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Repères

Le secteur public ne peut être épargné

Repères | publié le : 01.11.2002 | Denis Boissard

À quoi joue le gouvernement Raffarin sur les retraites ? En toute justice, la réforme qu'il promet d'engager au printemps 2003 devrait mettre les fonctionnaires et salariés du secteur public, jusque-là préservés de toute révision à la baisse de leurs avantages, à contribution pour garantir l'équilibre financier à long terme du système. Il apparaît en effet inconcevable de solliciter à nouveau les salariés du privé (le rapport Charpin préconisait d'allonger encore leur durée de cotisation de 160 à 170 trimestres), déjà touchés par les réformes Veil de 1993 et Arrco-Agirc de 1996 et 2001, sans que le moindre effort soit demandé à leurs homologues du public.

Rappelons que les premiers cotisent beaucoup plus que les seconds (15,55 % ou 17,05 %, au lieu de 7,85 %) et pendant plus longtemps (40 années, au lieu de 37,5) ; qu'ils perçoivent des pensions plus chichement calculées (sur les vingt-cinq meilleures années de leur carrière, au lieu des six derniers mois) et moins bien revalorisées (indexation sur les prix, au lieu d'une indexation sur les salaires) ; enfin, qu'ils ne peuvent pas partir avant l'âge de 60 ans (contre 55, voire 50 ans, pour bon nombre d'agents du secteur public), sauf à payer de lourdes pénalités (10 % de pension en moins par année gagnée, au lieu de 2,5 % dans le public). Reste au gouvernement à convaincre les 4,5 millions de cotisants du public et leurs syndicats qu'un minimum de solidarité impose que les efforts – rendus nécessaires par l'impact du choc démographique à venir – soient à peu près équitablement répartis. Or quelques signaux récents laissent à penser que, tétanisée par le souvenir des déboires du plan Juppé à l'hiver 1995, l'équipe actuelle pourrait refuser l'obstacle.

Le premier indice inquiétant est la modification des règles de compensation entre les régimes de retraite, à laquelle le gouvernement a procédé en catimini au titre de 2003. De quoi s'agit-il ? D'un mécanisme opaque qui consiste à compenser, par des transferts financiers entre caisses de retraite, les déséquilibres démographiques existants entre les différents régimes. En gros, ceux qui bénéficient d'un meilleur ratio entre cotisants et retraités paient pour les régimes qui pâtissent d'un rapport plus dégradé. Or, subrepticement, le ministère des Affaires sociales a décidé d'intégrer les chômeurs dans les effectifs de la Cnav. Résultat de ce tour de passe-passe : leur ratio démographique étant artificiellement amélioré, les salariés du privé vont, l'an prochain, être ponctionnés de 825 millions d'euros. Principaux bénéficiaires de cette manne ? Les fonctionnaires de l'État et les agents des collectivités locales et des hôpitaux. La solidarité joue à rebours : des salariés les moins bien lotis vers les plus avantagés.

Autre signe de mauvais augure quant à la détermination du pouvoir : ses déclarations ambiguës sur le régime des agents d'EDF-GDF. Soucieux de désamorcer l'hostilité de ces derniers à l'ouverture du capital de leur entreprise, Jacques Chirac n'a pas hésité, lors de son allocution du 14 juillet dernier, à promettre que leur « système spécifique de retraite » ne serait « pas remis en cause ». Un engagement équivoque, aussitôt interprété par les syndicats concernés comme une consécration du caractère inviolable de leurs avantages. Lesquels ne sont pas minces : une cotisation qui ne couvre que 13 % des dépenses; un départ à 55 ans pour les agents ayant travaillé quinze ans en service actif (soit pour près d'un sur deux) ; une pension équivalente à 75 % du dernier salaire ; diverses bonifications… L'addition est salée : le montant des engagements d'EDF et GDF s'élève à une cinquantaine de milliards d'euros.

Pour se débarrasser du fardeau et permettre ainsi l'ouverture du capital des deux entreprises, leurs dirigeants cherchent à vendre au gouvernement une solution similaire à celle adoptée à France Télécom. Les droits passés seraient pris en charge par un établissement public alimenté par une soulte annuelle des entreprises et par une dotation d'équilibre de l'État, et les droits futurs par les régimes de droit commun, moyennant une cotisation des deux entreprises et une majoration de la cotisation des agents, un régime complémentaire de branche leur garantissant le même niveau de prestation qu'aujourd'hui. Refusant toute remise en cause du régime de 1946, la puissante fédération CGT propose, elle, rien de moins que de le faire financer par une taxe sur l'acheminement de l'énergie acquittée par chaque opérateur empruntant le réseau. Deux scénarios examinés, dit-on, avec bienveillance par les pouvoirs publics, mais qui aboutiraient in fine à prélever une dîme soit sur le contribuable (via la dotation de l'État), soit sur le consommateur (via le renchérissement de la facture d'énergie). Le tout pour permettre aux électriciens-gaziers de conserver l'intégralité de leurs privilèges. Si une telle piste est retenue, on voit mal l'État convaincre ensuite les fonctionnaires, les agents de la SNCF ou ceux de la RATP, de la nécessité de revoir leurs avantages à la baisse…

Auteur

  • Denis Boissard