s'avérer risqué ; l'accès à la diffusion générale sur l'intranet a déjà abouti à des courriels sanguinaires expédiés trois minutes après la fin de l'entretien préalable ou à des facéties en ligne qui ont parfois ému les clients ou fournisseurs les ayant reçues avec l'en-tête habituel de l'entreprise.

Et malgré le joyeux mélange professionnel-personnel (« PC ») existant dans l'ordinateur portable, le don généreux de celui-ci à l'occasion du départ peut permettre au collaborateur d'emporter discrètement avec lui l'équivalent de dizaines de milliers de pages : non seulement son propre courriel, mais parfois aussi le fichier clients ou produits tout entier. Certes ce comportement est-il gravement, voire lourdement fautif en cas d'intention de nuire : mais il sera alors trop tard. D'où un nécessaire suivi de ces questions à l'occasion de la rupture, et un éventuel mais sévère compactage du disque dur en cause avant le départ.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray