logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Dans le public, la machine à concours se détraque

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.09.2002 | David Garcia

Avec près de 800 000 candidats par an, l'organisation des concours de la fonction publique est une véritable corvée. La logistique tient du casse-tête, les coûts explosent, ratages et irrégularités se multiplient, surtout à l'Éducation nationale. Alors que se profile une pénurie de fonctionnaires, une réforme du recrutement reste à engager.

Vol de copies, erreurs de convocation, coquille dans l'énoncé des sujets, épreuves dépassant la durée prévue… Les ratés des concours d'enseignants n'en finissent plus de se succéder. En moins d'un an, le ministère de l'Éducation nationale a dû annuler la bagatelle de six épreuves. Dernier couac en date, en mai dernier, l'un des sujets proposés à l'épreuve de français du concours de professeur des écoles en Ile-de-France figurait depuis 1997 dans les annales du Centre national d'enseignement à distance (Cned). Face à l'exaspération grandissante des candidats et à la menace de recours tous azimuts, Luc Ferry, le ministre de l'Éducation nationale, a lancé les fins limiers de la Rue de Grenelle à la recherche des causes de ces dysfonctionnements à répétition. Leur diagnostic ne sera pas inutile. Car, d'ici à 2005, le plus gros employeur de la fonction publique va recruter 165 000 enseignants. Et les autres administrations ne sont pas en reste : 43 % des fonctionnaires d'État et 32 % des agents territoriaux quitteront leur poste d'ici à 2012. De quoi donner quelques cauchemars aux bureaucrates chargés de mettre sur pied les concours qui pallieront ces départs.

Car la machine à concours, mode de recrutement privilégié de l'État et des collectivités locales, donne des signes d'essoufflement. En 1999, selon les derniers chiffres connus pour l'ensemble de la fonction publique, pratiquement 780 000 candidats se sont présentés à un concours. Pour décrocher l'un des 4 300 postes de gardiens de la paix, pas moins de 50 000 candidats se sont inscrits en 2001. Ce qui pose de sérieux problèmes de logistique. À commencer par la surveillance des épreuves. On compte, selon la nature de l'épreuve, un surveillant pour 20 ou un pour 50 candidats. « Tous concours confondus, mon service a fait l'an dernier appel à 350 fonctionnaires, détachés par les différentes directions fiscales de la capitale, afin d'assurer la surveillance des épreuves », explique Colette Morin, responsable du centre d'examen de Paris à la Direction générale des impôts.

Le Zénith et l'Olympia réunis

Autre difficulté majeure, la quête de salles d'examen pour accueillir les cohortes de candidats. La plupart des administrations recourent aux services de loueurs de salles. À La Poste, on n'est pas près d'oublier le cru 1999, année où le concours de facteur a été régionalisé, chaque lauréat obtenant une affectation automatique dans la région où il avait passé les épreuves, sans passer par la case région parisienne. Résultat : 80 000 candidatures ! Par chance, ils ne furent « que » 50 000 à se présenter pour briguer l'un des 3 010 postes offerts. « Dans certaines villes, nous avons été obligés de dédoubler les centres d'examen, se rappelle Jean-Pierre Rouze, directeur du recrutement et de la promotion de La Poste. Plus de 10 000 candidats ont postulé à Marseille. Dans le Nord, il a fallu entasser 8 000 candidats dans une seule salle ! » Soit l'équivalent des deux salles parisiennes du Zénith et de l'Olympia réunies. Une situation qui risque de se reproduire : 140 000 salariés vont en effet quitter l'entreprise publique d'ici à 2012.

Conséquence de l'explosion du nombre des candidats, la facture des concours ne cesse de s'alourdir. « Le coût n'est pas un facteur déterminant pour le recrutement dans la fonction publique. N'oublions pas que nous sommes tenus de respecter le principe de l'égalité d'accès aux emplois publics », souligne-t-on au ministère de la Fonction publique. Il n'empêche. En 2001, l'Éducation nationale a dû débourser 28 millions d'euros, les deux tiers servant à couvrir les frais de surveillance, de correction et de jury. Le prix à payer pour organiser 869 épreuves pour les 30 000 postes offerts en 2002, traiter 320 000 copies et défrayer 9 000 correcteurs. La note est aussi salée pour les centres de la fonction publique territoriale, chargés d'organiser essentiellement des concours de catégorie A (niveau licence). En 2002, il en coûtera environ 250 000 euros pour la petite couronne parisienne, dont un tiers pour un seul concours d'attaché. Du coup, certaines administrations en viennent à utiliser des méthodes industrielles.

