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Enquête

DES SYNDICATS PLUS REPRÉSENTATIFS CHEZ NOS VOISINS

Enquête | publié le : 01.11.2002 | Valérie Devillechabrolle, Stéphane Béchaux

En dehors de l'Hexagone, la légitimité des syndicats et des accords qu'ils signent ne fait pas débat. En Italie, un pacte tripartite a réglé l'affaire. En Grande-Bretagne, le syndicat doit avoir le soutien d'une majorité de salariés. Et en Allemagne ou en Suède, la puissance du DGB ou de LO apparaît indiscutable…

Avec seulement 9 % d'adhérents chez les salariés, le syndicalisme français fait pâle figure en Europe. Pas étonnant que le débat sur la représentativité syndicale y soit plus vif qu'ailleurs, même si l'érosion des organisations syndicales est un phénomène qui touche, peu ou prou, tous les pays européens. Il reste qu'avec un taux de syndicalisation de 80 % chez les salariés la question de leur légitimité ne se pose pas en Suède. Si pluralisme syndical il y a à Stockholm, celui-ci est fondé non sur des querelles de chapelle, mais sur une différenciation entre les catégories professionnelles. Au Royaume-Uni, où leurs bastions traditionnels ont été laminés sous l'ère Thatcher, la légitimité des syndicats qui subsistent ne peut guère être mise en doute : seules les organisations qui rassemblent plus de la moitié des salariés sont érigées au rang d'interlocutrices. En Allemagne, alors que le système leur confère une présomption de représentativité aussi exclusive que celle des cinq confédérations françaises, les fédérations syndicales doivent cependant faire la preuve de leur capacité de mobilisation, à l'occasion des négociations de branche. Petit voyage, donc, chez nos voisins. Objectif : explorer les fondements de la représentativité des syndicats… au-delà de nos frontières.

Italie

Une négociation très encadrée

L'aggiornamento du système transalpin de relations sociales remonte à 1993, à l'occasion de la signature d'un pacte tripartite entre le gouvernement, le patronat et les trois grandes confédérations syndicales (CGIL, CISL et UIL). Cet accord a mis de l'ordre dans le mécanisme de négociation collective en ne retenant que deux niveaux de discussion : la branche et l'entreprise (les PME pouvant être couvertes par un accord négocié à l'échelle du territoire).

Dans chaque branche, les partenaires sociaux se retrouvent désormais tous les quatre ans pour renégocier la convention collective. Les clauses dites économiques – qui concernent les niveaux et les augmentations de salaire – ne sont, elles, valables que deux ans. « Les hausses négociées tiennent compte des prévisions d'inflation, explique Bruno Trentin, ancien secrétaire général de la CGIL. Au bout de deux ans, on rectifie le tir, en fonction des chiffres réels. »

À l'étage au-dessous, dans l'entreprise, les discussions salariales sont très encadrées. Les revalorisations éventuelles sont conditionnées à l'atteinte d'objectifs spécifiques à la société, comme les gains de productivité, l'amélioration de la qualité ou le niveau de rentabilité. Les autres sujets de discussion portent essentiellement sur les conditions de travail et les horaires. Valables quatre ans, les accords sont négociés, du côté des salariés, par une « représentation syndicale unitaire » (RSU). Un organe constitué, aux deux tiers, de membres élus par les salariés de l'entreprise, et pour un tiers, de représentants des syndicats signataires de l'accord de branche couvrant l'établissement. Si le pacte tripartite de 1993 a plus ou moins réglé – avec la RSU – le problème de la légitimité des accords dans les entreprises, il laisse entier celui des accords de branche. Malgré plusieurs tentatives, dont un référendum populaire en 1995, aucune loi n'est venue compléter le dispositif de 1993, en précisant les règles de validation des accords de branche dans le secteur privé. « C'est un chantier toujours remis à demain alors même que les questions se posent de façon très aiguë » , déplore Bruno Trentin. Résultat, l'an dernier, le patronat de la métallurgie a pu signer, malgré l'opposition véhémente du syndicat majoritaire, un accord salarial avec les deux autres fédérations syndicales. Un texte qui, aujourd'hui, s'applique à tous les métallos transalpins. Dans le secteur public, en revanche, un décret datant de 1997 a résolu le problème en instaurant le principe de l'accord majoritaire et en exigeant des syndicats une représentativité minimale pour s'asseoir à la table des négociations.

Allemagne

Le monopole de quatre organisations

Outre-Rhin, les critères de représentativité ne favorisent guère l'émergence de nouveaux venus sur la scène syndicale. Pour être reconnues représentatives et donc aptes à négocier des accords collectifs, les organisations doivent, en effet, non seulement avoir une certaine ancienneté, mais être aussi présentes au niveau de la branche. Ayant officiellement vocation à assurer « la sauvegarde et l'amélioration des conditions économiques » , ces organisations doivent surtout faire la preuve de leur capacité à exercer une influence réelle auprès des salariés, autrement dit être prêtes à gérer un conflit du travail. En pratique, cette définition restrictive de la représentativité revient à ne reconnaître que quatre organisations syndicales : le DGB, l'Union syndicale allemande, qui regroupe 80 % des salariés syndiqués ; le DBB, l'Union allemande des fonctionnaires ; le CGB, l'Union chrétienne des syndicats ; et Verdi, le syndicat unifié des services, né en mars 2001 de la fusion du DAG, l'Association allemande des employés, et de quatre branches du DGB.

En matière d'accords collectifs, le système allemand donne la primauté aux responsables de branche, chargés de la négociation des salaires et des conditions de travail. Dans les champs complémentaires à la négociation de branche, le chef d'entreprise a toutefois la possibilité de conclure des accords, non pas avec des délégués syndicaux, comme en France, mais avec le Betriebsrat, le conseil d'établissement. Composés à 80 % de salariés syndiqués, tous les membres de cette instance sont élus par le personnel. Formellement, le Betriebsrat dispose d'un droit de veto dans des domaines aussi variés que l'organisation du travail, par exemple sur le recours aux heures supplémentaires, l'évaluation du personnel, l'élaboration des plans sociaux ou encore le choix des personnes recrutées. « En pratique, l'exercice de ces droits exige d'être appuyé par le personnel » , note Christian Dufour, chercheur à l'Ires. Ce qui revient à donner à l'employeur l'occasion de « mettre constamment à l'épreuve la légitimité du Betriebsrat auprès des salariés » . De fait, seul un conseil d'établissement puissant et sûr d'être suivi par les salariés peut se permettre, par exemple, de s'opposer à l'ordre des licenciements proposé par l'employeur et d'en arrêter un autre, ou encore de définir, sans risque d'être désavoué, les modalités de répartition d'une prime. « Dans ce cas, le Betriebsrat s'apparente à une direction du personnel bis, voire à une direction de la production bis » , constate le sociologue de l'Ires.

Privé de tout recours à la grève du fait des accords collectifs de paix sociale négociés au niveau de la branche, le Betriebsrat n'a pas, enfin, trente-six solutions pour s'assurer du soutien des salariés : il doit organiser une assemblée générale du personnel. « C'est une mesure symbolique très forte car le conseil d'établissement a obligation d'en réunir trois ou quatre par an, sans limitation de durée et à laquelle un employeur peut être convié » , précise encore Christian Dufour.

Royaume-Uni

Une légitimité sans cesse à conquérir

En l'absence de toute définition légale de la représentativité, les syndicats catégoriels britanniques n'ont pas le choix. Pour être reconnu comme négociateur officiel dans une entreprise – seul niveau réel de négociation au Royaume-Uni – un syndicat doit prouver qu'il est soutenu par au moins la moitié des salariés. « C'est un système d'un grand pragmatisme fondé sur le volontarisme » , explique Christian Dufour, sociologue à l'Ires, qui, depuis vingt-cinq ans, ausculte le syndicalisme européen. En l'absence de règles écrites, le champ d'intervention syndical dans l'entreprise est à conquérir. Ainsi, un syndicat qui aura réussi à convaincre plus de la moitié des caissières d'un grand magasin de lui faire confiance pourra faire reconnaître une « unité de négociation » au niveau de la ligne de caisses, mais les accords collectifs qui en résulteront ne s'appliqueront pas aux autres catégories de personnel du magasin… À moins que ceux-ci ne décident ouvertement de confier leurs intérêts à ce syndicat.