Cette année, le ministère de l'Éducation a mis en place un système de code à barres afin d'accélérer le traitement des quelque 10 tonnes de copies récoltées. « Ce dispositif permet de faire face à l'augmentation du nombre de concours et de candidats, explique Geneviève Guidon, responsable des recrutements à la direction des personnels enseignants. Les candidats en sont les principaux bénéficiaires puisqu'ils disposent de quelques jours supplémentaires pour réviser leur oral. »

Des candidats surqualifiés

Coût sans cesse croissant, logistique de plus en plus pesante… le jeu en vaut-il la chandelle ? Autrement dit, le concours est-il l'instrument le plus adapté pour faire face aux recrutements massifs des années à venir ? Marie-Claude Kervella, secrétaire générale de l'Union des fédérations des fonctions publiques et assimilées CFDT, en doute : « Le concours coûte cher et on ne recrute pas forcément les bonnes personnes, assure-t-elle. Le système est plus conçu pour éliminer que pour sélectionner les profils les plus adéquats à la fonction. »

En matière de recrutement, les trois fonctions publiques (État, collectivités territoriales et hôpitaux) se sont longtemps comportées comme n'importe quelle entreprise privée. En clair : pendant les années de crise, l'État-patron a pratiqué une sélection sans pitié. La nature des épreuves, qui exigent une bonne culture générale et la maîtrise de savoirs théoriques, favorise les détenteurs d'un titre universitaire, au détriment des moins diplômés. Conséquence : nombre de fonctionnaires recrutés sont surqualifiés… d'où des frustrations inévitables. 80 % des gardiens de la paix engagés en 1999 étaient bacheliers, selon les statistiques de la Direction générale de l'administration et de la fonction publique, alors qu'un simple BEPC suffit. Même chose pour le dernier concours d'agent de recouvrement du Trésor (catégorie C) : 916 admis sur 972 recrutés étaient au moins titulaires du bac.

Après des années d'inertie, l'État s'est résolu à prendre le problème à bras-le-corps. Le comité interministériel pour la réforme de l'État (Cire) a fait en novembre 2001 plusieurs propositions afin de pallier les carences du recrutement traditionnel sur concours externes et internes. Premier principe : remettre l'ascenseur social en état de marche, en offrant aux jeunes issus de milieux défavorisés la possibilité d'accéder à la fonction publique, via des procédures de prérecrutement. « Le candidat passe un concours anticipé pour accéder à un métier de la fonction publique, explique Nadine Herman, responsable du recrutement au sein de la Direction générale de l'administration et de la fonction publique. Une fois ce concours réussi, il poursuit ses études jusqu'à obtenir le diplôme indispensable à l'exercice de ce métier. »

Parmi les filières concernées cette année, en attendant la généralisation progressive de la procédure à l'ensemble de la fonction publique, celles des professeurs de lycée professionnel et des adjoints administratifs. Le Cire préconise également une meilleure prise en compte des compétences, largement délaissées au profit des connaissances scolaires. Outre le recrutement sur titre, les « troisièmes concours » ouvrent ainsi les portes de l'administration à des salariés non diplômés mais dotés d'une expérience professionnelle d'au moins cinq ans. Ils concernent, selon les ministères, entre 10 et 20 % des postes offerts.

Autre mesure phare, qui écorne au passage le sacro-saint statut de la fonction publique : l'extension aux ministères du recrutement sans concours en « échelle 2 ». Cette classification un brin techno désigne les métiers à très faible qualification. « Désormais, chaque chef de service pourra recruter en fonction de ses besoins, simplement à partir d'un CV, d'une lettre de motivation et d'un entretien », précise-t-on au cabinet du ministre de la Fonction publique.