À défaut d'être reconnu d'emblée par un employeur, le syndicat doit déposer une demande de reconnaissance auprès du Comité central d'arbitrage, un organisme public indépendant composé d'une trentaine de représentants patronaux et syndicaux nommés par le ministre du Commerce et de l'Industrie. Mais, pour être recevable, la demande doit émaner d'un syndicat ayant au moins 10 % d'adhérents parmi les salariés de l'unité de négociation visée. En fait, sachant qu'ils ne disposent d'autre source de financement que les cotisations des adhérents, « il est rare que les syndicats lancent une campagne de ce type si leur taux de syndicalisation est inférieur à 40 % » , précise Christian Dufour. Enfin, depuis la loi du 6 juin 2000 sur l'emploi, l'attestation de reconnaissance sera délivrée au syndicat s'il obtient la majorité des voix des votants lors d'un vote organisé à bulletins secrets. Au terme de cette procédure, l'employeur est alors tenu de négocier et d'aboutir à un accord sur les salaires, les horaires et les congés. « Le champ de la négociation peut être plus large si employeur et syndicat le décident » , ajoute Christian Dufour. Ces accords collectifs étant intégrés au contrat de travail des salariés, ils ne peuvent être dénoncés unilatéralement par l'employeur.

Reste que si, depuis deux ans, la progression du nombre d'adhérents (7,3 millions d'adhérents en 2001, soit 200 000 de plus qu'en 2000) tend à redonner un peu de lustre au syndicalisme britannique malmené sous l'ère Thatcher, seuls 36 % des salariés sont concernés par ces négociations collectives. Pour améliorer leur implantation dans les secteurs moins accueillants comme les banques ou le commerce, certains syndicats peuvent être tentés de conclure un « accord de partenariat » avec un employeur. Par exemple lorsque celui-ci redoute l'implantation d'un syndicat plus dur. Dans ce cas, le syndicat signataire accepte une limitation de son droit de négociation, transformé en droit d'information et de consultation sur des sujets tels que l'organisation du travail, les plans de retraite ou la formation professionnelle. En contrepartie, il obtient la garantie d'être l'unique organisation présente dans l'entreprise. À charge pour lui d'en profiter pour consolider ses bases.

Suède

Leaders sans aucun conteste

Les syndicalistes suédois sont fort marris. En 2000, le taux d'adhésion de leurs concitoyens est tombé sous la barre des… 80 % ! Un chiffre à faire pâlir d'envie les leaders syndicaux français. Mais qui cache, pourtant, quelques motifs d'inquiétude. Entre 1993 et 2000, le taux de syndicalisation des 16-24 ans a ainsi baissé de 62 à 45 %, en raison d'une forte désaffection chez les jeunes ouvriers, selon une étude réalisée en mars 2001 par Anders Kjellberg, chercheur à l'université de Lund.

Reste que les trois confédérations suédoises – qui ne se différencient pas par leur positionnement idéologique, mais par les catégories de salariés qu'elles représentent – peuvent encore compter sur des troupes très nombreuses : LO revendique 2 millions d'ouvriers ; TCO, 1,26 million d'employés, techniciens et cadres ; et Saco, 514 000 diplômés de l'université. Indépendamment subsistent quelques petits syndicats autonomes, comme ceux des pilotes de ligne ou des pompiers.

Avec de tels scores, impossible de contester aux organisations syndicales le droit à représenter les salariés. À dire vrai, cette idée ne viendrait même pas à l'esprit des employeurs… « Les Suédois ne comprennent absolument pas la notion française d'accord minoritaire » , souligne Évelyne Pichot, experte auprès de la Commission européenne sur les relations sociales. En Suède, la négociation collective se déroule principalement au niveau des branches. Tous les trois ans, en général, les partenaires sociaux renégocient les conventions collectives sectorielles et fixent des fourchettes pour l'évolution des rémunérations. Le dernier grand round, en 2001, s'est traduit par des accords dans la sidérurgie, le papier, la métallurgie, les services, le commerce… Dans la chimie, syndicats et patronat ont décidé d'augmenter les rémunérations de 6,9 % sur trente-huit mois, avec un effort plus important pour les bas salaires.

Les négociations d'entreprise portent principalement sur les questions économiques, l'organisation du travail, l'emploi et la formation. « Il y a une obligation de négocier, et d'aboutir. L'employeur ne peut avancer par une décision unilatérale » , précise Évelyne Pichot. En cas de blocage, les discussions remontent au niveau de la branche. Ce qui n'arrive, en pratique, jamais : pragmatisme et culture du compromis viennent à bout de la plupart des obstacles.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Stéphane Béchaux