Dans la fonction publique hospitalière, les agents de service sont déjà recrutés à l'issue d'un stage de quelques semaines qui ressemble furieusement à une période d'essai. Au grand dam des syndicats de fonctionnaires, très à cheval, à l'exception de la CFDT, sur le statut de la fonction publique. « Je ne suis pas dans l'absolu opposé à l'abandon du concours pour les métiers les moins qualifiés, mais je crains que les critères de sélection manquent d'objectivité », déplore Bernard Lhubert, secrétaire général de l'Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT. Gérard Nogues, secrétaire général adjoint de la Fédération générale des fonctionnaires Force ouvrière, est plus véhément : « On peut craindre une dérive clientéliste », affirme-t-il.

L'Arlésienne des maîtres aux'

Malgré les préconisations du Cire, la professionnalisation des concours, la valorisation des acquis de l'expérience plutôt que des savoirs universitaires, reste un sujet tabou. Particulièrement à l'Éducation nationale, où la titularisation des maîtres auxiliaires ressemble à l'Arlésienne. « On ne compte plus les cas de maîtres auxiliaires recalés au Capes qui retournent enseigner dès le lendemain, comme si de rien n'était, s'insurge Francis Valenti, responsable national du Syndicat national des enseignants du secondaire. Le message est clair : vous êtes bon pour enseigner mais pas assez pour être intégré au corps des certifiés. » Le ministère reconnaît bien volontiers les faits, mais botte en touche dès qu'il s'agit d'apporter des solutions. À l'inverse de certains grands établissements publics.

Pour recruter ses agents, l'ANPE organise ainsi des épreuves fondées sur des référentiels de compétences établis pour chaque métier. « Nos épreuves visent à tester des habiletés transférables dans les métiers de l'agence », explique Pierre Giorgini, directeur général adjoint de l'ANPE, chargé des ressources humaines. Foin des dissertations sur la Ve République, place à la mise en situation, à l'écrit comme à l'oral. Et pour tous les concours, de l'administrateur à l'assistant de gestion. Une démarche dont la fonction publique pourrait utilement s'inspirer. « Un groupe de travail planche actuellement sur le métier de secrétaire administratif, précise notamment Nadine Herman, de la DGAFP. Sur le thème : quelles aptitudes l'État serait-il fondé à exiger de ses futurs fonctionnaires et comment les traduire dans les épreuves du concours ? » Il vaudrait mieux que la réflexion aboutisse avant 2012 !

France Télécom a mis fin au dogme

France Télécom respire. Fini le temps où l'opérateur de télécommunications devait organiser des mégaconcours pour enrôler ses fonctionnaires. « Heureusement, depuis la modification de notre statut, c'est bel et bien fini. Désormais, nous recrutons de gré à gré tous nos collaborateurs », se félicite Bernadette Delamarre, la directrice de la communication à la DRH groupe de France Télécom. « La dernière année où nous avons dû organiser un concours, en 1997, il a fallu mettre en place une énorme logistique pour faire face aux milliers de candidatures. » La loi du 26 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France Télécom prévoyait pourtant la possibilité d'embaucher des fonctionnaires jusqu'au 31 décembre 2001. Mais les 900 places pourvues aux concours en 1997 ont été les dernières, la direction ayant ensuite systématiquement rejeté les demandes syndicales de nouveaux recrutements sur concours. Il est vrai que les syndicats n'ont guère fait preuve d'opiniâtreté. Hormis la CGT qui dénonce l'attitude jugée trop conciliante de Force ouvrière. « FO a clairement passé un accord tacite avec la direction : en échange de la signature d'un plan de préretraites appelé congés de fin de carrière, ce syndicat a accepté le remplacement des partants par des jeunes en alternance au lieu de demander l'embauche de fonctionnaires », accuse Thierry Frenchi, responsable juridique à la Fédération PTT de la CGT. FO, qui ne cesse de proclamer son attachement au statut des fonctionnaires et à leur recrutement sur concours, récuse toute idée d'arrangement. « Nous avons vite senti que le combat pour l'obtention de nouveaux postes de fonctionnaires était perdu d'avance. C'est pourquoi nous avons agi avec pragmatisme », explique Bernard Gengreau, secrétaire national FO chargé des télécoms. Du dogme au pragmatisme, il n'y a parfois qu'un pas.

Auteur

  • David Garcia